Israël-Hezbollah : l’apocalypse peut-elle encore être évitée ?

Israël-Hezbollah : l’apocalypse peut-elle encore être évitée ?
السبت 29 يونيو, 2024

Proche-Orient. Les tensions entre Israël et le Hezbollah risquent à tout moment de se transformer en un conflit d’envergure. Mais aucun camp n’a intérêt à une guerre totale, qui serait dramatique pour le Liban comme pour l’Etat hébreu.

Par Corentin Pennarguear, avec Hamdam Mostafavi et Louna Mossovic, L'Express

Sur le Liban, les pessimistes ont pris le pouvoir. L'ONU évoque "une apocalypse" à venir, les Etats-Unis "un désastre pour le Moyen-Orient" et Israël un retour du pays du Cèdre "à l’âge de pierre". Comme si le pire était inévitable. Comme si une guerre totale entre Israël et le Hezbollah, milice chiite radicalisée qui contrôle le sud-Liban, ne pouvait plus se dérober. Déjà, les amoureux du Liban annulent leurs vacances d’été dans ce qui était considéré, il n’y a pas si longtemps, comme "la Suisse du Proche-Orient". Pourtant, comme l’assure un diplomate européen, "le pire n’est jamais sûr".

Depuis le 7 octobre et les massacres commis par le Hamas en Israël, les échanges de feu sont quotidiens à la frontière libanaise. Près de 100 000 civils israéliens ont été évacués du nord du pays et 100 000 Libanais du sud ont fui la zone. Un exode qui dure depuis bientôt neuf mois.

Ces dernières semaines, cette guerre de basse intensité entre le Hezbollah et Israël monte en puissance, entre escalade verbale, drones en territoires ennemis et intensification des frappes. La situation semble mûre pour dégénérer en conflit global. "Malheureusement, le Hezbollah ne montre pas qu’il peut se comporter de manière responsable, souffle un diplomate occidental qui suit de près le dossier. Il montre plutôt l’inverse. Dans l’intérêt du Liban et des Libanais, il ne faut ne surtout pas se résoudre à l’inéluctable, qui serait une opération militaire israélienne massive." Voici plusieurs raisons d’espérer.

1 - Un risque immense pour Israël
Depuis des années, les responsables israéliens l’évoquent lors de chaque rencontre avec des dignitaires étrangers : la plus grande menace immédiate pour Israël n’est ni le Hamas, ni l’Iran, mais bien les milliers de roquettes du Hezbollah à sa frontière nord, braquées sur les millions d’habitants de ses grandes villes. D’après les renseignements israéliens, la milice libanaise disposerait d’au moins 150 000 missiles et roquettes, et de plus de 100 000 soldats. Des capacités quatre à cinq fois supérieures à celles du Hamas, une organisation qui résiste à l’armée israélienne depuis neuf mois dans la bande de Gaza. "L’arme principale du Hezbollah aujourd’hui n’est plus le terrorisme mais ses 150 000 roquettes pointées vers Israël et qui feraient bien plus de dégâts que n’importe quel attentat, souligne Christophe Ayad, journaliste au Monde et auteur de Géopolitique du Hezbollah (chez Puf, 2024). Ce ne sont pas 1200 civils israéliens qui sont menacés, mais au moins 15 000…"

La puissance du Hezbollah poserait un problème insoluble à la défense israélienne : comment contrer les 2500 à 3000 tirs de roquettes qui s’abattraient chaque jour sur le pays, selon les évaluations d’experts ? Le dôme de fer israélien a beau être l’un des systèmes de défense antiaérien les plus efficaces au monde, avec un taux d’interception supérieur à 90 %, il ne pourra pas protéger les mégalopoles d’un tel déluge de feu. "Il n’existe aucun doute sur la supériorité militaire et stratégique d’Israël par rapport au Hezbollah, reprend Christophe Ayad. Mais Israël est-il prêt à supporter le poids de la mort de milliers de civils dans cette guerre ? C’est une société démocratique, donc bien plus vulnérable qu’un mouvement théocratique qui se montre prêt à assumer des pertes civiles immenses et qui se comporte comme une guérilla, estimant donc qu’il n’a pas de compte à rendre à la population libanaise."

2 - Un front de trop pour l’armée israélienne
Quel est le meilleur moment pour se débarrasser de la menace Hezbollah ? La question agite l’establishment militaire israélien depuis des années, mais le débat n’a jamais été aussi fort que depuis le 7 octobre dernier. Certains, comme l’ancien chef d’Etat-major (et possible futur Premier ministre) Benny Gantz, estiment que Tsahal "peut plonger le Liban complètement dans le noir et démanteler le Hezbollah en quelques jours".

Problème : Tsahal est déjà surmobilisée depuis neuf mois dans la bande de Gaza, avec le Hamas qui ressurgit dans des zones pourtant "nettoyées", et ne peut pas se désengager de la Cisjordanie, où des groupes palestiniens tentent d’enclencher une révolte. "Israël fait face à un profond déficit d’hommes pour mener de nombreuses guerres simultanées, écrivait le journal Haaretz ces derniers jours. Le pays doit réfléchir à ses choix de conflit, tant qu’il a encore la liberté de faire ces choix."

Avec des réservistes épuisés, une nation traumatisée par le 7 octobre et une économie à bout de souffle, le gouvernement israélien hésite forcément à lancer une offensive coûteuse au nord. Humainement et moralement. "Israël sait qu’en déclenchant une guerre au Liban, le résultat espéré - la destruction du Hezbollah - n’est pas assuré, pointe Christophe Ayad. D’ailleurs, personne n’y croit."

