Israël intensifie sa pression sur le Hezbollah

Israël intensifie sa pression sur le Hezbollah
الجمعة 20 سبتمبر, 2024

Sans franchir le pas d’une opération terrestre au Liban, l’armée israélienne se prépare à une guerre ouverte.

Par Jean-Philippe Rémy (Jérusalem, correspondant), Le Monde


Sans préjuger de l’ampleur que prendra la riposte militaire du Hezbollah, qualifiée par anticipation de « terrible » jeudi 19 septembre par son chef, Hassan Nasrallah, après la vague d’explosions de bipeurs et de talkies-walkies mardi et mercredi – qui a fait 37 morts et quelque 3 000 blessés principalement dans les rangs du groupe armé libanais, mais aussi au sein de la population civile –, Israël se prépare à la possibilité d’une guerre ouverte au Liban.

Du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, au ministre de la défense, Yoav Gallant, les dirigeants israéliens et les responsables militaires martèlent les termes d’une ligne directrice, selon laquelle un conflit de haute intensité avec le Hezbollah impliquant une opération terrestre au Liban est envisageable, et qu’un rien serait capable de le déclencher. « La bascule pourrait être rapide », estime une source diplomatique occidentale. La veille, le ministre de la défense répétait que « le centre de gravité [du conflit] se déplace vers le nord », avec pour conséquence d’y consacrer « des forces, des ressources et de l’énergie » employées jusqu’ici dans la bande Gaza.

Jeudi soir, à l’issue d’une journée marquée par une série de frappes aériennes ayant visé une centaine de sites de lancement de roquettes, le ministre de la défense assurait que les opérations militaires allaient « continuer ». Les jours précédents, des manœuvres simulant une invasion du territoire libanais avaient été menées vers la frontière, impliquant deux brigades. En réponse, le Hezbollah a aussi intensifié ses tirs vers Israël. Jeudi, deux soldats israéliens ont été tués.

« Recentrage »
Alors qu’une longue série de tirs et de frappes par-delà la « ligne bleue » (frontière tracée par l’ONU entre le Liban et Israël) a installé les deux camps dans une guerre d’usure au lendemain de l’attaque du Hamas en territoire israélien, le 7 octobre 2023, les préparatifs en vue d’un conflit ouvert ont été menés du côté israélien au cours de l’été, et ont connu une accélération en septembre, notamment en termes de transferts de troupes. Lundi 16 septembre, Le Monde a ainsi rencontré un parachutiste récemment sorti de Gaza, après des mois d’opération. Avec d’autres éléments de la même brigade, ce dernier faisait une pause à Jérusalem avant de se rendre dans le nord d’Israël, en direction de son nouveau cantonnement près de la frontière.

L’armée a annoncé mercredi avoir transféré toute la 98e division – dont fait partie la brigade parachutiste – dans le nord du pays. Au total, les observateurs estiment que trois quarts des effectifs qu’Israël devait extraire de Gaza pour les déplacer dans le nord de l’Etat hébreu, avant d’être en mesure de mener une opération au Liban, seraient déployés dans la zone frontalière, ou en passe de l’être. Dans le même temps, les opérations et les frappes aériennes se poursuivent dans la bande de Gaza.

La décision politique israélienne de transférer le « centre de gravité » vers le nord a pour objet de changer les termes du conflit en obtenant, par la force ou des négociations, l’instauration d’une zone tampon démilitarisée dans le sud du Liban. Ce « recentrage » n’est pas seulement militaire : l’attention portée au nord de l’Etat Hébreu est aussi une façon de détourner celle de l’opinion israélienne à l’égard des otages encore détenus à Gaza par le Hamas, faisant s’éloigner les derniers espoirs d’un accord de cessation des hostilités avec le mouvement islamiste et d’un échange entre otages et prisonniers palestiniens. Il entend aussi mettre l’accent sur le sort des quelque 80 000 Israéliens qui, face à la montée des tensions, ont dû quitter les villes et villages du nord du pays.

