Israël : la victoire militaire et ses ombres

Israël : la victoire militaire et ses ombres
الجمعة 3 يناير, 2025

Par Isabelle Lasserre. LE FIGARO.

DÉCRYPTAGE - Ses opérations militaires à Gaza, au Liban et en Syrie ont rétabli la sécurité des frontières de l’État hébreu et affaibli l’axe iranien au Moyen-Orient. Mais les questions politiques sont encore loin d’être réglées.

Aux premières heures de la réponse militaire d’Israël aux massacres du Hamas, le 7 octobre 2023, la victoire semblait hors de portée pour Benyamin Netanyahou. Quatorze mois plus tard, le mouvement terroriste a été décapité, son cousin libanais, le Hezbollah, démembré, et l’influence iranienne en grande partie effacée en Syrie. « Il y a un an, Israël était traumatisé et humilié. Aujourd’hui, nous avons repris la main et c’est l’Iran qui est sur la défensive », résume une source diplomatique israélienne, à l’occasion du Dialogue stratégique Europe-Israël organisé en décembre par l’ONG Elnet.

Les familles des captifs crient toujours leur colère contre le gouvernement sur la « place des Otages » à Tel-Aviv, mais la popularité du premier ministre est remontée. « Même les gens de gauche, prétend la source, se demandent si Bibi n’a pas finalement eu raison et s’il n’est pas le seul à avoir eu une vision stratégique. »

À Gaza, le Hamas est vaincu. À peine reste-t-il, selon une source sécuritaire israélienne, un bataillon d’environ 1000 combattants. Les autres ont été «éliminés» ou «arrêtés». Les frappes se poursuivent désormais pour diminuer l’influence qu’il exerce encore au niveau des infrastructures civiles. «C’est notre stratégie : détruire le Hamas jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’influence à Gaza. Afin de l’empêcher de revenir un jour au pouvoir». Les infrastructures du Hezbollah au Liban ont été en grande partie détruites et les chefs, quasiment tous éliminés, dont le principal, Hassan Nasrallah. «Nous avons ramené le Hezbollah une dizaine d’années en arrière. Il y a trois mois, cela aurait semblé relever de la science-fiction. Mais nous l’avons fait. Le Hezbollah n’est plus le même», s’est félicité Benyamin Netanyahou, au moment du cessez-le-feu instauré au Liban, le 27 novembre.

La chute–inattendue–de Bachar elAssad en Syrie le 8 décembre, conséquence directe de la guerre israélienne contre le Hezbollah et de la guerre en Ukraine, a fourni à Israël une opportunité instantanément saisie par Tsahal. L’armée a profité de l’effondrement du bourreau de Damas, dont elle s’était longtemps accommodée, pour détruire l’arsenal militaire du régime et éviter qu’il ne tombe dans les mains des milices chiites hostiles à Israël ou qu’il ne soit utilisé par les nouvelles autorités djihadistes contre l’État hébreu. Dépôts de munitions, navires, avions et aéroports, missiles, armes chimiques et centres de recherche militaire : tout a été pris pour cible par l’armée israélienne, qui considère la Syrie comme une zone pivot de l’Iran pour le trafic d’armes et l’entraînement des terroristes.

La quatrième étape de la guerre israélienne est en cours et le plus probable est qu’elle se termine aussi par une victoire israélienne. Elle a été déclenchée après de nouvelles attaques de missiles lancées contre l’État hébreu par les houthistes du Yémen, un autre allié de l’Iran qui s’est renforcé au cours des dernières années. Israël a répliqué en frappant les cibles militaires des rebelles, accusés d’être «au cœur de l’axe de la terreur iranien». «Nous allons traquer tous les dirigeants houthistes, les frapper comme nous l’avons fait ailleurs. Personne ne pourra nous échapper», a affirmé le ministre de la Défense, Israel Katz. Promesse réitérée par Netanyahou, qui a assuré que les frappes se poursuivraient «jusqu’à ce que le travail soit fini», car il faut «couper cette branche terroriste de l’axe du mal iranien».

La stratégie du gouvernement israélien a considérablement affaibli l’axe iranien dans la région et coupé «l’autoroute chiite» reliant Téhéran à Bagdad en passant par la Syrie, qui servait entre autres à approvisionner le Hezbollah en armes. Elle a aussi affaibli durablement le régime iranien, privé de ses affidés dans la région, qui lui assuraient protection et dissuasion. Le 7 Octobre a provoqué une redistribution des cartes dans la région, avec des effets inverses de ceux escomptés par leur cerveau, Yahya Sinwar, tué depuis. «C’est la confirmation que le seul langage qui marche dans la région, c’est celui de la force. C’est la puissance, et non la politique, qui domine aujourd’hui», affirme Udi Dekel, chercheur de l’Institute for National Security Studies (INSS) à Tel-Aviv, dans une rencontre organisée par l’American Jewish Committee.

Selon les optimistes, la victoire multifront d’Israël pourrait être suivie d’une victoire diplomatique. Après le cessez-le-feu au Liban, beaucoup misent sur les négociations pour obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages à Gaza avant l’installation de Donald Trump àla Maison-Blanche. En théorie, l’affaiblissement de l’axe chiite pro-iranien peut favoriser une alternative politique dans le camp palestinien et la restauration des institutions au Liban, ainsi qu’un nouvel équilibre à Damas. La «pensée magique» du président élu, qui veut éteindre les guerres en Europe et au Moyen-Orient pour pouvoir se concentrer sur l’Amérique et sur la Chine, et les menaces qui l’assortissent ont relancé l’idée d’unenouvelle intégration régionale entre Israël et les pays arabes modérés.

