DÉCRYPTAGE - Les bonnes relations entre le prince héritier et le tandem Trump-Poutine ont permis à Riyad d’accueillir les pourparlers russo-américains.
Par Georges Malbrunot. Le Figaro.
Gaza, Ukraine : tous les chemins de la diplomatie conduisent cette semaine à Riyad. Mardi, les délégations russe et américaine, menées par leur ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et Marco Rubio, ont débuté des pourparlers destinés à rétablir la relation entre Moscou et Washington, et poser les prémices de négociations sur l’Ukraine en vue d’un éventuel sommet Trump-Poutine, peut-être en Arabie. Et vendredi, plusieurs pays arabes se réuniront dans le royaume pour préparer une contre-proposition au projet Trump de transférer les Palestiniens hors de la bande de Gaza.
Si, à la surprise générale, l’Arabie est parvenue à jouer les médiateurs dans le conflit russo-ukrainien, c’est parce que Riyad n’a coupé les ponts ni avec la Russie, ni avec l’Ukraine, et que le nouvel homme fort du royaume, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), entretient de bonnes relations avec Donald Trump et Vladimir Poutine. Sur l’Ukraine, dès vendredi dernier, le ministère saoudien des Affaires étrangères «réaffirmait ses efforts continus pour parvenir à une paix durable entre la Russie et l’Ukraine, efforts engagés depuis le début de la crise».
L’implication saoudienne s’inscrit dans une logique de médiation éprouvée depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Peu après, à l’automne 2022, Riyad avait parrainé un échange de prisonniers entre les deux belligérants, résultat d’une posture se voulant équilibrée entre Moscou et Kiev, laquelle n’a pas toujours été bien comprise en Occident.
Sous l’impulsion du prince héritier et de facto dirigeant de l’Arabie, compte tenu de l’âge avancé de son père le roi Salman, l’Arabie saoudite n’avait pas condamné la Russie quand elle a envahi son voisin, ni appliqué contre elle les sanctions occidentales.
Alors que Vladimir Poutine est infréquentable dans de nombreux pays occidentaux, une certaine complicité le lie à MBS. Celui-ci n’a pas oublié les chaleureuses salutations et le sourire éclatant du maître du Kremlin quand ils se sont assis côte à côte à la table du G20 de Buenos Aires en novembre 2018, quelques semaines après l’assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi. Montré alors du doigt parles dirigeants de la planète, MBS a apprécié que Poutine ne l’ait pas snobé.
La convergence d’intérêts énergétiques les rapproche également. Moscou et Riyad sont membres de l’OPEP+, cartel pétrolier regroupant les treize pays de l’OPEP et dix autres pays, dont la Russie, ce qui leur donne les clés pour ouvrir ou fermer les vannes de l’or noir. Au nez et à la barbe des Européens et des Américains, Riyad achète du pétrole russe au rabais pour ses besoins intérieurs et revend le sien plein tarif sur les marchés internationaux.
Avec Donald Trump, MBS partage la même approche transactionnelle des affaires du monde, et le même langage direct, dépourvu d’idéologie et de considération humanitaire. Là encore, le prince héritier se souvient que son «ami» Trump a été celui qui, avec son père le roi, l’a défendu alors qu’il était devenu un paria mondial, après l’assassinat de Khashoggi, dont il assuma «la responsabilité». MBS est également très proche du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, les deux hommes étant liés en affaires.
La médiation saoudienne dans la guerre russo-ukrainienne est la dernière manifestation de la nouvelle diplomatie de MBS, qui ne veut aucun problème avec ses voisins, comme avec les grands de ce monde. Pour réaliser son objectif prioritaire de moderniser son pays d'ici à 2030, il a besoin de stabilité et de calme. D’où sa réconciliation avec l'ennemi iranien, et son rapprochement avec la Chine - son premier client pétrolier. À terme, quand les conditions le permettront - c’est-à-dire sans un gouvernement extrémiste à Tel-Aviv -, il vise la normalisation avec Israël.
«Les Saoudiens sont très pragmatiques, analyse un expert du royaume, ils ne se font aucune illusion, ni sur la Chine, ni sur la Russie, ni sur personne, ils cherchent à saisir toutes les opportunités qui servent leurs intérêts.» Que ce soit aujourd’hui entre Moscou et Washington, demain entre Israël et la Palestine, et après-demain entre les États-Unis et l’Iran.
Vendredi prochain, MBS et les autres pays arabes concernés par l’avenir de Gaza tenteront d’avancer dans leur ébauche d’un plan alternatif à celui de Donald Trump sur le transfert des 2 millions de Gazaouis en Égypteet enJordanie. Menacé par l’arrivée d’une vague de Palestiniens, qui renforcerait ses ennemis Frères musulmans, le raïs égyptien Abdel Fattah al-Sissi a pris les devants, soutenu par la Jordanie et l’Arabie, dont le poids diplomatique et financier est essentiel pour que ce projet soit crédible aux yeux de la nouvelle Administration américaine.
Ce plan prévoit la formation d’un comité national palestinien qui gérerait Gaza sans le Hamas, le financement international de la reconstruction de l’enclave détruite à 70% par les bombardements israéliens sans déplacement de population, et des avancées vers la solution des deux États. «Si (les Arabes) ont un meilleur plan que le nôtre, c’est le moment de le présenter», affirmait jeudi Marco Rubio, qui a rencontré lundi soir MBS à Riyad pour en parler. Conscient de l’hostilité de ses sujets envers Israël, le prince héritier ne veut plus normaliser ses relations avec l’État hébreu. «Il ne veut pas être assassiné comme le fut l’Égyptien Anouar el-Sadate, deux ans après avoir fait la paix avec Israël, en bradant la cause palestinienne», décrypte un autre diplomate.
Selon ce plan, une barrière serait édifiée à la frontière sud de la bande de Gaza avec l’Égypte pour arrêter les trafics à partir des tunnels, et une vingtaine de secteurs seraient établis, une fois les gravats déblayés, pour en faire des zones de vie provisoires. Enfin, un «fonds Trump pour la reconstruction» verrait le jour.
Ce plan se heurte à la double hostilité d’Israël et du Hamas. Benyamin Netanyahou répète qu’il ne veut ni du Hamas ni de l’Autorité palestinienne pour gérer l’après-guerre à Gaza. «Si le Hamas est d’accord pour ne plus administrer Gaza, confie une source palestinienne au Caire, il refuse ce que les Égyptiens lui demandent, c’est-à-dire que 5000 de ses cadres soient expulsés et que ses militaires soient désarmés». Une dernière exigence réaffirmée mardi par Israël.