Sans compter les conséquences politiques : au sein même du gouvernement, alliance baroque entre la droite du Likoud et l’extrême droite, les positions apparaissent loin d’être tranchées. Une attaque contre le Liban pourrait briser ce fragile équilibre politique et provoquer sa chute. D’autant que, contrairement aux apparences, le Premier ministre Benyamin Netanyahou n’est pas un va-t’en guerre, lui qui n’avait jamais initié des conflits d’envergure avant le 7 octobre, principalement par peur de les perdre. "Netanyahou n’aime pas du tout faire la guerre et il la fait mal, insiste le géopolitologue Frédéric Encel, auteur de Les voies de la puissance (Editions Odile Jacob, 2022). Il a toujours tenté de l’éviter, y compris contre le Hamas, avec qui il ne la faisait que partiellement pendant des années."

3 - La menace d’une destruction du Liban
Au moins, le risque de guerre n’a pas retiré l’humour libanais légendaire. Alors que des responsables israéliens promettent de plonger le pays du Cèdre "dans le noir" en cas de conflit ouvert avec le Hezbollah, les Libanais sont nombreux à avoir relevé qu’ils passaient déjà plusieurs heures par jour dans l’obscurité en raison des coupures de courant omniprésentes chez eux. Un symbole de la situation économique et sociale terrible que traverse le pays du Cèdre depuis des années. "Si le Hezbollah continue à attaquer Israël, ça va mal finir pour le Liban, avertit un diplomate européen. Les Libanais savent malheureusement d’expérience que les opérations israéliennes dans leur pays provoquent des dégâts terribles pour l’ensemble des Libanais." La dernière intervention de Tsahal au Liban, en 2006, est considérée par beaucoup comme le point de départ de la spirale infernale dans laquelle s’enfonce chaque jour le pays.

Depuis des années, le Liban affronte une crise économique toujours plus folle, avec une classe moyenne plongée dans la pauvreté et des services publics inexistants. "Au Liban, les autres communautés font de plus en plus du Hezbollah - et à juste titre - le responsable non seulement d’une grande partie des malheurs depuis 2006 [NDLR : et la guerre contre Israël], mais aussi de la situation socio-économique catastrophique, relate Frédéric Encel. Le Hezbollah vampirise le Liban, c’est un Etat dans l’Etat. S’il attirait les foudres d’Israël sur l’ensemble du Liban, le Hezbollah serait vraisemblablement encore davantage contesté."

Or, comme le remarque le spécialiste du Moyen-Orient, "le Hezbollah est dirigé par des fanatiques, mais pas par des imbéciles". "Ce sont des gens qui procèdent à une politique violente, certes, mais pragmatique, poursuit Frédéric Encel. En Occident, on confond trop souvent les gens violents et les gens stupides." Pour son propre avenir politique, le Hezbollah de Nasrallah pourrait donc rapidement faire redescendre l’escalade avec l’ennemi israélien.

4 - Le Hezbollah, un joyau bien trop précieux pour l’Iran
Malgré ses dizaines de milliers de combattants et ses innombrables roquettes, le Hezbollah doit encore obéir aux ordres de son maître, le régime iranien. Ses finances, ses armes et sa doctrine arrivent encore directement de Téhéran. "La République islamique considère le Hezbollah comme son fils, c’est la référence absolue des milices que le régime iranien cherche à mettre en place au Moyen-Orient, avance Kasra Aarabi, directeur de recherche à United Against Nuclear Iran. C’est un atout inestimable placé à quelques kilomètres seulement de l’ennemi israélien."

Dans "l’axe de la résistance" mis en place par l’Iran dans la région, le Hezbollah tient une place à part. Son leader, Hassan Nasrallah, est presque considéré comme un membre du régime iranien, tant il est proche de l’ayatollah Khamenei. Certaines rumeurs en font même un successeur potentiel du Guide suprême iranien, alors qu’il est libanais… "Le Hezbollah est le dernier élément que le régime iranien serait prêt à sacrifier en cas de grande confrontation avec Israël, poursuit Kasra Aarabi. Les Gardiens de la révolution [NDLR : la force paramilitaire du Guide iranien] préfèrent que le Hezbollah reste un peu en retrait, tout en maintenant un niveau d’engagement contre Israël similaire à ce qu’il a commencé le 7 octobre."

Depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, la milice libanaise tire chaque jour des roquettes sur le nord d’Israël, afin de maintenir une pression militaire sur l’État hébreu. Cette guerre de basse intensité oblige Tsahal à garder une présence sur plusieurs fronts et à ne pas lancer toutes ses forces contre le Hamas. Un soutien de poids pour l’organisation palestinienne, mais aussi un atout pour l’Iran.

Le géopolitologue Frédéric Encel évoque tout de même un cas de figure dans lequel le régime iranien pourrait pousser à la confrontation, et ainsi risquer de perdre sa précieuse milice libanaise. "Une guerre entre le Hezbollah et Israël me paraît encore improbable, mais les accidents sont toujours possibles, estime le spécialiste du Moyen-Orient. La République islamique, si elle est aux abois en interne, jouera le tout pour le tout en externe et fera se confronter le Hezbollah et Israël." Les pessimistes auront alors eu raison.