L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. L’État juif est de plus en plus seul dans son combat antiterroriste. Il n’a pourtant pas le choix.
Le Point
Plus de cent jours après les massacres perpétrés par le Hamas, l'État d'Israël se trouve plus isolé qu'il ne l'a jamais été en soixante-seize ans d'existence. Le nombre de pays qui manifestent un minimum de compréhension pour la guerre qu'il mène à Gaza se réduit comme peau de chagrin. En face, ceux qui tirent profit du drame se frottent les mains, qu'ils y voient un moyen d'étendre leur influence maléfique (Iran), de détourner l'attention de leurs propres crimes (Russie), d'affaiblir l'Occident (Chine), de satisfaire leurs fantasmes anticoloniaux (Algérie) ou de se poser à peu de frais en leader du Sud global» (Afrique du Sud).
Les États-Unis s'impatientent devant la prolongation des combats, qui gène les perspectives de réélection du président Biden. L'Allemagne, pays pro-israélien s'il en est, ne tait plus ses critiques contre les opérations militaires qui n'épargnent pas les civils. La France, deuxième pays le plus touché (40 citoyens français ont été tués le 7 octobre, sinistre bilan auquel il faut ajouter Eliya Toledano, l'otage retrouvé mort le mois dernier à Gaza), prend ses distances. Emmanuel Macron s'est abstenu de s'y rendre à l'occasion des cent jours. Il s'est contenté d'enregistrer une vidéo, où il assure aux familles des trois otages français que la France n'abandonne pas ses enfants. On a vu soutien plus déterminé.
L'État juif n'a probablement plus que quelques semaines devant lui avant d'être obligé de céder aux pressions. Or, rien de ce qui a été promis il y a trois mois par ses dirigeants politiques et militaires n'a été réalisé pour le moment. Le Hamas n'a pas été anéanti. Ses chefs dans la bande de Gaza, concepteurs du pire massacre de Juifs depuis la Shoah, courent toujours. Tous les otages n'ont pas été libérés, loin de là. Il en reste au moins 130 aux mains des djihadistes. Et la sécurité d'Israël n'a pas été restaurée, ni au sud du pays, où le Hamas continue à clamer qu'il éradiquera l'Etat juif, ni au nord, où le Hezbollah tire quotidiennement des missiles contre les zones civiles. L'armée israélienne a pourtant enregistré quelques succès tactiques. Elle revendique le fait d'avoir mis hors de combat plus de la moitié des 24 bataillons dont disposait le Hamas et d'avoir éliminé quelque 60% de ses cadres militaires intermédiaires. Quant au "métro de Gaza", moins de la moitié de ce réseau souterrain, dont l'ampleur avait été gravement sous-estimée par Israël, aurait été détruite à ce jour.
Ces résultats sont tragiquement insuffisants pour arrêter les hostilités. Car que se passerait-il si Israël déposait les armes ? Avec ses otages, le Hamas aurait les moyens de le faire chanter pendant des années. Il continuerait à contrôler la bande de Gaza. Ses chefs seraient érigés en héros à travers le monde arabo-musulman. Vladimir Poutine et Xi Jinping se féliciteraient des atteintes portées aux intérêts occidentaux. L'Iran et ses milices supplétives au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban se sentiraient pousser des ailes. Les officines djihadistes, Daech en tête, seraient encouragées à reprendre leurs attentats, ne serait-ce que pour montrer qu'elles sont aussi capables que le Hamas d'infliger des coups mortels à leurs ennemis au nombre desquels nous figurons. Est-ce vraiment cela que l'on souhaite ?
Si l'exaspération internationale croît, c'est en raison de la peur qu'inspire l'escalade régionale en cours, mais aussi parce que la situation humanitaire est épouvantable dans la bande de Gaza. Environ 1% des 2,4 millions de personnes qui y vivaient avant la guerre ont été tuées. La souffrance des civils palestiniens, transformés en boucliers humains par le Hamas, nous impressionne davantage que celle des familles des otages.
L'isolement croissant d'Israël renforce le mouvement islamiste, qui se sent dans une position suffisamment solide pour rejeter les dernières propositions de compromis avancées par l'Egypte et le Qatar. Un sondage palestinien publié en décembre révèle que le soutien au mouvement islamiste atteint un niveau inédit. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, postait sur X il y a trois mois: "Israël peut compter sur la France et l'Europe pour vaincre le terrorisme, où qu'il soit." C'est le moment de s'en souvenir.