Mais, en dépit des déclarations israéliennes promettant « de dégrader l’infrastructure de l’organisation terroriste du Hezbollah ainsi que ses capacités », des interrogations persistent sur l’objectif stratégique final de l’Etat hébreu. Sima Shine, ex-spécialiste du dossier de l’Iran et de ses alliés au sein du Mossad (service de ren seignement extérieur israélien), aujourd’hui chercheuse à l’Institut pour les études de sécurité nationale de l’université de Tel-Aviv, juge qu’en dépit de l’aspect « très spectaculaire et très sophistiqué de l’opération [de mardi et mercredi], celle-ci ne change rien à la situation stratégique. Israël ne veut pas, en réalité, d’une guerre qui aurait des effets destructeurs immenses pour les deux camps. Cela fait déjà un an que nous sommes en guerre, et le pays est épuisé. Si ce conflit nous est imposé, en revanche, ce serait différent ».

Dans ce contexte, la réplique attendue du Hezbollah a potentiellement le pouvoir de mettre le feu aux poudres, même si aucun des deux camps ne le souhaite. « La balle est dans le camp du Hezbollah. Ce n’est pas nous qui avons commencé cette guerre, on ne le dira jamais assez. S’ils veulent la terminer, c’est maintenant. Mais nous n’avons pas peur d’une escalade si c’est pour mettre fin à cette situation », analyse Yaakov Amidror, ex-responsable du Conseil national de sécurité, proche des cercles sécuritaires israéliens.

Dans l’immédiat, aucune décision de déclencher un conflit plus large n’a été annoncée par le premier ministre. L’armée israélienne a toutefois intensifié ses frappes aériennes au cours de l’été, visant à la fois des sites de lancement de roquettes et de missiles, ou des responsables de la chaîne de commandement. Le 8 septembre, une opération aéroportée de forces spéciales israéliennes en Syrie, visant des installations souterraines près de Masyaf, a été menée avec succès. Les commandos s’étaient frayé un chemin jusque dans les installations souterraines hors de portée des bombardements, et y avaient détruit des sites de production de drones et de missiles guidés. L’intervention était destinée à couper une route importante de réapprovisionnement en armes du Hezbollah.

RÉSEAU DE TUNNELS
Dans ce contexte de tensions croissantes, l’opération du déclenchement des explosifs des bipeurs et talkies-walkies ne constituerait pas un élément d’escalade conçu comme tel. Une source diplomatique occidentale estime au contraire qu’elle a été précipitée : « Ce système complexe avait été conçu pour accompagner le début d’une guerre, afin de désorganiser le Hezbollah au moment de l’entrée de troupes israéliennes sur le territoire libanais. Mais il a fallu tirer cette cartouche parce qu’ils [les Israéliens] se sont aperçus que leur système était sur le point d'être détecté. » Bassem Mroue, journaliste d’Associated Press au Liban, cite sur X une de ses sources libanaises, qui mentionne une série d’incidents ayant poussé des « membres du Hezbollah à envoyer leurs bipeurs chez des réparateurs, parce qu’ils ne fonctionnaient pas correctement ; par exemple, ils ne recevaient pas de signaux »

Mais des inconnues subsistent : quelle est l’ampleur réelle du réseau de tunnels et de souterrains que le Hezbollah, depuis des années, a construit dans plusieurs régions, aussi bien dans le sud du Liban que dans diverses parties du pays, afin d’y stocker les missiles et roquettes de son arsenal, et y installer des bunkers ? Certains de ces tunnels sont creusés en profondeur, dans la roche, pour échapper aux bombardements, et une campagne de frappes massives ne peut espérer venir à bout de l’arsenal qui menace d’infliger à la fois des pertes humaines et des destructions d’infrastructures en Israël.

Reste que l’épisode des bipeurs garde un potentiel d’étincelle, et le calibrage de la réponse du Hezbollah est donc crucial. Selon Sima Shine : « Il faut qu’ils réfléchissent de façon très minutieuse à la façon dont ils veulent répliquer. Ils vont vouloir mener une forme d’action spectaculaire, mais ils doivent prendre en considération le fait qu’Israël est désormais prêt à une guerre ouverte. »