ÉDITO. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, prépare une réoccupation militaire de la bande de Gaza. Ce serait un tragique retour en arrière.
Par Luc de Barochez. Le Point.
Déjà plus d’un an et demi de guerre, depuis l’épouvantable pogrom du 7 Octobre ! Et Israël n’a résolu aucun de ses dilemmes, bien au contraire. Le plan approuvé le 5 mai par le cabinet Netanyahou pour réinvestir la bande de Gaza est porteur de nouvelles calamités. Il risque non seulement d’aggraver les épreuves dramatiques infligées à la population civile palestinienne, mais aussi de mettre en danger la vie des otages, dont au moins 20 seraient encore vivants sur les 59 toujours captifs du Hamas. De surcroît, il est de nature à accentuer les fractures déjà béantes au sein de la société israélienne et d’isoler un peu plus Israël sur la scène internationale.
La poursuite des hostilités ne peut satisfaire que le Hamas, d’un côté, et l’aile radicale de la coalition au pouvoir en Israël, de l’autre. Le mouvement islamiste, qui porte la responsabilité de la guerre, a vu pendant les deux mois de cessez-le-feu, en début d’année, combien son emprise sur le territoire était désormais contestée par les Palestiniens euxmêmes. La reprise du conflit et les libérations d’otages au compte-gouttes l’aident à conforter son pouvoir. En face, l’extrême droite israélienne espère que le chaos lui permettra de réaliser ses desseins d’annexion de territoires et d’expulsion des populations qui y vivent.
Quant à Benyamin Netanyahou, qui refuse toujours d’assumer sa part de responsabilité dans le désastre sécuritaire du 7 Octobre, ménager ses alliés jusqu’au-boutistes lui permet à la fois d’éviter des élections anticipées et de retarder le dénouement de ses procès en corruption. Une réoccupation militaire de Gaza replongerait Israël dans la difficulté d’administrer une population largement hostile de 2,1 millions de personnes. C’était bien ce qui avait conduit le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, à évacuer le territoire en 2005 et à démanteler les implantations qui y avaient été construites. Le réinvestir aujourd’hui serait un catastrophique retour en arrière. La grande majorité des Israéliens le savent bien : ils sont plus de 60 %, selon les sondages, à s’opposer à une réoccupation.
Le plan de Netanyahou vise à confiner dans une « zone humanitaire » du sud de l’enclave les habitants qui seraient incités à émigrer « sur une base volontaire ». L’aide alimentaire bloquée depuis le 2 mars reprendrait sous conditions et serait acheminée sous la garde d’un corps de mercenaires américains. L’armée, qui a rappelé de nouveau des dizaines de milliers de réservistes – de plus en plus nombreux à refuser de s’enrôler – poursuivrait les derniers carrés du Hamas.
Le Premier ministre assure que l’éradication des combattants islamistes est à portée de main. Mais n’est-ce pas ce qu’il promet depuis un an et demi ? Contrairement à la quasi-totalité de ses prédécesseurs, Netanyahou a voulu faire croire à son peuple que la prospérité pouvait être garantie sans la paix, ignorant que l’occupation et la colonisation des territoires ne pouvaient qu’entretenir le conflit et conduire à un surcroît de troubles.
Se targuant du soutien inconditionnel de Donald Trump, le Premier ministre a renoncé à toute retenue. Dans les faits pourtant, le président américain prend lui aussi ses distances avec Netanyahou. Ces dernières semaines, son administration a pris langue directement avec le Hamas (qui a accepté en échange de libérer le dernier otage israélo-américain encore vivant), elle négocie avec l’Iran, elle a conclu un accord de cessez-le-feu avec les houthis qui exclut Israël, et elle a renoncé pour le moment à exiger de l’Arabie saoudite la reconnaissance de l’État d’Israël.
Sans avoir assuré ses arrières diplomatiques, sans vision d’un règlement politique de la question palestinienne, sans solution pour faire libérer les otages, le gouvernement de Netanyahou enfonce chaque jour l’État juif dans le traquenard de Gaza. C’est exactement là où le chef du Hamas, Yahya Sinouar, voulait le conduire. Tsahal a beau avoir éliminé le cerveau du 7 Octobre l’an dernier, le piège qu’il a conçu continue à refermer ses mâchoires.