Pékin, comme New Delhi, a exprimé ses inquiétudes face à une éventuelle escalade et demandé aux différentes parties de faire preuve de retenue, sachant que l’un des enjeux est l’influence de Téhéran dans le Sud global
Claude Leblanc, L'Opinion
« La Chine exprime sa profonde inquiétude face à l’escalade actuelle et appelle les parties concernées à faire preuve de calme et de retenue afin d'éviter une nouvelle escalade. » C’est en ces termes que le ministère des Affaires étrangères chinois s’est exprimé, dimanche, après l’attaque de missiles et de drones initiée par l’Iran contre Israël.
« Cette situation est la dernière manifestation des retombées du conflit de Gaza. La tâche la plus urgente est de mettre en œuvre efficacement la résolution 2 728 du Conseil de sécurité des Nations unies et de mettre fin au conlit de Gaza dès que possible », a ajouté le ministère, faisant référence à une résolution adoptée le mois dernier et appelant à un cessez-le-feu. « La Chine appelle la communauté internationale, en particulier les pays influents, à jouer un rôle constructif dans le maintien de la paix et de la stabilité régionales. » Bien que la déclaration ne précise pas de quels « pays influents » il s’agit, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a exhorté les Etats-Unis à jouer un « rôle constructif » au Moyen-Orient lors de l’entretien téléphonique qu’il a eu, vendredi, avec le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken.
Depuis les événements terroristes du 7 octobre menés par le Hamas sur le sol israélien et la réponse militaire apportée par Tel-Aviv, Pékin se montre particulièrement prudent, en conservant une position neutre qui, certes, indispose les Israéliens et les Occidentaux, mais qui a pour vocation d’entretenir une image positive de la Chine dans les pays du Sud, peu enclins à soutenir la cause israélienne. «
Riposte ». Acceptable par tous, la position chinoise telle qu’exposée par le ministère des Affaires étrangères n’est pas de nature à ajouter aux tensions, ce que le gouvernement chinois ne veut absolument pas. Tout en appelant ses ressortissants présents en Iran à « rester prudents » et à « éviter les zones sensibles », la Chine semble estimer que la situation ne devrait pas s’enflammer davantage dans la mesure où leur attaque est interprétée par les autorités iraniennes comme un moyen de calmer la colère intérieure après celle contre leur consulat à Damas menée, le 1er avril, par les Israéliens. Alors qu’il avait condamné le bombardement de la représentation iranienne en Syrie, Pékin s’est abstenu de s’en prendre à Téhéran, estimant que l’action israélienne avait eu des répercussions sur d’autres pays et que l’attaque de l’Iran était une « contre-mesure et une riposte ».
New Delhi, qui revendique comme la Chine le leadership sur ce qu’on désigne désormais comme le Sud global, a également réagi avec prudence aux événements de samedi. Contrairement au 7 octobre où les Indiens avaient été parmi les premiers à manifester leur soutien à Israël, ils se sont montrés beaucoup plus précautionneux au lendemain de l’attaque iranienne. « Nous sommes gravement préoccupés par l’escalade des hostilités entre Israël et l’Iran, qui menace la paix et la sécurité dans la région. Nous appelons à une désescalade immédiate, à la retenue, au recul de la violence et au retour sur la voie de la diplomatie », a déclaré le ministère des Affaires étrangères, ajoutant qu’« il est vital que la sécurité et la stabilité soient maintenues dans la région ».
Cette déclaration, semblable à celle de Pékin, illustre la position délicate du gouvernement indien qui entretient des liens stratégiques à la fois avec l’Iran et avec Israël. Pendant des décennies, il a réussi à trouver un équilibre entre les deux parties. Mais si le conflit s’aggrave, il lui sera difficile de maintenir une position ambivalente. Ses liens dans le domaine militaire se sont renforcés avec Israël tandis que l’Iran est devenu l’un de ses principaux fournisseurs de pétrole. En outre, les deux pays partagent les mêmes préoccupations concernant le terrorisme émanant du Pakistan et de l’Afghanistan, et le port iranien de Chabahar est devenu une porte d’entrée stratégique pour les produits indiens vers l’Asie centrale.
Influence. Le Premier ministre Narendra Modi, qui vise un troisième mandat à l’issue des élections législatives, qui se tiendront dans les semaines à venir en a profité, dimanche, pour lancer un appel aux électeurs. « Un nuage d’incertitude plane sur le monde aujourd’hui. Il y a une situation de guerre. Le monde est tendu. En ces temps de crise, la sécurité des Indiens vivant dans ces régions est notre priorité. Lorsque de telles tensions prévalent dans le monde, il devient d’autant plus nécessaire d’avoir un gouvernement fort et stable avec une majorité complète », a-t-il notamment déclaré.
Reste à savoir comment l’Inde aura la capacité de peser sur la situation au Moyen-Orient. Alors que la Chine a vu son influence y grandir, en facilitant notamment le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars 2023, l’Inde a aussi multiplié ses échanges avec les pays de la région, en particulier l’Egypte avec laquelle elle a conclu un partenariat stratégique en juin dernier.
Pékin et New Delhi sont membres des Brics et de l’Organisation de coopération de Shanghai, au même titre que l’Iran désireux de renforcer ses liens avec les pays du Sud global. « L’approfondissement et l’élargissement de la coopération économique avec nos voisins, les pays de la région, les Etats asiatiques et les pays du “Sud global” constituent l’une des principales priorités de la diplomatie économique du gouvernement iranien », a d’ailleurs expliqué, le 7 avril, Mehdi Safari, le vice-ministre des Afaires étrangères, laissant entendre que Téhéran comptait construire son avenir avec l’autre monde, dont la Chine et l’Inde se verraient bien les leaders.