Emmanuel Macron a nommé l’ancien ministre des Affaires étrangères comme médiateur au pays du Cèdre, qui ne parvient pas à se doter d’un président.
Par Caroline Hayek (à Beyrouth) – L’Express
La première fois qu’il a posé le pied au Liban, c’était à la fin des années 1970. Alors jeune socialiste, Jean-Yves Le Drian découvre un pays en guerre, gangrené par les milices, et caisse de résonance des bras de fer régionaux. Cinq décennies plus tard, c’est en tant qu’envoyé spécial d’Emmanuel Macron qu’il y a effectué à la fin du mois de juin une visite de trois jours. L’ancien ministre des Affaires étrangères commence sa nouvelle mission dans un contexte devenu ordinaire au pays du Cèdre : celui d’une vacance au sommet de l’État liée à l’impossibilité des principaux acteurs de s’entendre sur un compromis, même à minima.
Le Liban est sans président depuis huit mois, à la suite du départ de Michel Aoun en octobre 2022. Lors de la douzième séance parlementaire consacrée à l’élection, le candidat de l’opposition, Jihad Azour, responsable du FMI au Moyen-Orient, a obtenu 59 voix, un peu plus que son principal adversaire, Sleiman Frangié, un chef féodal appuyé par le Hezbollah et ses alliés. Aucun des deux n’a pu atteindre la barre des 65 voix nécessaires pour être qualifié au second tour et encore moins celle des 86 pour une victoire dès le premier. Aucun des deux, à l’heure actuelle, ne semble pouvoir être élu à la magistrature suprême, les deux camps étant arc-boutés sur leur position.
Une nomination pour ouvrir une nouvelle page
Seul un compromis peut permettre de débloquer la situation. C’est en tout cas ce dont est convaincu l’Élysée qui a longtemps appuyé, en coulisses, la candidature de Sleiman Frangié, au motif qu’elle apparaissait comme la plus réaliste. Paris a l’avantage de pouvoir parler avec tous les acteurs, mais a perdu une partie de ses marges de manœuvre en donnant le sentiment de se rapprocher du Hezbollah et de choisir un camp contre l’autre. "On se repositionne désormais comme catalyseur d’une entente plutôt que porteur d’une option exclusive", résume un diplomate français qui a requis l’anonymat. "Les Français sont sortis de l’équation précédente, mais ils ne sont pas dans une nouvelle équation. Ils sont entre les deux", nuance Joseph Bahout, directeur de l’institut Issam Farès à l’Université américaine de Beyrouth.
La nomination de Jean-Yves Le Drian a pour objectif d’ouvrir une nouvelle page dans ce dossier. Le "Menhir" a l’habitude de ce type de négociations et peut s’appuyer sur ses bonnes relations avec les dirigeants arabes, notamment dans le Golfe, pour tenter de débloquer la situation. Lors de sa visite, l’ancien ministre a fait la tournée des acteurs et a surtout pris le temps de les écouter pour bien identifier les zones de blocage. Auprès de tous ses interlocuteurs, il a aussi beaucoup insisté sur "l'affection particulière" qu'il porte au Liban. Dans le livre d'entretiens avec Jean-Michel Djian (éditions Ouest-France, janvier 2023), Jean-Yves Le Drian confie avoir eu un regret : celui que "(leurs) efforts pour aider le Liban (...), n'aient pas empêché ce pays de sombrer dans la crise et le marasme". Sa nouvelle mission sonne comme une seconde chance.
"Il repart de zéro", assure Charles Jabbour, porte-parole des Forces libanaises, le parti le plus virulent dans l’opposition au Hezbollah. Ce dernier considère que la situation régionale lui est favorable en raison de la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Un militaire en recours à la présidence ?
Mais cette nouvelle équation, ainsi que l’accord sur la démarcation de la frontière maritime conclu entre Israël et le Liban en octobre dernier, pourrait obliger le Hezbollah à se recentrer sur la scène intérieure où il apparaît de plus en plus isolé en raison de la détérioration de ses relations avec son principal allié chrétien, le Courant Patriotique libre, qui s’oppose à la candidature de Sleiman Frangié. Le petit-fils de l’ancien président du même nom est en quelque sorte une "assurance-vie" pour le parti chiite à laquelle il n’est pas prêt à renoncer à moins d’obtenir de grandes concessions en échange. "Nous voulons un président qui ne poignarde pas la Résistance dans le dos", avait assuré le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, en novembre dernier. Mais sans le soutien d’un des deux grands partis chrétiens, il paraît impossible, même pour le tout-puissant Hezbollah, de faire élire son candidat.
En face, il n’est pas question d’offrir à la formation chiite une victoire qu’elle n’est pas capable, pour le moment, d’obtenir d’elle-même, dans un contexte où sa nature milicienne est à nouveau un sujet de grande polarisation dans le pays. Mais ce camp est marqué par la rivalité entre les deux grands leaders chrétiens, Samir Geagea et Gebran Bassil, et ne peut, de toute façon, imposer son candidat au Hezbollah sans risquer une escalade sur le plan sécuritaire. "Le blocage est très clair, mais le côté positif, c’est que tout le monde appelle à un dialogue", dit le diplomate français. Un dialogue qui pourrait aboutir, comme ce fut le cas par le passé, à l’élection du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, la troupe étant la seule institution pouvant se prévaloir d’une certaine neutralité.
Les esprits ne semblent toutefois pas assez mûrs pour un compromis. "Le rapprochement irano-saoudien est en train de produire des effets et les deux puissances régionales vont probablement finir par parler du Liban", avance néanmoins Joseph Bahout. Paris table sur ses bonnes relations avec Riyad pour accélérer le processus, sans succès pour le moment. D’ici que cela se concrétise, Jean-Yves Le Drian devra certainement effectuer plusieurs visites au Liban, la prochaine étant prévue ce mois-ci. Celui qui avait décrit, en décembre 2020, le pays du Cèdre comme le "Titanic sans l’orchestre" devra réussir à s’extirper d’une situation où tant d’autres avant lui, y compris l'actuel président français, ont échoué.