Mise entre parenthèses depuis le 7 Octobre, la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite est à nouveau sur la table. «MBS doit avancer doucement, à cause de l’opinion publique arabe, très sensible à la cause palestinienne. Mais il pourrait se contenter, à défaut d’un État palestinien, d’un engagement prévoyant “une voie vers la création d’un État palestinien”. Une formule qui pourrait aussi être acceptable par Israël. On peut donc espérer un coup de billard à une bande, avec d’abord un pacte de défense et de sécurité conclu entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, puis un accord de normalisation avec Israël», comme l’expliquait dès avant l’élection de Donald Trumple diplomate Éric Danon, ancien ambassadeur enIsraël.

Mais derrière la victoire militaire et les ouvertures diplomatiques, les ombres sont encore nombreuses. La première vient d’Iran, le cœur du problème israélien, où menaient toutes les plateformes chiites de la région avant qu’elles ne soient prises pour cible par Tsahal. «Le croissant chiite n’a jamais été aussi faible économiquement, politiquement et militairement. L’Iran comprend que sa stratégie, qui consistait depuis quinze ans à occuper Israël avec le Hamas et le Hezbollah, espérant ainsi que l’État hébreu se désintéresserait du nucléaire, a échoué», explique Udi Dekel, le chercheur de l’INSS. Les experts et les diplomates envisagent deux scénarios. Le premier entraînerait l’Iran, pour compenser sa faiblesse, à franchir le pas de la bombe nucléaire. Israël pourrait alors retarder ce projet en bombardant les installations nucléaires de la République islamique, avec ou sans l’aide des États-Unis. «Depuis le 7 Octobre, ce dont il s’agit, c’est d’une guerre entre l’Iran et Israël. Jamais les frappes contre les installations nucléaires n’ont été aussi possibles et aussi probables», commente une source israélienne proche du dossier. À moins que l’effet de souffle provoqué par le retour de Donald Trump fasse renaître un accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran. Mais pour combien de temps? «La politique d’endiguement de l’Iran fournit des solutions temporaires à la plupart des problèmes. Mais elle ne fera queretarder un nouveau 7 Octobre et que ralentir la marche iranienne vers le nucléaire. Sans changement de régime à Téhéran, il ne pourra y avoir de paix au Moyen-Orient», commente un spécialiste iranien vivant en Europe, au Dialogue stratégique Europe-Israël. Avec ou sans Trump, la question ne sera pas réglée en quelques mois. «Le cercle des frontières immédiates d’Israël est désormais à peu près sécurisé. Mais le grand cercle, celui qui va jusqu’à l’Iran, la Turquie et les houthistes au Yémen, sera l’enjeu pour Israël dans les mois qui viennent», prévient Éric Danon.

La deuxième ombre est l’incapacité de Benyamin Netanyahou, à qui la guerre sert de carburant, à imaginer une solution politique pour Gaza. «On doit avoir le confort du pouvoir militaire, car nos voisins sont durs. Mais on doit aussi avoir la volonté d’un compromis», résume Chaim Weitzman, professeur à Reichman University Herzlia, lors d’une rencontre organisée à Tel-Aviv par l’AJC. Certaines voix restent optimistes, même du côté palestinien. Ainsi celle de Samer Abdelrazzak Sinijlawi, directeur des relations avec Israël et la communauté internationale du Fatah. «Détruire le Hamas,c’est bien, mais c’est insuffisant. Les Palestiniens doivent initier le changement afin de provoquer celui d’Israël. Il faut de nouveaux leaderships des deux côtés, car Netanyahou et Abbas ne nous mèneront jamais nulle part. Mais je pense que nous sommes plus proches que jamais d’un rapprochement.»

En attendant, la question de savoir de quoi sera fait le jour d’après à Gaza et qui prendra le contrôle de l’enclave n’est pas réglée. Elle est à elle seule un frein à la paix. «Netanyahou a une vision politique des rapports de force mais pas de solution politique à la crise palestinienne. Il fait passer la sécurité avant la paix. Étant donné sa supériorité militaire, il n’est pas pressé de voir arriver un règlement du conflit», résume l’ancien ambassadeur Éric Danon.

Israël devra aussi affronter pendant longtemps l’isolement international et la montée de l’antisémitisme qui ont accompagné la réponse militaireaux massacres du 7 Octobre. Là encore, Benyamin Netanyahou en porte en partie la responsabilité. «Il a laissé le Hamas faire prévaloir son narratif du conflit en refusant aux journalistes étrangers de couvrir la guerre à Gaza. Il avait oublié que le monstre médiatique mondial doit se nourrir de nouvelles images et de nouvelles émotions tous les jours. Elles ont été fournies par le Hamas, qui a gagné la guerre de la communication, donc la bataille des cœurs, quand Netanyahou a préféré de pas trop utiliser les images du 7 Octobre pour ne pas susciter de nouvelles vocations terroristes» explique Éric Danon.

Dernière ombre au tableau : si les problèmes de la société israélienne ont été mis entre parenthèses par la guerre, ils n’ont pas été réglés. C’est le cas notamment de la réforme de la justice, qui avait précipité des dizaines de milliers de manifestants dans les rues contre le gouvernement. C’est aussi le cas de la disparité de traitement entre les ultraorthodoxes, dispensés de service militaire, et le reste de la jeunesse, une question devenuetrès sensible depuis le début dela guerre. Reste unequestion à laquelle il est encore difficile de répondre. «Tout ça pour quoi? Cette guerre n’a de sens que si le Hamas est balayé définitivement, qu’il ne puisse plus jamais faire d’opérations militaires», explique Éric Danon. L’hubris de Netanyahou le poussera-t-elle à annexer la Cisjordanie? Udi Dekel, à l’INSS, prévient : «Ce serait la fin de l’État d’Israël. Le plus grand danger pour Israël, c’est un État unitaire, car alors il ne sera plus ni démocratique ni juif.»