Des explosions ont été entendues près de sites militaires en Iran, vendredi. L’ampleur de l’attaque n’est pas encore connue. Depuis l’attaque iranienne de samedi, la communauté internationale pressait Israël de mener une réponse modérée pour ne pas provoquer un embrasement régional.
Par Ghazal Golshiri et Louis Imbert (Jérusalem, correspondant), Le Monde
Israël a répliqué tôt, vendredi 19 avril, à l’attaque de drones et de missiles, lancée le 13 avril par l’Iran contre son territoire. Téhéran s’employait cependant à minimiser l’ampleur de cette réponse, dont la nature et les modalités demeuraient incertaines, au matin. Des explosions ont été rapportées près de la ville d’Ispahan (centre), qui abrite plusieurs sites militaires, y compris nucléaires et balistique. Le 14 avril, des tirs de missiles avaient été filmés de ces lieux, qui étaient dirigés vers au moins une base de l’armée de l’air israélienne.
Un habitant de la ville d’Ispahan raconte au Monde avoir ressenti des secousses puissantes et avoir cru d’abord « qu’il s’agissait d’un séisme. » L’agence de presse Fars, affiliée aux gardiens de la révolution, évoque « trois explosions entendues près de la base de chasse de l’armée à Ispahan » et affirme que la défense aérienne a été activée contre un possible drone. Elle précise qu’un autre objet volant suspect a également activé ces défenses à Tabriz (nord-ouest), à quelques kilomètres d’une raffinerie.
Les agences iraniennes ont cité le commandant de l’armée à Ispahan, Siavosh Mihandoust, selon qui le bruit d’explosion, entendu par les habitants, venait de la défense aérienne. « Nous n’avons subi aucun dommage, et aucun incident n’a eu lieu », a-t-il soutenu. Dès l’aube, la télévision officielle iranienne a dépêché ses journalistes dans le centre-ville d’Ispahan, afin de démontrer que le calme régnait et que la vie quotidienne poursuivait son cours.
Pas de missiles selon les Iraniens
Un officiel du Conseil suprême du cyberespace, portant régulièrement la parole des gardiens de la révolution, a également nié que l’attaque ait impliqué des tirs de missile. Une information qu’Israël n’avait, vendredi matin, ni confirmée ni infirmée. Il a affirmé que les drones abattus avaient une courte portée et ont été tirés du territoire iranien. Précisant ce début de récit officiel, un analyste a affirmé à la télévision d’Etat que des « minidrones » avaient été tirés par des « infiltrés, du territoire iranien » – un procédé dont le renseignement extérieur israélien serait capable, ayant déjà par le passé mené au moins une attaque de ce type. Les vols au départ des aéroports de Téhéran, suspendus dès l’aube, étaient censés reprendre dans la matinée.
En l’état, et sans préjuger de la létalité de l’attaque, il apparaît que l’Etat hébreu a choisi une réponse relativement discrète, laissant à Téhéran la possibilité de ne pas répliquer. Le gouvernement israélien et l’armée n’avaient pas commenté ces frappes vendredi matin. Dès dimanche, des officiels israéliens mentionnaient pourtant que le cabinet de guerre prendrait en compte non seulement le résultat très limité de l’attaque iranienne du 13 avril, mais également les intentions de Téhéran, dont l’attaque massive, d’une importance symbolique inédite, paraissait destinée à infliger de réels dommages.
Israël signale par cette attaque qu’il préserve sa capacité à frapper dans le pays, refusant la « nouvelle équation » posée par le chef des gardiens de la révolution, Hossein Salami, qui avait affirmé plus tôt cette semaine, en des termes vagues, que « dorénavant, tout assaut [mené par Israël] sur nos intérêts (…) recevra[it] une riposte réciproque ».
L’agence de presse nationale syrienne SANA, citant une source militaire, a précisé qu’Israël avait frappé aussi dans la nuit des systèmes de défense aérienne dans le sud de la Syrie, provoquant des « pertes matérielles ». Israël signalerait ainsi la poursuite de ses intenses opérations contre les alliés régionaux de l’Iran. Depuis dimanche, Israël se trouvait sous vive pression américaine pour contenir sa riposte, et plusieurs officiels américains ont affirmé vendredi matin, sous le sceau de l’anonymat, que l’attaque n’avait pas pris Washington par surprise. La veille, des consultations sur l’Iran avaient été menées par le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, avec son homologue israélien Tzachi Hanegbi et Ron Dermer, un proche conseiller du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Le président Joe Biden a déployé d’immenses efforts depuis six mois afin d’empêcher la guerre à Gaza de s’étendre dans la région. Il avait engagé Israël à se contenter d’une victoire défensive le 13 avril, après que l’armée américaine et des alliés occidentaux et régionaux avaient contribué à repousser l’attaque de Téhéran. Washington signalait depuis qu’il ne pouvait empêcher totalement une réponse israélienne, et que les États-Unis se tenaient prêts à défendre une nouvelle fois leur allié en cas d’escalade.
