RÉCIT - Harcelée par les gardiens de la révolution à cause d'un voile mal ajusté, l'étudiante a défié le régime en déambulant dans la rue en sous-vêtements. Son acte prolonge le combat des jeunes Iraniennes contre la théocratie au pouvoir.
Par Georges Malbrunot. LE FIGARO
Le corps dénudé d’une jeune femme de 30 ans est devenu le nouveau symbole de la dissidence iranienne. Depuis que les réseaux sociaux ont répandu à travers le monde son geste hallucinant commis en pleine rue de la très stricte République islamique d’Iran, opposants et partisans du régime s’affrontent à coups de récits antagonistes. Samedi, Ahou Daryaei, une étudiante en langue française de l’université Azad de Téhéran, est prise à partie par les forces de sécurité de la faculté. Les redoutés bassidjis lui reprochent de ne pas porter le voile couvrant les cheveux, la tête et le cou, une obligation dans les établissements scolaires iraniens.
D’après des activistes, celle dont l’identité fut d’abord gardée secrète était harcelée par les bassidjis qui lui auraient déchiré ses vêtements. Pour protester, la jeune femme les retira alors, puis quitta l’université avant de sortir dans la rue en sous-vêtements. Image extrêmement rare sinon unique que depuis un immeuble alentour, une voisine filma, avant d’être publiée par de nombreux sites persans et sur des groupes de défense des droits humains. Une autre vidéo montre l’audacieuse et très courageuse Iranienne, que l’on nomme dans un premier temps par ses initiales, AD, jetée dans une voiture par des hommes en civil, qui selon le site Amir Kabir, l’auraient battue en l’arrêtant.
Dans la langueur d’un week-end préélectoral aux États-Unis et de Toussaint en Europe, des Iraniens de la diaspora, regrettant que la presse internationale ne couvre pas assez l’événement, diffusent alors sur des boucles WhatsApp un montage d’autres actes de bravoure passés dans la légende, comme celui de l’étudiant chinois offrant son poitrail aux chars sur la place Tiananmen en 1989.
Déçus que le mouvement de contestation de 2022 ait été étouffé par la répression du pouvoir, de très nombreux Iraniens espèrent que la mèche de la révolte se soit de nouveau allumée, ce 2 novembre. Il y a deux ans, la mort en détention de la jeune Mahsa Amini, arrêtée pour ne pas bien porter son foulard, avait provoqué un mouvement inédit de contestation contre le régime. Celuici n’en est venu à bout qu’au prix d’une répression sanglante, qui fit au moins 550 morts, alors que des milliers de personnes furent arrêtées.
«C’est quand même la première fois qu’une femme se met nue ou presque dans la rue en Iran, confie au téléphone Farzone, une Iranienne de la diaspora. Mais nous avons tellement fait circuler ces images que la presse a fini par en parler.»
Dès samedi, Amnesty International appelait «les autorités iraniennes (à) relâcher immédiatement et sans condition» la jeune femme. L’ONG réclamait également que «les allégations de coups et de violence sexuelle à son encontre pendant son arrestation fassent l’objet d’une enquête indépendante et impartiale».
Aux appels à la mobilisation internationale a répondu, mais avec deux jours de retard, un discours officiel iranien fondé sur une «fragilité mentale» de la jeune femme. Lundi, une porte-parole du gouvernement, Fatemeh Mohajerani, affirmait que le cas de l’étudiante, sans poser de problème sécuritaire, relevait d’un «trouble individuel», et qu’elle avait été transférée d’un commissariat de police vers un «centre de traitement» pour y recevoir des soins. La porte-parole estimait qu’il était encore trop tôt pour envisager son retour à l’université. Elle citait son mari (dont Ahou est séparée), qui déclarait dans une vidéo (publiée durant le week-end) «qu’elle devait terminer son traitement, avant d’envisager d’autres étapes». Une version, reprise dans la presse locale lundi, mais qui ne convainc pas de nombreux Iraniens. «Ils ne vont pas la tuer, mais ils vont la droguer, et on connaît la suite, elle ressortira comme un légume si on n’en parle pas», redoute l’Iranienne de la diaspora.
Comme beaucoup d’opposants au régime, Farzone assure que Ahou Daryaei prolonge le combat des jeunes et moins jeunes Iraniennes qui sont descendues dans la rue sans foulard à l’automne 2022, suscitant de vives inquiétudes au sommet de l’État. Mais même si le feu couve toujours sous la cendre, le bâton a eu raison ducourage des Iraniennes. Est-ce une fois encore la peur des représailles qui a dissuadé, samedi, le voisinage de secourir l’étudiante? «Les gens ont été choqués, reconnaît Farzone, ils se sont demandés pourquoi les hommesautour ne l’ont pas aidée.»
Son geste annonce-t-il une nouvelle vague de protestation à travers l’Iran? Pas sûr. «Les bonnes choses peuvent s’étouffer très vite hélas», redoute Farzone, qui rappelle un contexte local lesté par les risques de guerre avec Israël et donc pas forcément favorable à une mobilisation de la rue. «En Iran, dit-elle, mes amis parlent tous de l’attaque de la République islamique contre Israël.»
En effet, un ton belliqueux est apparu, ces derniers jours, contrastant avec la prudence des premières réactions officielles à l’attaque d’Israël, le 26 octobre, contre plusieurs sites militaires sur le sol iranien, en représailles aux tirs de missiles iraniens contre l’État hébreu, trois semaines plus tôt. Samedi, le guide suprême en personne, l’ayatollah Ali Khamenei, bête noire de Ahou et de milliers d’Iraniennes, a déclaré que «les ennemis, tant les États-Unis que le régimesioniste (Israël, NDLR), doivent savoir qu’ils recevront certainement une réponse cinglante».
«Des nouvelles comme ça étouffent le reste», regrette un autre Iranien, en Grande-Bretagne, qui ne croit, lui, ni en une résurgence de la contestation ni en une attaque iranienne, à court terme, contre Israël. Un point commun réunit les deux membres de la diaspora : le régime sait exploiter la conjoncture pour s’épargner de nouvelles manifestations, au moment où il redoute surtout une victoire de Donald Trump, qui était sorti en 2018 de l’accord international nucléaire signé trois ans plus tôt par Téhéran et les grandes puissances, avant de renforcer encore le très épais millefeuille des sanctions imposées à l’Iran.
«Nous assistons à une guerre de communication entre un régime qui joue la carte nationaliste contre une attaque extérieure, et des opposants qui agitent le levier de la mobilisation pour relancer leur fronde», résume l’Iranien de Londres.