Le raid aérien mené dimanche 8 septembre visait à couvrir une opération terrestre hors-norme contre un site de production fournissant le Hezbollah.
Par Jean-Philippe Rémy (Jérusalem, correspondant) - Le Monde
Les détails d'une opération aéroportée israélienne hors norme en territoire sy rien émergent peu à peu. Vendredi 13 septembre, des éléments supplémentaires permettent de mieux cerner les contours de l'opération, qui a eu lieu dimanche 8 septembre en fin de journée, dans les environs de Masyaf, au cœur d'une région montagneuse au nord de Homs. D'abord égrainés dans la presse internationale et israélienne, ces éléments ont été appuyés à défaut de confirmation officielle israélienne, par des informations de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Selon cette ONG créée en 2006 à Londres, qui a assis sa réputation durant la guerre en Syrie, l'assaut héliporté de la nuit de dimanche visait plus précisément le site de Hair Abbas, au sein de l'Institut 4000, une structure de production d'armes qui dépend du Centre d'études et de recherches scientifiques syrien, désormais placé sous supervision iranienne.
Cet ensemble de bâtiments est installé à une cinquantaine de kilomètres du Liban, bastion du Hezbollah, allié du pouvoir syrien et pilier central de la coalition des alliés de Téhéran au sein de l'«axe de la résistance». Israël, le long de sa frontière nord, est engagé de puis onze mois dans un conflit avec le Hezbollah caractérisé par des échanges de tirs et de frappes des deux côtés de la frontière avec le Liban, menaçant de se transformer en conflit ouvert. Dans ce cadre, la proximité de l'Institut 4000 avec le Liban est cruciale. Or, dans ces installations souterraines à l'épreuve des frappes aériennes les plus puissantes, se trouve une usine de production de missiles de précision et de drones.
Dans une note publiée le 13 septembre synthétisant plusieurs jours de recherches, l'OSDH détaille les phases de l'opération de dimanche. Des avions de chasse et des drones ont été d'abord utilisés pour les frappes, visant les militaires et les gardes protégeant le complexe, ainsi que la défense antiaérienne syrienne et les routes avoisinantes, pour empêcher l'arrivée de renforts. Les forces russes ne sont pas intervenues une retenue habituelle en cas d'opérations aériennes israéliennes en de la Syrie. Le brouillage électronique a ensuite permis à environ cinq hélicoptères israéliens d'acheminer des dizaines de commandos, déposés au sol, où leur intervention, marquée par des combats, aurait duré plus de trois heures.
Les commandos ont pu recueillir du renseignement avant de procéder à une destruction importante d'installations. Selon le site d'informations américain Axios, ces commandos appartiennent à l'unité d'élite de l'armée de l'air, Shaldag, et ils seraient parvenus à détruire les installations». Selon l'OSDH, le bilan serait de vingt-sept morts.
Chorégraphie sophistiquée
Ce n'était pas la première fois que des frappes israéliennes visaient les installations de l'Institut 4000, où ont été élaborées, dans le passé, des armes chimiques utilisées par le régime syrien. Désormais, le centre est chargé de la production de deux types de matériel qui constituent un sujet de préoccupation pour Israël: des missiles guidés ou des kits de guidage destinés à être installés sur des missiles existants, ainsi que des drones. Tout ceci est destiné au Hezbollah.
Placé sous la protection de son système multicouches antiaérien, l'Etat hébreu voit se faufiler depuis le Liban un nombre croissant de drones tirés par le Hezbollah jusqu'à son territoire. Quant aux missiles guidés, ils représentent le fer de lance de la menace exercée par le Hezbollah contre Israël, au sein de son im portant arsenal de roquettes et de missiles (plus de 100000 éléments, au total).
« Depuis cinq ans, Israël a planifié l'opération "couche en profondeur"-dont le but était de viser et détruire l'Institut 4000 lié aux IRGC [corps des gardiens de la ré volution islamique] à Masyaf, où des missiles de précision étaient fabriqués », relève Charles Lister, spécialiste de la Syrie, sur X.
L'opération héliportée semble avoir, pour les Israéliens, fait la démonstration que les structures souterraines en profondeur, hors de portée des frappes aériennes, n'étaient plus à l'abri. Si cette opération avait pour but premier de couper une voie d'approvisionnement en matériel militaire du Hezbollah, une autre démonstration se lit, en filigrane. Même si le territoire iranien est infiniment plus éloigné et ne permet pas à l'aviation israélienne d'y évoluer comme dans le ciel syrien, le tour de force opérationnel n'est pas passé inaperçu. « L'emploi de forces spéciales dans cette opération, et la chorégraphie sophistiquée sur laquelle elle repose, est un fait marquant et une première [en Syrie] », note une source internationale spé-cialiste de ce dossier.