Le chef du bureau politique du mouvement palestinien, tué par une frappe imputée à Israël dans la nuit de mardi à mercredi 31 juillet, a contribué à développer ses capacités militaires par un rapprochement avec Téhéran.
Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante) - Le Monde
Visage de la diplomatie du Hamas, vu comme un modéré au sein du mouvement palestinien, Ismaïl Haniyeh était au cœur des efforts visant à mettre fin aux hostilités dans la bande de Gaza. Mais, aux yeux d’Israël, le chef du bureau politique du Hamas n’était qu’un « mort en sursis », comme Yahya Sinouar et Mohammed Deif, les architectes de l’attaque sanglante du 7 octobre 2023 qui a décidé l’Etat hébreu à lancer une guerre dévastatrice dans l’enclave palestinienne.
L’élimination d’Ismaïl Haniyeh, dans une frappe imputée à Israël sur sa résidence à Téhéran, dans la nuit de mardi à mercredi 31 juillet, est un coup cinglant pour le Hamas et un camouflet pour l’Iran. Si le mouvement palestinien assure que cette « grave escalade » n’entamera pas ses objectifs, sa mort pourrait remettre en question les chances, déjà ténues, de succès des négociations visant à sceller un cessez-le-feu dans la bande de Gaza.
Exil volontaire au Qatar
Ismaïl Haniyeh avait été nommé chef du bureau politique du Hamas au printemps 2017, succédant à Khaled Mechaal. Deux ans plus tard, il avait quitté la bande de Gaza pour rejoindre d’autres figures du mouvement dans un exil volontaire au Qatar. Depuis Doha, l’homme faisait la navette avec la Turquie, l’Iran ou l’Egypte, défendant les intérêts du Hamas auprès des dirigeants de la région.
Mardi, le sexagénaire se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à la cérémonie d’investiture du nouveau président, Massoud Pezeshkian, aux côtés d’autres représentants de « l’axe de la résistance » à Israël, comme le secrétaire général adjoint du Hezbollah libanais, Naïm Qassem, le chef du Jihad islamique, Ziad Al-Nakhala, et le porte-parole des rebelles houthistes du Yémen, Mohammed Abdulsalam.
Considéré comme un pragmatique par ses interlocuteurs au Moyen-Orient, Ismaïl Haniyeh a également joué un rôle central pour bâtir les capacités militaires du Hamas, notamment grâce aux relations qu’il a entretenues avec l’Iran. En 2018, le département d’Etat américain a placé Ismaïl Haniyeh sur sa liste noire des terroristes, estimant qu’il avait été un « partisan de la lutte armée, y compris contre les civils », et que les activités du Hamas avaient été responsables de la perte d’« environ dix-sept vies américaines tuées dans des attaques terroristes ». Il faisait également partie des responsables palestiniens et israéliens contre lesquels le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a demandé l’émission d’un mandat d’arrêt.
Ismaïl Haniyeh a certainement été tenu informé par Yahya Sinouar et Mohammed Deif du projet d’attaque du 7 octobre. Sur des images diffusées par les médias du Hamas peu après le déclenchement de l’attaque contre Israël, on peut voir M. Haniyeh discuter sur un ton jubilatoire avec d’autres chefs du Hamas, dans son bureau à Doha, devant le reportage d’une télévision arabe montrant des commandos du Hamas s’emparer de jeeps de l’armée israélienne.
Son assassinat intervient alors que de hauts responsables des Etats-Unis, d’Israël, du Qatar et de l’Egypte devaient se rencontrer pour relancer une nouvelle fois les laborieuses négociations en vue d’un cessez-le-feu à Gaza. L’administration du président américain, Joe Biden, tente de pousser le Hamas et Israël à accepter au moins un cessez-le-feu temporaire et un accord de libération des otages. Depuis octobre 2023, Ismaïl Haniyeh est un interlocuteur privilégié de Yahya Sinouar, qui lui a succédé dans la bande de Gaza, et dont la vision plus radicale s’impose en dernier recours dans les discussions. Lui-même a gardé la même exigence au cours des dix mois de guerre, répétant que le groupe ne libérerait les otages que si les combats cessaient définitivement.
Trois de ses fils – Hazem, Amir et Mohammad – ont été tués dans une frappe israélienne à Gaza, le 10 avril 2023. Il a perdu quatre de ses petits-enfants, trois filles et un garçon, dans l’attaque. Le chef du Hamas avait alors déclaré que l’attaque ne changerait rien aux exigences du groupe en faveur d’un cessez-le-feu permanent et du retour des Palestiniens déplacés de leurs foyers. « Tout notre peuple et toutes les familles de Gaza ont payé un lourd tribut en sang, et je suis l’un d’entre eux », a-t-il dit.
Combat politique
Né en 1963 dans le camp de réfugiés de Shati, dans la bande de Gaza, d’une famille originaire d’Ashkelon, Ismaïl Haniyeh a rejoint la branche estudiantine des Frères musulmans à l’Université islamique de Gaza, avant de devenir membre de l’Union des étudiants de l’Université islamique en 1983 et 1984. Trois ans plus tard, il adhère au Hamas à sa création, alors qu’éclate la première Intifada. Durant cette période, Ismaïl Haniyeh a été emprisonné à plusieurs reprises par Israël, qui l’a expulsé en 1992 avec d’autres chefs du mouvement pour six mois au Liban Sud.
A son retour dans l’enclave palestinienne, Ismaïl Haniyeh se rapproche du cheikh Ahmed Yassine, le chef du Hamas assassiné par Israël en 2004. Il plaide pour engager le Hamas dans le combat politique, en parallèle à la lutte armée, et se fait connaître aux yeux du monde en 2006 en devenant le premier ministre de l’Autorité palestinienne, après la victoire surprise de son mouvement aux législatives. Après avoir pris la tête d’un gouvernement d’union, il s’était engagé à œuvrer à la création d’un Etat palestinien « en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec Jérusalem comme capitale », allant à contre-courant du discours officiel du Hamas qui, alors, ne reconnaissait pas ces frontières.
C’est sous sa direction qu’a éclaté en 2007 la quasi-guerre civile entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas. Privé de sa victoire aux législatives, le mouvement islamiste a pris le pouvoir dans la bande de Gaza au prix d’affrontements meurtriers avec son rival du Fatah. Deux ans après le retrait unilatéral d’Israël, le Hamas s’est retrouvé seul aux commandes de ce territoire côtier. Mercredi, le président Abbas a dénoncé l’assassinat du chef du Hamas comme « un acte lâche et une grave escalade ».