Israël-Iran : le retour de l'Amérique, pour le meilleur ou pour le pire ?

Israël-Iran : le retour de l'Amérique, pour le meilleur ou pour le pire ?
الاثنين 23 يونيو, 2025

Les Etats-Unis viennent-ils de renouer avec la puissance en frappant les sites nucléaires iraniens ? Ou bien ces attaques ne sont-elles que le fruit du narcissisme et de l'imprévisibilité absolus de Donald Trump, s'interroge Dominique Moïsi.


Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) Les Echos

Il est trop tôt encore pour analyser toutes les conséquences de l'attaque américaine sur les sites nucléaires iraniens. Mais pour en prendre la juste mesure, il convient de revenir, à travers quelques dates clés, sur le rapport de l'Amérique à la puissance au XXI siècle: 2001, 2003, 2013, 2021 et désormais 2025.

Le 11 septembre 2001, au sommet de sa confiance en elle-même, l'hyperpuissance d'un monde devenu unipolaire depuis la chute de l'URSS avait connu la pire attaque sur son territoire de toute son existence. Supériorité ne voulait pas dire invulnérabilité, bien au contraire. Victime de son hubris, l'Amérique avait gravement sous-estimé la menace. Après en avoir fait trop peu avant 2001, elle en a fait trop en 2003, animée par un esprit de revanche, fondé sur l'illusion que la démocratie à Bagdad, amènerait la paix à Jérusalem. Les bolcheviks de la démocratie, en entrainant les Etats-Unis dans des aventures militaires coûteuses et douteuses, ne firent qu'accélérer son processus de déclin relatif, sinon absolu.

En 2013, après en avoir fait trop en Irak et en Afghanistan (sans oublier la Libye) l'Amérique d'Obama en fit à nouveau trop peu en Syrie, refusant d'appliquer les lignes rouges que le président Obama avait lui-même fixées au régime de Damas. Moscou tira immédiatement les leçons de la passivité américaine. La Russie allait s'emparer presque sans coup férir de la Crimée quelques mois plus tard en 2014. Le 15 août 2021, la chute humiliante de Kaboul, avec ses échos lointains de la chute de Saïgon en 1975, allait renforcer Poutine dans sa conviction que le temps était venu pour la Russie de ne pas se contenter de la Crimée, mais de reprendre l'ensemble de l'Ukraine. Le retour de la guerre en Europe en 2022 peut apparaître sous cet angle comme la conséquence directe du rapport toujours plus distancié de l'Amérique à la puissance. Dans les yeux de Moscou, sinon de Pékin, l'Amérique n'était plus qu'un « tigre de papier».

Arrive la nuit du 21 au 22 juin 2025. L'Amérique a-t-elle renoué avec la puissance? Elle n'avait jamais cessé d'être la première puissance militaire et économique mondiale. Il semblait qu'elle l'avait, sinon oubliée, tout du moins négligée. Et l'actuel locataire de la Maison-Blanche entretenait (délibérément ou non, par ruse véritable ou incohérence profonde) des doutes sur ses intentions réelles.

Tromper l'ennemi
Quel était vraiment l'agenda prioritaire de Donald Trump dans le monde? Faire la preuve de la supériorité de son pays, redevenu grand à nouveau, ou se retirer d'un monde qui ne valait pas que l'on s'intéresse à lui? L'Amérique sous Trump II était-elle devenue isolationniste ou unilatéraliste? Les événements de la nuit dernière semblent apporter la preuve qu'elle n'était ni l'une ni l'autre. Une puissance isolationniste prendrait-elle les risques que vient de prendre l'Amérique ? Et une puissance unilatéraliste s'appuierait-elle, comme Washington vient de le faire, sur les conseils, et plus encore l'assistance, d'un de ses alliés les plus proches, Israël ? Les bombes étaient à Washington, mais le cerveau était-il à Jérusalem?

Peut-on distinguer l'ADN de l'instinct? Son ADN ne portait pas Trump vers la guerre, disait-on. L'opposition de sa base républicaine isolationniste ne pouvait que le confirmer dans sa prudence. Mais les doutes du Pentagone sur l'efficacité des superbombes ne constituaient qu'un leurre pour mieux tromper l'ennemi. Son instinct mais plus encore son narcissisme absolu conduisaient Trump à vouloir entrer dans l'histoire par la grande porte. Il restera comme un président transformateur, l'homme qui n'a pas reculé devant une prise de risque considérable. A quoi bon être le seul à posséder une bombe d'une puissance unique, si ce n'est pour s'en servir? L'imprévisibilité absolue peut constituer une arme redoutable en matière stratégique.

Reste une question majeure: le monde est-il plus sûr depuis que l'Amérique a joint ses forces à celles d'Israël pour éviter qu'un régime à l'idéologie absolue ne se dote d'une arme absolue? Sommes-nous à la veille de la chute d'un régime corrompu, cruel et sclérosé, qui s'est piégé lui-même en déclarant ses intentions (détruire l'entité sioniste) sans en avoir les capacités? Ou bien nous trouvons-nous à la veille d'une escalade aux conséquences imprévisibles? Autrement dit: l'Amérique est de retour. Mais pour le meilleur ou pour le pire? Pendant près de quatre-vingts ans, elle était un principe d'ordre. Est-elle devenue un principe de désordre? Ou vient-elle de faire en partenariat étroit avec Israël le sale boulot pour nous, pour reprendre la formule du chancelier d'Allemagne, Frédéric Merz ?