Le projet de Donald Trump pour Gaza fragilise l’accord de cessez-le-feu que le premier ministre israélien n’avait accepté qu’à reculons.
Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance). Le Monde.
Après sa visite à la Maison Blanche, Benyamin Nétanyahou reprend la main. L’assise du premier ministre israélien n’a jamais été aussi solide depuis la formation de sa coalition, en décembre 2022, qui a toujours été minoritaire dans les sondages. La séquence qui s’est ouverte le 19 janvier, date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, qui a conduit à la libération de dix otages israéliens et à l’émergence, dans l’opinion, d’une dynamique inédite en faveur d’un arrêt définitif de la guerre, aurait pu déstabiliser M. Nétanyahou. Celui-ci redoute qu’un retour au calme ne conduise à la démission de ses partenaires d’extrême droite et à l’ouverture d’une enquête sur le fiasco du 7-Octobre dont il ferait les frais.
Mais l’annonce par Donald Trump de son grand dessein pour Gaza – expulsion de tous ses habitants et prise de contrôle du territoire par les Etats-Unis – a eu trois effets concrets, très bénéfiques pour le chef du gouvernement. Elle a décrédibilisé le cessez-le-feu que Benyamin Nétanyahou n’avait accepté qu’à reculons, sous la pression de Washington, ressoudé une coalition fragilisée et normalisé l’idée du nettoyage ethnique massif des Palestiniens.
C’est Steve Witkoff, l’envoyé spécial du président américain pour le Moyen-Orient, qui a planté le premier clou dans le cercueil de l’accord qu’il avait lui-même promu et fermement imposé au premier ministre israélien. Le 29 janvier, il était le premier responsable américain à visiter l’enclave depuis quinze ans. Il a constaté l’étendue des destructions, mais aussi le bon déroulement du cessez-le-feu : « C’est pour ça que je suis allé à Gaza — pour inspecter la mise en œuvre [de l’accord], car c’est très important. »
Gagner du temps
Moins d’une semaine plus tard, la proposition de Donald Trump l’a fait changer d’avis : « Une partie du problème est que [le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas] n’était pas un accord si merveilleux, qui a été signé au départ, mais qui n’a pas été décidé par l’administration Trump. Nous n’y sommes pour rien. »
Mercredi 5 février, des responsables israéliens, cités par le journal Haaretz, s’inquiétaient déjà pour l’échange d’otages et de prisonniers prévu samedi. Les négociations pour la phase 2 de la trêve, qui auraient dû commencer mardi, sont au point mort. Soixante-dix-neuf Israéliens, morts et vivants, sont toujours retenus dans la bande de Gaza.
Que l’accord survive ou finisse par être enterré, peu importe à Benyamin Nétanyahou : il était parti à Washington pour gagner du temps, il en revient renforcé politiquement. Suite à l’annonce de Donald Trump, il a rappelé les buts de guerre qu’il martèle depuis le mois d’octobre 2023, plaçant toujours le retour des otages en seconde position, et se refusant à envisager une solution politique sur le long terme avec les Palestiniens : « Détruire les capacités militaires et gouvernementales du Hamas, assurer la libération de tous nos otages et veiller à ce que Gaza ne représente plus jamais une menace pour Israël », a-t-il annoncé dans un communiqué publié hier.
Itamar Ben-Gvir, ex-ministre issu de l’extrême-droite suprémaciste, s’est bruyamment réjoui, pensant déjà à l’étape d’après : encourager « l’émigration volontaire » des Palestiniens de Cisjordanie. Son parti, sept députés à la Knesset, avait quitté la coalition tout en la soutenant de l’extérieur. M. Ben-Gvir avait conditionné le retour de son parti à la reprise de la guerre. Avec les négociations à l’arrêt, celle-ci semble se profiler.
Bezalel Smotrich, issu de la même mouvance et ministre des finances, avait fait le choix de rester. Et lui aussi est enthousiaste : « J’espère et je crois que le peuple d’Israël comprend mieux aujourd’hui combien il est important de maintenir le gouvernement de droite et non de le faire tomber. Et combien d’opportunités se présentent à lui, si Dieu le veut. » Gideon Saar, rallié en septembre 2024 et devenu ministre des affaires étrangères, renchérit : « Gaza est une expérience ratée. »
Jeudi 6 février, rebondissant sur les déclarations de Donald Trump, le ministre de la Défense, Israël Katz, a ordonné à l’armée de préparer un plan en vue d’un départ des Gazaouis qui le souhaitent. « Pensée créative »
Mais l’opposition, elle aussi, applaudit. Ses deux leaders, Benny Gantz et Yaïr Lapid, ont qualifié l’annonce de Donald Trump de « pensée créative, originale et intrigante », pour le premier, et de « bonne conférence de presse », pour le second. Ils sont en ligne avec l’opinion publique israélienne. Selon une étude du Jewish people policy institute, basé à Jérusalem, 70 % des sondés estiment que « les Arabes de Gaza devraient s’installer dans un autre pays ». Les notions de transfert ou de nettoyage ethnique des Palestiniens, auparavant réservées à l’extrême-droite, connaissent une banalisation dans le débat public.
Bien que personne ne voit, y compris en Israël, comment expulser deux millions de Gazaouis : « Ce n’est pas réaliste. C’est dans le même ordre d’idée que de construire un mur à la frontière mexicaine et le faire payer par le Mexique », analyse Gil Murciano, directeur de l’institut Mitvim, un groupe de réflexion basé à Tel-Aviv. « Le plus grand dommage causé par la déclaration de Donald Trump, c’est sur l’opinion publique israélienne. Celui-ci considère qu’il n’est plus nécessaire de s’engager dans des initiatives politiques pour résoudre le conflit », poursuit M. Murciano.
L’approche exclusivement sécuritaire promue par Benyamin Nétanyahou semble aujourd’hui revigorée. Michael Milstein, ancien officier des services de renseignement israéliens, et bon connaisseur du mouvement islamiste, s’inquiète : « Avons-nous tiré les leçons de ce massacre ? Avons-nous compris qu’il est impossible d’acheter l’idéologie de l’Autre avec de simples mesures d’amélioration des conditions de vie ? Je n’en suis pas sûr, malheureusement. »