Rompant avec la discrétion de l’Etat israélien, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a déploré sur le réseau X la « faiblesse » apparente de cette attaque. Issu de l’extrême droite religieuse et exclu du cabinet de guerre restreint chargé de décider de cette riposte, M. Ben Gvir usait d’un mot qui désigne un tir mou manquant le but au football, après avoir milité bruyamment durant des jours pour une riposte puissante.
Dans la nuit du 13 au 14 avril, l’Iran avait lancé plus de 300 drones, missiles de croisière et missiles balistiques, visant principalement la base aérienne de Nevatim, dans le désert du Néguev (sud). C’est sur cette base, située à une vingtaine de kilomètres de la centrale nucléaire de Dimona, que stationne l’escadron Adir de F-35 israéliens, les chasseurs les plus perfectionnés du pays. Ce sont eux qui avaient mené un raid le 1er avril sur le consulat iranien à Damas, en Syrie, tuant de hauts officiers des gardiens de la révolution, auquel Téhéran avait souhaité répondre.
VIVES DIVISIONS ISRAÉLIENNES
Il apparaît que seuls neuf missiles ont pu franchir les frontières israéliennes, relève l’expert américain Jeffrey Lewis, du Centre James Martin pour les études de nonprolifération. Des images satellites ont révélé des dégâts très limités sur cette unique base : quatre cratères qui n’ont pas même significativement endommagé la piste de décollage, « probablement causés par des missiles arrivant en bout de portée, avec une faible précision », relève ce spécialiste.
Cependant Téhéran avait déployé d’immenses moyens pour mener cette première attaque directe contre le territoire israélien. « Ils n’ont rien retenu de leurs forces et cherchaient clairement à causer des dommages », estime Fabian Hinz, du centre d’analyse International Institute for Strategic Studies. Une nuée de drones relativement lents avait été d’abord lancée pour tenter de saturer le système de défense antiaérien d’Israël, synchronisés pour frapper relativement au même moment que 115 à 130 missiles balistiques.
« C’est une opération complexe, qui a nécessité des jours de préparation, basée sur une planification préalable, des exercices et des simulations. Cela a mobilisé autant de lanceurs que de missiles sur plusieurs sites. Je ne crois pas que quiconque en Iran avait prévu qu’un tel effort échouerait totalement », estime le général Nimrod Sheffer, ancien numéro deux des forces aériennes israéliennes, et ancien chef de la direction de la planification de l’armée.
Téhéran avait mené deux mois plus tôt un exercice simulant justement une attaque contre la base de Nevatim, avec deux types de missiles qu’il paraît avoir employés le 14 avril – des Ghadr, évolution de Scud soviétiques achetés dans les années 1990 à la Corée du Nord, ainsi que des missiles à guidage de précision de type Emad et probablement Kheybar Shekan. Ce dernier modèle, révélé en 2022, est l’un des plus sophistiqués dont Téhéran dispose. L’Iran l’avait utilisé pour frapper en Syrie en janvier, en réponse déjà aux assassinats ciblés menés par Israël contre de hauts cadres de ses forces alliées dans la région.
Israël signalait aussi depuis dimanche qu’il calibrerait sa réponse, en tenant compte des craintes des Etats arabes de la région, qui l’engageaient vivement à la désescalade. L’Etat hébreu saluait leur coopération pour sa défense les 13 et 14 avril, et entendait poursuivre leur lent rapprochement sécuritaire. Selon Isaac Ben Israël, ancien haut responsable de l’armement des forces israéliennes et l’un des pères de son architecture de défense cyber, les monarchies du Golfe « ont pu rapidement partager des signaux d’alerte » permettant de suivre le parcours des drones iraniens le 13 avril, « et ouvrir leur espace aérien » aux avions d’Israël ou de ses alliés occidentaux. L’aviation jordanienne a ellemême intercepté des projectiles au-dessus de son territoire.
Israël cherche également à ne pas ralentir ses opérations à Gaza en se trouvant accaparés par sa confrontation avec l’Iran et ses alliés. L’armée annonce de nouveau une opération imminente dans le sud de l’enclave, à Rafah – une menace agitée depuis février, sans qu’Israël ne s’en donne les moyens opérationnels, et alors que Washington estime qu’il n’a pas les moyens d’en absorber l’immense coût humanitaire.
Enfin l’Etat hébreu demeure enlisé dans ses vives divisions internes, que le premier ministre a paru souligner encore une fois à la veille de la riposte. Le bureau de M. Nétanyahou a publié jeudi, après une rencontre avec les chefs du renseignement, un communiqué affirmant que « la discorde intérieure doit disparaître immédiatement. » Il s’exprimait alors que des fuites s’accumulent dans la presse, attribuées à de hauts responsables de sécurité, qui dénoncent l’absence de vision de M. Nétanyahou dans cette guerre et le peu de marge de manœuvre laissé aux négociateurs pour trouver un accord avec le Hamas et libérer ses otages.