Enquête Le pape François reçoit, mercredi 22 novembre, des familles d’otages israéliens, ainsi qu’une délégation de proches de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza.
Loup Besmond de Senneville (à Rome), La Croix
Les rencontres se tiendront à Sainte-Marthe, où François organise ses rendez-vous les plus discrets. Mais cette fois, tous les yeux seront braqués, mercredi 22 novembre, sur cette maison aux allures d’hôtel ecclésiastique, au sein du Vatican, où le pape vit et travaille depuis dix ans.
C’est ici qu’il recevra, avant son audience générale, une vingtaine de proches d’otages israéliens détenus à Gaza depuis le 7 octobre, date de l’attaque d’Israël par le Hamas. Puis à quelques dizaines de mètres de là, dans un petit salon situé à l’arrière de la salle Paul-VI, il rencontrera une autre délégation, celle d’un groupe de familles de Palestiniens vivant à Gaza, actuellement sous le feu de l’armée israélienne.
Depuis un mois et demi, François prend systématiquement la parole pour évoquer la situation au Proche-Orient, deux fois par semaine, à la fin de ses audiences générales et de ses angélus dominicaux. Il a ainsi multiplié les appels à la paix et au cessez-le-feu, appelant à la libération des otages israéliens, mais aussi à l’ouverture de couloirs humanitaires dans la bande de Gaza. Défendant, comme depuis des décennies, une solution à deux États.
De son côté, le numéro deux du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, a exprimé dès le début du conflit sa « condamnation totale et ferme » de l’attaque d’Israël par le Hamas, assurant que « ceux qui sont attaqués ont le droit de se défendre », tout en affirmant que « la défense doit également respecter le critère de la proportionnalité ».
Mais François avait toujours repoussé, jusqu’alors, les demandes de rendez-vous des familles d’otages israéliens. Malgré le soutien à ces demandes de plusieurs intermédiaires : l’ambassade d’Israël près le Saint-Siège, celle des États-Unis, mais aussi la Conférence des rabbins européens, reçue le 6 novembre au Palais apostolique.
Des « contacts à haut niveau » qui « n’ont pas été positifs »
Ces responsables des communautés juives, venus de toute l’Europe, avaient obtenu, dans un premier temps, l’accord du Vatican pour être accompagnées par des familles. Avant que la préfecture de la Maison pontificale, chargée de l’organisation des audiences avec le pape, ne leur fasse part d’une volte-face : les familles d’otages n’étaient plus les bienvenues.
Si François a été aussi réticent, c’est qu’il craignait de faire l’objet d’une instrumentalisation politique. Des « contacts à haut niveau » ont certes bien eu lieu entre le Vatican et le gouvernement israélien, mais « ils n’ont pas été positifs », indique une source diplomatique à La Croix. De fait, en privé, le pape est très dur avec les actions conduites par le premier ministre Benyamin Netanyahou, jugeant qu’Israël ne peut « répondre à la terreur par la terreur » en attaquant la bande de Gaza comme il le fait.
Les termes utilisés dans le bref communiqué publié le 17 novembre par le Vatican, confirmant l’existence d’une rencontre avec les familles d’otages, insistent tout particulièrement sur le caractère non politique – « exclusivement humanitaire » – de ce rendez-vous. Comme l’est celle, organisée en parallèle, avec des « familles de Palestiniens souffrant en raison du conflit à Gaza ». Et c’est à condition de recevoir un groupe palestinien que François a finalement accepté de rencontrer les familles d’otages israéliens.
Une lettre des familles d’otages
Ses réticences se sont clairement exprimées le 6 novembre devant les rabbins européens. Ce jour-là, au Palais apostolique, le pape renonce à prononcer son discours, affirmant qu’il ne se sent pas bien. Essoufflé, il distribue son texte à son auditoire du jour, et se contente d’en saluer les membres, un à un. Ils en profitent pour lui remettre une lettre, en anglais et en espagnol, que La Croix a pu consulter, signée par des représentants de familles d’otages, lui demandant d’user de son « influence » pour les faire libérer.
