Par Clara Galtier, Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Privée des travailleurs palestiniens interdits de séjour et des réservistes mobilisés, l’activité a été amputée de 20 % au dernier trimestre.
Plus de cent cinquante jours de confrontation armée avec le Hamas. Une guerre «comme nous n’en avons pas connu depuis 75 ans», selon les mots du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Celle-ci commence à peser lourdement sur l’économie. Le PIB israélien a chuté de près de 20 % (19,4 %) au dernier trimestre de 2023 par rapport au précédent. Sur l’ensemble de l’année, les chiffres sont loin d’être catastrophique puisque l’activité a progressé de 2 %, après 2,2 % en 2022. D’après l’institut israélien de la statistique, la contraction de l’économie est le «résultat direct de la guerre déclenchée par les massacres commis le 7 octobre. La composition du PIB a subi un bouleversement provoqué par la mobilisation massive des réservistes, les dépenses affectées pour loger les familles israéliennes évacuées et le manque de main-d’œuvre dans le bâtiment.»
Dans ce contexte, après une période de grâce, l’agence de notation Moody’s a abaissé début février la note de crédit du pays, signalant ainsi son peu de confiance dans la capacité de Tel-Aviv à rassurer les acheteurs de sa dette. « Il n’y a à l’heure actuelle aucun accord pour mettre fin durablement aux hostilités (…) ni sur un plan de plus long terme qui restaurerait la sécurité des Israéliens », précisent les économistes, prudents face à la crainte d’une extension du conflit au Liban.
Signe d’une société traumatisée, la consommation privée a chuté de 27 %. À Kiryat Shmona, la plus grande ville au nord-est, à la frontière libanaise, les dépenses par carte de crédit étaient, en début d’année, tombés à 70 % en dessous de leur niveau habituel, selon Tomer Fadlon, économiste à l’université de TelAviv, cité par la radio américaine NPR. Quant au commerce extérieur, celui-ci a été logiquement affecté, marqué par un effondrement de 42,4 % des importations et de 18 % des exportations.
L’État continue de payer la facture des dédommagements aux victimes du 7 octobre. Environ 120 000 Israéliens ont été évacués dans des hôtels. Le gouvernement a engagé un processus, en échange de primes, de retour dans le Sud, zone où les habitants reviennent progressivement et où les écoles rouvrent. D’autres ont la possibilité de rester à l’hôtel jusqu’au mois de juillet. Mais dans le Nord, les kibboutz n’ont pas tous été reconstruits et les autorités dépensent tous azimuts, soit en accordant des subventions aux familles réfugiées, soit en réglant directement les hôteliers qui, eux, sont pénalisés par l’absence de touristes.
Un actif sur cinq mobilisé
Surtout, Israël subit de plein fouet un manque terrible de main-d’œuvre, déjà prégnant avant la guerre. Quelque 360 000 réservistes ont dû quitter leur travail au lendemain du 7 octobre pour rejoindre les rangs de l’armée, soit un actif sur 15 dont les jeunes, parmi les plus productifs. Les entreprises commencent cependant à récupérer leurs employés, note Dan Catarivas, président de l’Association des chambres de commerce binationales. L’opération militaire a changé de nature, elle mobilise moins de grands bataillons car elle est dorénavant ciblée sur Khan Younes, dans le sud de l’enclave palestinienne et sur Rafah.
L’activité israélienne est aussi victime de l’absence des travailleurs palestiniens dans l’agriculture, la restauration et surtout le bâtiment, secteur le plus pénalisé. Avant la guerre, 110 000 Palestiniens bénéficiaient d’un permis de travail, dont 80 000 rien que dans la construction. Sans compter ceux qui travaillaient clandestinement, environ 40 000 personnes. « Nous sommes dans une situation totalement désespérée », affirmait Raul Sargo, président de l’Association des constructeurs devant la Commission des travailleurs étrangers de la Knesset, le 25 décembre. Situation qui laisse des milliers de familles palestiniennes en proie à une grande précarité.
Ces absences coûtent cher des deux côtés, dans un pays en pleine expansion qui construit à tout va et où l’immobilier est hors de prix. Après des mois de flottement, le premier ministre a évoqué fin janvier la possibilité du rétablissement des permis de travail. Mais elle se heurte au blocage politique, l’extrême droite militant pour une interdiction de séjour sine die. Selon le ministère des Finances, l’absence des Palestiniens entraîne une perte de 2,4 milliards de shekels par mois, soit 600 millions de dollars dans le secteur du bâtiment qui représente un peu plus de 6 % du PIB israélien. Aussi, depuis la guerre, des milliers d’autres travailleurs étrangers originaires de Chine, de Thaïlande ou encore des Philippines sont rentrés chez eux. L’industrie, en difficulté, ne fonctionne qu’à 30 % de ses capacités et plus de 50 % des chantiers sont tout bonnement à l’arrêt.
La tech continue d’exporter
Quelque 12 000 étrangers ont été recrutés en urgence mais cela est très loin de suffire. Cette pénurie pourrait avoir des conséquences sur l’économie dans son ensemble, car les secteurs de la construction et de l’immobilier, qui ont subi la hausse des taux d’intérêt, sont endettés auprès des banques et d’institutions non bancaires à hauteur de 400 milliards de shekels, selon les données de la Banque d’Israël. À ce problème de main-d’œuvre, il faut ajouter l’absence d’horizon stable au niveau politique, qui inquiète d’autant plus les chefs d’entreprise, ajoute Dan Catarivas. Une incertitude délétère pour le climat des affaires. « Le budget voté ne donne pas d’espoir au secteur privé », déplore le représentant du patronat israélien, qui regrette un manque de soutien aux moteurs de croissance, à l’aide à l’emploi ou encore aux industries.
Tout n’est pas noir pour autant. Israël dispose de fondamentaux économiques solides. Avec une dette publique modérée, un shekel, qui, après avoir dévissé s’est vite rétabli et une inflation maîtrisée à 2,6 %. Fleuron national, le secteur de la tech continue d’exporter (+12,1 % en 2023), surtout dans la cybersécurité et l’agrotech.