Un an après le 7 octobre 2023, Israël ressort consolidé stratégiquement tandis que les acteurs islamiques radicaux ont été affaiblis. Mais le bilan est plus contrasté pour les Etats-Unis, l'Europe et l'ONU. L'escalade régionale pourrait redessiner les contours et les équilibres du Moyen-Orient.
Par Dominique Moïsi. Les Echos
7 octobre 2023-7 octobre 2024. En l’espace d’un an, un pogrom a débouché sur une (presque) guerre régionale. Une escalade qui pourrait redessiner les contours et les équilibres du Moyen-Orient. Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les principales leçons des événements qui continuent de se dérouler sous nos yeux partagés entre la fascination et l’effroi ?
Le 7 octobre 2023, victime de son hubris et de sa confiance excessive en sa supériorité technologique, Israël a été surpris, blessé et humilié par une attaque qui remettait en cause sa raison d’être : la protection de ses citoyens et au-delà celle du peuple juif dans le monde. L’Etat d’Israël n’était-il pas l’assurance-vie ultime, la garantie du « plus jamais ça » après la tragédie unique que fût la Shoah ? L’attaque du Hamas révélait la vulnérabilité d’un état qui se croyait infiniment supérieur à tous ses ennemis. Sur ce plan, le 7 octobre 2023 était en quelque sorte la forme barbare d’un 5 juin 1967 à rebours. La surprise avait tout simplement changé de camp.
Un an plus tard – et c’était l’objectif principal poursuivi par les Israéliens – Jérusalem a rétabli sa capacité dissuasive à ses yeux et aux yeux du monde. Mais à quel prix et à quel coût pour les populations civiles de Gaza à Beyrouth ? Les chefs des services de renseignements et de l’armée avaient une revanche à prendre – tout autant personnelle que collective – sur l’Histoire. Le 7 octobre 2023 ils avaient failli à leur pays. Ils se sont « rattrapés » de manière spectaculaire, en affaiblissant (de façon décisive ?) le Hezbollah, après en avoir fait de même avec le Hamas.
Un an, jour pour jour, après le 7 octobre 2023, Israël est plus fort et ses adversaires directs, plus faibles. Au point que Jérusalem est désormais tenté de pousser son avantage plus loin, jusqu’à considérer qu’un changement de régime en Iran est devenu un scénario envisageable. N’est-ce pas la condition nécessaire à la sécurité, non seulement d’Israël, mais de l’ensemble de la région ? Hassan Nasrallah avait, dit-on, regretté le soutien que son mouvement avait donné au Hamas, au lendemain du 7 octobre.
Le régime iranien est-il en train de faire de même, conscient que sa priorité absolue – la survie de son régime – est remise en cause par le comportement de ses « créatures », qu’il s’agisse du Hamas, du Hezbollah, ou des Houthis ? Affaibli par les sanctions, conscient de son impopularité croissante auprès de sa population, le régime des Mollahs en Iran pourrait-il être la principale victime collatérale du 7 octobre 2023 ? Une agression barbare dont Téhéran ne semble pas avoir été informé, par les dirigeants du Hamas.
Israël consolidé stratégiquement, des acteurs islamiques radicaux affaiblis. Mais au-delà, quel est le bilan de cette année de crise pour les principaux acteurs du système international ?
De même que l’Iran avait été le grand bénéficiaire de la seconde guerre du Golfe, qui en 2003 opposait l’Amérique et ses alliés à l’Irak de Saddam Hussein, le vrai bénéficiaire du chaos grandissant au Moyen-Orient ne serait-il pas aujourd’hui la Russie de Poutine ? La guerre de Gaza, élargie désormais au Liban, sinon demain à l’Iran, n’a-t-elle pas contribué à détourner l’attention, les émotions et une partie des moyens du monde occidental de la guerre en Ukraine ?
La Chine s’est jusqu’à présent tenue soigneusement à l’écart d’un conflit qui peut la concerner et la fragiliser elle aussi, si l’escalade régionale au Moyen-Orient se traduisait par une crise économique mondiale majeure. Proche de l’Iran, la Chine semble vouloir pousser Téhéran à la modération. Mais en est-elle capable ?
Pour les Etats-Unis, le bilan est infiniment plus contrasté, sinon ambigu. Face à l’Iran et son « axe de la résistance » – qu’il serait plus exact de qualifier aujourd’hui « d’axe de l’impuissance » – Washington a fait preuve d’une fermeté sans faille. L’Amérique a choisi clairement son camp. Mais la fermeté des Etats-Unis à l’égard de l’Iran s’est accompagnée de ce que certains décrivent comme une insigne faiblesse à l’égard d’Israël. Sans le soutien de Washington, Jérusalem serait un peu « nu ». Mais le gouvernement d’Israël, espérant sans doute la victoire de Donald Trump le 5 novembre, fait la sourde oreille aux pressions (trop purement amicales ?) de son grand allié.
En ce qui concerne l’Europe, elle a été très largement aux abonnés absents depuis le 7 octobre, plus soucieuse d’éviter la contagion du conflit sur son sol, que du rôle qui pourrait être le sien dans la région. Cette absence s’explique largement par les divisions existantes entre Européens sur ce sujet. Il y a des pays comme la Hongrie et l’Autriche qui c oncilient relents d’antisémitisme et glorification du sionisme et d’Israël. Il y a surtout, en Allemagne, le poids incontournable de l’histoire et du remords, qui rend très difficile toute politique européenne soutenant avec force l’existence d’Israël, tout en condamnant avec cette même force, les choix faits par son gouvernement.
Plus encore peut-être que l’Europe, l’ONU a fait la démonstration de son impuissance. Une impuissance ag gravée par le sentiment de partialité, ( contre Israël) qui semble émaner de la Tour de verre de Manhattan. Quant aux pays arabes du Golfe, ils ont été d’une « discrétion » exemplaire.
Le « redressement » de la position stratégique d’Israël s’est fait au détriment de sa position morale, et a eu des coûts multiples : de l’isolement diplomatique croissant de l’Etat hébreu à la remontée de l’antisémitisme dans le monde.
Le drame actuel pourrait néanmoins être porteur d’opportunités s’il débouchait – après l’affaiblissement spectaculaire du Hezbollah – sur la renaissance d’un Etat libanais, qui redeviendrait un sujet et plus seulement un objet de l ’histoire.
D’un mal absolu serait sorti un bien, si Israël après la « défaite » des plus radicaux de ses ennemis, acceptait de reconnaître la centralité de la question palestinienne. Refuser de revenir au statut quo tel qu’il existait avant le 7 octobre, est légitime pour Israël. Mais ce refus n’a de sens que s’il s’accompagne d’un traitement de la racine du mal. Défaire les plus extrêmes est une chose. S’isoler des plus modérés en est une autre.