Israël hésite sur la réponse à apporter aux attaques des houthistes yéménites

Israël hésite sur la réponse à apporter aux attaques des houthistes yéménites
الاثنين 30 ديسمبر, 2024

Le groupe rebelle yéménite chiite a lancé une série d’attaques de missiles balistiques sur l’Etat hébreu. Il n’y a pas eu de victimes et les dégâts sont négligeables, mais la vie économique et sociale du pays se trouve perturbée.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance). LE MONDE.

Le discours était enthousiaste, le 15 décembre. Benyamin Nétanyahou, dans un communiqué, rappelait qu’il avait promis de « changer la face du Moyen-Orient ». « La Syrie n’est plus la même Syrie. Le Liban n’est plus le même Liban. Gaza n’est plus la même Gaza. Et la tête de l’axe, l’Iran, n’est plus le même Iran ; il a lui aussi ressenti la puissance de notre bras », exultait le premier ministre israélien.

Dans cette liste, il n’avait pas mentionné les houthistes, rebelles du Yémen, pays distant de 2 000 kilomètres. Ces rebelles chiites, soutenus par l’Iran, se sont alors rappelés au souvenir de Benyamin Nétanyahou en lançant une série de frappes sur Israël. Si personne n’a été tué, un missile a touché le 21 décembre le cœur de Tel-Aviv, causant des blessures superficielles à 16 personnes. Le 24 décembre au matin, les sirènes de la défense antiaérienne israélienne résonnaient dans la ville côtière. Le 25 décembre, c’était dans le centre d’Israël. Et dans la nuit de vendredi à samedi, elles ont retenti dans une bonne partie du pays, jusqu’à Jérusalem, à cause des débris d’un missile balistique houthiste détruit avant son entrée sur le territoire israélien.

Les houthistes ont affirmé, dimanche dans un communiqué, avoir mené en dix jours pas moins de 13 attaques sur des cibles israéliennes, dont la plupart avec des missiles balistiques hypersoniques, appelés « Palestine 2 ». Ce projectile, de fabrication locale, a été dévoilé en septembre. Si les dégâts matériels sont négligeables, l’activation des alarmes a contraint des centaines de milliers d’Israéliens à se ruer dans les abris, alors que commence la fête juive de Hanoukka. Les frappes perturbent le trafic aérien, et nombre de compagnies, dont Air France, n’ont pas repris leurs vols vers Tel-Aviv.

L’armée israélienne a mené en réponse, jeudi, une complexe attaque aérienne sur le Yémen impliquant 25 avions de chasse. Ceux-ci ont frappé l’aéroport international de Sanaa, la capitale, et une centrale électrique au sud de la ville. Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, affirme avoir échappé de justesse à la mort alors qu’il s’apprêtait à embarquer. Il était venu au Yémen dans le cadre d’une mission d’évaluation, ainsi que pour négocier la libération de personnels humanitaires détenus par les rebelles houthistes.

La chasse israélienne a détruit d’autres installations dans la cité portuaire de Hodeïda, au bord de la mer Rouge, déjà durement frappée par l’Etat hébreu en juillet, à la suite d’une attaque de drone sur Tel-Aviv qui avait fait une victime, à l’époque. « Nous sommes déterminés à couper cette branche terroriste de l’axe du mal iranien. Nous continuerons jusqu’à ce que le travail soit fini », a déclaré Benyamin Nétanyahou, après l’attaque israélienne, jeudi.

Mais ces déclarations martiales ne cachent pas l’embarras d’Israël face aux houthistes, qui contrôlent le Yémen depuis 2014. Ils ne constituent pas une menace existentielle mais empêchent le retour à une vie normale, selon l’historien militaire à l’université hébraïque de Jérusalem Danny Orbach : « Israël a remporté des victoires sur beaucoup de fronts, Gaza, le Liban, la Syrie et même l’Iran, mais les houthistes s’imposent, de façon surprenante, comme un gros problème. »

Les projectiles yéménites ont percé par deux fois, les 21 et 22 décembre, la défense antiaérienne israélienne, censée être l’une des plus performantes au monde, et ont forcé l’armée à revoir ses procédures. Selon le journal israélien Yediot Ahronot, la principale conclusion a été de lancer deux missiles intercepteurs Arrow dans le cas où la cible pourrait être manquée. Une décision difficile à prendre, car ces armes sont coûteuses – près de 4 millions d’euros à l’unité –, longues à fabriquer, et elles sont précieuses contre les attaques aériennes de l’Iran. Israël a bien pu compter sur l’aide d’une batterie de défense américaine Thaad (Terminal High Altitude Area Defense), qui a contribué à l’interception d’un projectile vendredi. Le système a été déployé en octobre sur le territoire israélien. Mais la disponibilité de ce type d’armement est limitée, notamment depuis l’invasion russe de l’Ukraine.

Sur le plan offensif, Israël est confronté à un autre dilemme. David Barnea, le chef du Mossad, a estimé, face au cabinet de sécurité israélien, qu’il fallait frapper l’Iran, afin que la République islamique fasse pression sur les houthistes. L’état-major préfère, lui, attaquer directement le territoire yéménite. « Nous avons assez de guerres à mener comme ça. Les houthistes parviennent, ici et là, à pénétrer notre système de défense, mais ils ne causent pas de réels dommages à Israël. Nous devons rester concentrés. Si nous faisons 2 000 kilomètres en avion, ça devrait être jusqu’à Téhéran, pas jusqu’à Sanaa », estime le général à la retraite Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale de Benyamin Nétanyahou.

Un plus grand engagement
Mais le premier ministre semble avoir pour l’instant fait le choix d’attaques directes, bien que celles-ci posent d’autres problèmes, reprend l’historien Danny Orbach : « D’une part, le Yémen est loin. Il faut planifier les attaques longtemps à l’avance. On ne peut les multiplier. D’autre part, nous n’avons que très peu d’informations sur les houthistes. Je ne suis même pas sûr que nous ayons des agents parlant le dialecte local. »

Israël espère un plus grand engagement de la communauté internationale, et notamment de la prochaine administration américaine avec Donald Trump à la Maison Blanche. Les houthistes attaquent les navires transitant par la mer Rouge en provenance d’Asie et en direction de la Méditerranée et de l’Europe. Ces opérations, présentées comme visant des navires liés à Israël, ont provoqué une baisse du trafic maritime, dans une région cruciale pour l’économie mondiale.

Mais qui osera s’attaquer aux rebelles yéménites ? L’Arabie saoudite et, en partie, les Emirats arabes unis se sont enferrés entre 2015 et 2023 dans une guerre qui a fait des centaines de milliers de victimes, n’aboutissant qu’à renforcer les maîtres de Sanaa. Riyad ne s’en est sorti en avril 2023 qu’en se rapprochant de… Téhéran. Malgré les coups portés par Israël, l’Iran et son « axe de la résistance » n’ont pas encore dit leur dernier mot.