Mais le choix du pape de ne pas prononcer son discours nourrit alors les inquiétudes, tant il est rare qu’il évoque directement sa situation de santé. Quelques heures plus tard, François paraît pourtant au mieux de sa forme, s’offrant un bain de foule au milieu de 7 000 enfants qui l’attendent salle Paul-VI.
En privé, dans la soirée, certains rabbins ne cachent pas leur agacement. Le pape a-t-il volontairement renoncé à prendre la parole devant eux ? Dans les jours qui ont suivi, plusieurs sources vaticanes ont confirmé à La Croix que c’était bien le cas. « Il n’a pas parlé à cause de la situation politique », dit l’une d’entre elles, qui poursuit : « Il ne voulait pas donner trop d’importance à cette audience, pour ne pas être vu comme trop en faveur des Israéliens. Or, chaque parole peut être interprétée comme un soutien à Netanyahou. En pareil cas, il ferait courir un réel risque aux catholiques minoritaires dans certains pays musulmans, dont les églises risqueraient d’être attaquées. »
Au Vatican, où l’on a la mémoire longue, on se souvient bien qu’en 2006, une petite phrase tirée d’un discours sur la religion et la violence, prononcée par Benoît XVI à Ratisbonne, avait déclenché une vague de violences contre les chrétiens de certains pays, notamment en Palestine et en Irak, ainsi qu’en Somalie, où une religieuse fut assassinée.
« La spécificité du Saint-Siège, c’est qu’il n’a rien à vendre »
Cette extrême prudence à l’égard d’Israël se double du fait que la diplomatie vaticane a pour tradition de garder « tous les canaux ouverts » pour pouvoir discuter avec tous. Hors de question, donc, de s’aliéner les responsables palestiniens, alors que certains diplomates du Palais apostolique rêvent de participer à une médiation, notamment pour faire libérer les otages. « La spécificité du Saint-Siège, c’est qu’il n’a rien à vendre, dit un responsable chrétien sur place. Il a le souci des populations sur le terrain, et est en contact avec tous les acteurs de cette guerre. »
À Rome, François a fait de cette guerre l’une de ses priorités. Le pape appelle d’ailleurs très régulièrement le curé de Gaza, de nationalité argentine, ainsi que des religieuses dont le couvent se situe dans la bande attaquée par Israël. Un contact étroit également entretenu avec le cardinal Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem. « Lorsqu’il y a des enfants en jeu, otages ou souffrant sous les bombes, le Vatican est toujours très inquiet. Mais cette fois, la plupart des chrétiens habitent côté palestinien », explique un diplomate européen en poste à Rome depuis plusieurs années.
Au Palais apostolique, certains redoutent la « fin » de la présence chrétienne à Gaza : moins d’un millier de chrétiens, toutes confessions confondues, y vivent encore. Un nombre déjà en chute libre avant l’éclatement de la guerre, puisqu’ils y étaient 7 000 en 2007, lors de la prise du pouvoir par le Hamas. Mais, au Palais apostolique, on nourrit aussi « de grandes inquiétudes pour la Cisjordanie », où la présence chrétienne ne cesse de se réduire.
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Des rencontres décisives début décembre
Le pape François profitera de sa participation à la COP28, début décembre à Dubaï, pour rencontrer des chefs d’État et de gouvernement du monde entier. Une occasion d’aborder les questions climatiques mais aussi les conflits en cours.
Mi-novembre, la Secrétairerie d’État a fait savoir à toutes les ambassades que le pape était disposé à recevoir, à Dubaï, tous ceux qui souhaitaient s’entretenir avec lui. La liste de ces rencontres n’a pas encore été rendue publique par le Vatican.
Cette proposition s’inscrit dans la tradition de la diplomatie vaticane, qui a pour principe de ne jamais exclure aucun interlocuteur lorsqu’elle mène des discussions ou des négociations sur le plan international.