Iran : la peur d’un retour à la « pression maximale »

Iran : la peur d’un retour à la « pression maximale »
الخميس 7 نوفمبر, 2024

La sortie de l’accord sur le nucléaire, sous le premier mandat de Trump, a laissé un mauvais souvenir à Téhéran

Par Ghazal Golshiri, Le Monde.fr

Vingt-quatre heures après l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, les réactions en Iran restent prudentes. Les rares dirigeants iraniens qui se sont exprimés ont cherché à minimiser les répercussions potentielles du retour de ce fervent partisan de la politique de « pression maximale » sur Téhéran. Cependant, cette retenue masque mal le malaise du régime iranien.

« L'élection présidentielle aux Etats-Unis n'a aucune incidence [sur nous], car toutes nos prévisions ont été faites à l'avance. Les politiques générales aux Etats-Unis et en Iran restent constantes et ne changent pas de manière significative en fonction des individus », a affirmé la porte-parole du gouvernement iranien, Fatemeh Mohajerani, peu après que Donald Trump a revendiqué sa victoire, mercredi 6 novembre. Elle a ensuite cherché à rassurer en minimisant l'impact de l'élection de Donald Trump sur l'économie iranienne. « Les moyens de subsistance des Iraniens ne seront pas affectés par l'élections américaine», a-t-elle assuré.

« Les relations sont houleuses »
Ces déclarations sont d'autant plus étonnantes que les Etats-Unis, sous le premier mandat de Donald Trump (2017-2021), étaient sortis de l'accord sur le nucléaire iranien, réimposant ainsi des sanctions sévères contre la République islamique. Cette décision avait fait chuter les investissements étrangers en Iran et considérablement réduit les exportations de pétrole iranien, principale ressource financière de Téhéran.

A l'époque, les Iraniens ont connu une détérioration de leur situation économique, en particulier un taux d'inflation supérieur à 40%. Sous la présidence de Joe Biden, les restrictions sur les exportations de pétrole iranien ont été assouplies, en partie dans l'espoir de relancer l'accord sur le nucléaire. Mais ces négociations n'ont pas abouti.

En Iran, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche réveille également un mauvais souvenir: l'assassinat, en 2020, de Ghassem Soleimani, le chef de la Force Al-Qods, une branche des gardiens de la révolution (l'armée idéologique du pays), responsable des opérations extraterritoriales de Téhéran, notamment au sein de l'« axe de la résistance ».

Ces derniers mois, les relations entre l'Iran et Donald Trump se sont encore davantage tendues, après que le candidat républicain a évoqué de « grandes menaces >>> contre sa propre vie, provenant, selon lui, de l'Iran. « Si j'étais président, j'informerais le pays proférant des menaces, en l'occurrence l'Iran, que si vous faites quoi que ce soit pour nuire à cette personne, nous ferons détruire vos plus grandes villes et le pays lui-même », a-t-il déclaré, en septembre, lors d'un meeting en Caroline du Nord.

Si l'élection, en juillet, du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, soutenu par certains réformateurs, avait suscité quelque espoir quant à la possibilité de reprendre les négociations entre l'Occident et l'Iran, elle ne devrait pas avoir d'impact sur l'attitude du nouveau président américain. « Entre Donald Trump et l'Iran, les relations sont houleuses, explique Ali Vaez, spécialiste de l'Iran au centre de réflexion International Crisis Group. Même si M. Trump décidait un jour de négocier avec Téhéran, personne, dans son entourage, ne partage cet objectif. Cela rend la tâche plus difficile pour les Iraniens s'ils cher chent à obtenir une détente. »

Au vu de la forte montée des tensions avec Israël, l'Iran pourrait riposter à tout moment aux frappes israéliennes du 25 octobre sur son territoire, qui ont tué quatre soldats. Dans ce contexte la nouvelle donne instaurée par l'arrivée au pouvoir de Donald Trump est de très mauvais augure pour Téhéran. « Trump ne cherche pas directement la guerre avec l'Iran, mais il laissera [le premier ministre israélien] Benyamin Nétanyahou intensifier les opérations contre l'Iran, et celles-ci risquent donc d'être moins limitées et plus agressives », explique Hamidreza Azizi, chercheur à l'institut Stiftung Wissenschaft und Politik, à Berlin. Quelques jours après l'attaque lancée par la République islamique contre Israël, le 1er octobre, impliquant une centaine de missiles balistiques, Donald Trump a conseillé à Israël de « frapper d'abord le nucléaire et de s'inquiéter du reste plus tard ».

En Iran, l'imprévisibilité de Donald Trump sème la confusion. Le 17 octobre, dans une interview avec le podcasteur irano-américain Patrick Bet-David, le nouveau président américain a écarté l'idée de chercher un changement de régime en Iran, sans pour autant apaiser les inquiétudes des dirigeants du pays. « Nous ne pouvons pas nous impliquer complètement là-dedans. Nous avons déjà du mal à nous gérer nous-mêmes. Soyons réalistes, a déclaré le candidat républicain. J'aimerais voir l'Iran réussir. La seule chose, c'est qu'ils ne peuvent pas avoir une arme nucléaire. »

« Armer les minorités »
A Washington, les noms évoqués pour occuper des responsabilités autour de Donald Trump annoncent des jours difficiles pour Téhéran. Parmi eux figure notamment celui de l'ancien secrétaire d'Etat Mike Pompeo, fervent partisan d'un changement de régime en Iran, dont le nom circule pour devenir secrétaire de la défense.

« Il existe une compréhension commune entre l'équipe de Trump et Israël: l'Iran est dans une situation particulièrement fragile, souligne Ali Vaez. Dans certains cercles en Israël et aux Etats-Unis, on envisage l'idée d'armer les minorités en Iran et de pousser le pays vers une guerre civile, comme en Syrie, au Yémen et en Libye, afin de transformer l'Iran en un Etat défaillant. Même si cela ne se produit pas, le chaos serait tel que l'Iran serait contraint de se concentrer sur ses problèmes internes plutôt que sur ses activités extérieures. »

Depuis l'annonce de l'élection de Donald Trump, il est hors de question, pour l'Iran, de laisser transparaître la moindre faiblesse. Le 6 novembre, sans réagir directement au retour au pouvoir du républicain, le chef adjoint des gardiens de la révolution, Ali Fadavi, s'est montré menaçant. « Les sionistes [les Israéliens, selon la terminologie officielle en Iran] n'ont pas le pouvoir de nous affronter et doivent attendre notre réponse. Nos dépôts sont suffisamment armés pour cela », a-t-il déclaré, en référence aux ripostes iraniennes attendues à la suite des frappes israéliennes du 25 осtobre. Selon lui, l'Iran n'a pas non plus exclu une frappe préventive américano-israélienne pour empêcher toute riposte iranienne contre Israël.