Par Georges Malbrunot, Le Figaro
ANALYSE - Gardiens de la révolution, religieux et conservateurs préparent l’après-Khamenei, l’ayatollah de 85 ans qui dirige le pays.
Quelques heures après l’annonce officielle, lundi matin, de la mort du président de la République islamique, Ebrahim Raissi, dans un accident d’hélicoptère dans une région escarpée et boisée du nord-ouest de l’Iran, le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a confirmé son remplacement par le premier vice-président, Mohammad Mokhber, ainsi que celui du chef de la diplomatie, Hossein Amir Abdollahian, également mort dans l’accident, par le vice-ministre des Affaires étrangères, Ali Bagheri Kani. Cinq jours de deuil ont été décrétés. Les funérailles de M. Raissi, 64 ans, démarrent ce mardi. Alors que sur les réseaux sociaux apparaissaient des signes de satisfaction de la disparition d’un homme accusé d’être responsable de nombreuses violations des droits de l’homme, les autorités ont tenu à donner l’impression qu’il n’y avait aucune vacance du pouvoir. Conformément à l’article 131 de la Constitution, M. Mokhber occupera le poste de président de la République par intérim jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection présidentielle, dans un délai de 50 jours.
En Iran, les pouvoirs du président de la République sont limités, s’apparentant à celui du premier ministre actuellement en France. Il est chargé d’exécuter la politique du gouvernement, dont les grands axes sont décidés par le guide suprême, son entourage et les tout-puissants gardiens de la révolution, l’armée idéologique en charge de la sauvegarde d’un régime à la légitimité largement contestée par la population, quarante-cinq ans après son avènement. Si cette double disparition de hauts cadres de la République islamique ne devrait modifier ni les choix nucléaires de l’Iran, ni sa politique extérieure, jugée déstabilisatrice hors de ses frontières par ses voisins arabes - car décidés en dehors de la présidence de la République - elle affecte lourdement la scène intérieure, en posant un double défi aux autorités.
Pur produit du système religieux et révolutionnaire, sans charisme mais loyal au guide suprême, Raissi apparaissait comme un potentiel successeur d’Ali Khamenei, âgé de 85 ans et à la santé déclinante. Même s’il a le rang d’ayatollah, Raissi aurait vraisemblablement été un guide suprême plutôt faible, ce qui ne pouvait qu’arranger les gardiens de la révolution, toujours en embuscade. Sa mort va donc perturber le casting pour la désignation du futur leader d’un régime, qui après le retrait américain de l’accord nucléaire international de 2015 décidé trois ans plus tard par Donald Trump, s’est calcifié autour d’un noyau dur ultraconservateur et sécuritaire.
« Des tiraillements »
Saisi de peur après la décision unilatérale de Donald Trump, qui imposa dans la foulée de très dures sanctions à l’Iran, le régime avait fait élire l’ultraconservateur Raissi en 2021, dans l’espoir de verrouiller cette période délicate qu’est la succession du guide suprême. Dans ces conditions, sa disparition pourrait accentuer les chances de voir le fils du guide, Mojtaba Khamenei, 54 ans, succéder à son père. Le problème, décrypte le chercheur Vali Nasr, « c’est que récemment, Ali Khamenei avait suggéré qu’il préférait quelqu’un d’autre » que son fils pour ne pas donner l’impression que l’Iran était une dynastie ; « après la mort de Raissi, il n’y a maintenant personne pour entrer dans cette catégorie ». Dans la course, qui va s’intensifier en coulisses, les gardiens de la révolution et les religieux – l’autre important centre du pouvoir – auront leur mot à dire.
L’autre défi est plus immédiat : il concerne la capacité du camp ultraconservateur, qui avait éliminé ses adversaires réformateurs sous le mandat de Raissi, à trouver dans l’urgence un candidat pour lui succéder. Au-delà, cette disparition gêne un pouvoir qui n’aime plus être confronté aux urnes, dans la mesure où une majorité d’Iraniens conteste sa légitimité en ne votant plus, comme on l’a vu lors des récentes élections législatives.
« On va assister à des tiraillements entre les gardiens de la révolution, les religieux et les conservateurs », anticipe un expert de l’Iran, qui en revient. Celui-ci note que, pour une fois, l’élection présidentielle iranienne – elle devait avoir lieu l’an prochain – se tiendra avant la présidentielle américaine, en novembre. Habituellement, le système iranien attendait le résultat aux États-Unis pour décider de sa posture en faisant, souvent, élire un modéré face à un démocrate (Hassan Rohani face à Barack Obama), ou un dur (Raissi) face à un républicain (Trump).
Dans cette autre bataille qui va se jouer entre conservateurs – il serait surprenant que le système autorise dans cette période d’incertitude un réformateur à entrer en lice – plusieurs noms apparaissent déjà, dont ceux de Mohammad Mokhber, 68 ans, et de Mohammad Bagher Ghalibaf, le président du Parlement, âgé de 63 ans. « La mort de Raissi ouvre de l’espace chez les conservateurs, des candidats vont vouloir y aller, mais le système va en rejeter pas mal, ce qui fera des mécontents », prévient cet expert, qui connaît bien Mohammad Mokhber. «
Mokhber a la confiance du guide, il a développé la Setad, le très juteux conglomérat de Khamenei, en faisant entrer les gardiens de la révolution dans plusieurs grands contrats. Mokhber, qui est déjà allé en France et en Grande-Bretagne, est moins conservateur que Raissi. Il n’est pas charismatique. A-t-il les relais dans l’establishment religieux pour être président de la République ? Pas sûr. Ces derniers vont plutôt essayer d’en pousser un autre. Et est-il populaire ? Certainement pas », tranche l’expert.
Une période incertaine
Quant à l’expérimenté président du Parlement et ancien maire de Téhéran, Mohammad Bagher Ghalibaf, « lui est un gardien de la révolution pur jus, et leur affrontement pourrait conduire à des déchirements internes », ajoute-t-il, même si, in fine, dans une période incertaine, alourdie par la guerre à Gaza entre son allié le Hamas et Israël, l’instinct de survie prime pour les fils de la République islamique. Cette source familière des enjeux de pouvoirs au sein du régime iranien doute que les opposants de l’intérieur puissent organiser de grandes manifestations, compte tenu des renforcements de la sécurité à Téhéran, depuis dimanche. « L’ambiance est morose, confirme un habitant de la ville, joint par téléphone. Jusqu’à la mort de Raissi, le régime paraissait fier d’avoir attaqué avec des drones Israël, mais les faits sont têtus : la situation économique reste mauvaise, l’inflation est très élevée et l’argent manque dans de nombreuses familles iraniennes. »