Portrait Le Hamas demande la libération du prisonnier du Fatah, Marwan Barghouti, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages, toujours en discussion. Populaire et fédérateur, il est devenu aux yeux de ses partisans le « Nelson Mandela » de la Palestine et l’incarnation d’une possible alternative.
Cécile Lemoine, envoyée spéciale à Ramallah (Cisjordanie occupée), La Croix
Ses doigts forment un “V” victorieux alors qu’il brandit ses mains menottées. C’est avec ce geste, immortalisé lors de son procès en 2003, que Marwan Barghouti a rejoint le panthéon de la résistance palestinienne. C’est aussi cette image, en taille poster, qui s’efface derrière un rideau dans l’appartement de son fils, Arab Barghouti, à Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Cinq peines de prison à perpétuité
Icône du Fatah incarcérée depuis vingt-deux ans, Marwan Barghouti purge cinq peines de prison à perpétuité. En 2003, après un procès politique et médiatique, cet élu du Conseil législatif palestinien a été reconnu coupable de la mort de cinq Israéliens alors qu’il dirigeait la branche militaire du Fatah, lors de la seconde Intifada. Charismatique défenseur d’une solution à deux États, c’est par désillusion face aux échecs des accords de paix et du processus d’Oslo qu’il s’est rallié à la résistance armée.
Arab, le dernier de ses quatre enfants, avait 12 ans lorsque Marwan Barghouti a été arrêté. Depuis, ce trentenaire au regard doux fait corps avec sa famille, et sa mère, l’avocate Fadwa Barghouti, pour demander sa libération. Une cause remise en lumière le 3 février : alors qu’un nouvel accord de trêve et d’échange de prisonniers est discuté, le Hamas a demandé la libération de Marwan Barghouti. « Pour la première fois, il y a une vraie opportunité, veut espérer Arab Barghouti. L’histoire a montré que les prisonniers politiques n’étaient libérés que lors d’échanges. Le problème, c’est qu’il incarne l’espoir que les Israéliens ne veulent pas donner aux Palestiniens. Ils ne veulent pas d’un nouveau Yasser Arafat. »
Le « Nelson Mandela » palestinien
Cet espoir gravite autour de la personnalité charismatique et fédératrice de Barghouti que ses proches présentent comme le « Nelson Mandela » de la Palestine depuis 2013. « Les points communs sont là : ils ont été emprisonnés, ont soutenu la lutte armée avant de se tourner vers la diplomatie, et ce sont des leaders populaires, des gens du terrain… », liste Arab Barghouti. Selon un sondage réalisé en octobre 2023 par le Centre palestinien de recherche politique et d’enquête, 57 % des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza voteraient pour lui, devant Ismaïl Haniyeh (Hamas) et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (Fatah).
Derrière les barreaux, il continue de faire de la politique et se rapproche de membres du Hamas : Yahya Sinwar, Saleh Al Arouri… Son « document des prisonniers », en 2006, unit pour la première fois les différentes factions autour de la reconnaissance d’une solution à deux États et la limitation de la résistance armée aux frontières de 1967. « Il incarne l’unité », estime Hugh Lovatt, analyste au Conseil européen des relations étrangères. « Il a un vrai pouvoir transformationnel, et ses années en prison l’ont protégé des dérives et de la corruption du Fatah : il n’a pas encore joué sa main, et pourrait aider à déclencher un nouveau processus avec Israël. »
« L’éducation est notre seule arme »
Issu de la vieille garde politique, « vestige de l’arafatisme classique», selon Emad Moussa, spécialiste de psychologie politique en Israël et Palestine, Marwan Barghouti défend une solution à deux États, à laquelle toute une génération ne croit plus. « Mettre fin à la désunion palestinienne n’est pas une stratégie. La Palestine a besoin d’une stratégie globale, et non d’un changement par frustration ou désespoir », estime le chercheur.
En attendant, Marwan Barghouti œuvre à son échelle. Il a créé un programme académique qui a permis à 400 prisonniers palestiniens d’obtenir une licence et un master en études israéliennes et sciences politiques : « L’éducation est notre seule arme, et mon père est le plus strict des éducateurs », s’amuse Arab Barghouti avant de glisser une anecdote bien pensée : « Il aimait nous faire voter sur la destination avant un voyage en voiture. Il a toujours voulu nous instiller les idées démocratiques, nous faire comprendre que nos voix comptent. »