Pour les démocrates, la candidate doit réussir à convaincre les électeurs qu’elle est meilleure que son concurrent sur cet enjeu phare
Aaron Zitner, The Wall Street Journal / L'Opinion
Alors que la question est essentielle pour l'emporter dans les Etats décisifs, certains alliés de Kamala Harris redoutent que la - candidate démocrate ait du mal à convaincre les électeurs qu'elle est la plus qualifiée pour gérer l'économie américaine.
La vice-présidente est au coude-à-coude avec Donald Trump dans les sondages et parfois légèrement devant l'ex-président - et a réussi le débat de la semaine dernière. Pourtant, pour les stratèges démocrates et anti-Trump, son programme économique a toujours du mal à convaincre et faire de l'ombre à M. Trump et son image d'homme grâce à qui l'économie américaine a connu, avant la crise sanitaire, une période faste. Un souvenir qui reste le meilleur atout du candidat républicain. « C'est là que Harris doit travailler, sur la question économique, parce qu'elle fait partie d'une administration qui a perdu en crédibilité sur ces sujets », affirme Evan Roth Smith, responsable des sondages chez Blueprint, une initiative démocrate.
Malgré des propositions en faveur des consommateurs, des parents, des primo-accédants et des petites entreprises, selon lui, les idées de Mme Harris n'ont pas encore convaincu les indécis qui « ont des problèmes que les politiques ne traitent pas ». Pour lui, ce doit être « sa mission no 1 » pendant la campagne.
Stratège républicain, Mike Murphy a le même avis : « c'est sur ce point qu'elle doit progresser, qu'elle doit travailler, parce qu'elle ne l'a pas vraiment fait pendant le débat ».
Dans le camp démocrate, on espère que les bonnes nouvelles économiques de ces derniers temps vont jouer en faveur de Mme Harris. L'inflation continue de ralentir et les revenus des ménages ont retrouvé leurs niveaux d'avant-Covid, ce qui pourrait aider la candidate à répondre à une question qu'elle avait esquivée pendant le débat: la situation financière des Américains est-elle meilleure qu'il y a quatre ans?
Les sondages montrent que les électeurs continuent d'avoir peur de l'inflation et qu'ils estiment que M. Trump est meilleur que Mme Harris pour faire baisser les prix. Lors d'un sondage réalisé fin août par The Wall Street Journal, 38% des électeurs indiquaient que le coût de la vie continuait d'augmenter et de peser lourd sur leur famille, un record depuis fin 2021. Chez ces personnes, M. Trump l'emportait dans 71% des cas. Par ailleurs, 26% des personnes interrogées estimaient que les tensions sur les prix leur posaient des problèmes mineurs.
Les électeurs indécis étaient plus susceptibles que les autres de dire que l'économie et l'inflation sont leurs principales sources de préoccupation. Au sujet de l'économie au sens large, les électeurs interrogés par le WSJ estimaient que M. Trump serait meilleur gestionnaire que Mme Harris; ils lui donnaient huit points d'avance, avance qui montait à 43 points chez les indécis.
James Carville, stratège historique du camp démocrate, mise sur la décision que la Réserve fédérale devrait prendre cette semaine pour redonner le sourire aux Américains. Même si Mme Harris ne parvient pas à les rassurer sur l'économie, explique-t-il, une baisse des taux et d'autres bonnes nouvelles dans ce domaine pourraient l'aider à démontrer que les choses s'améliorent, et que cette amélioration pourrait s'arrêter si M. Trump est élu.
« Des médias qui disent que les taux baissent, ça peut toucher les gens, affirme M. Carville. Je ne pense pas que l'idée soit de convaincre les gens que les choses vont mieux qu'ils ne le pensent, mais de leur montrer qu'ils ont des choses à perdre. »
M. Trump, de son côté, martèle que le programme économique de sa concurrente ne comporte aucune idée nouvelle et s'inscrit dans la veine de celui du président Biden, fort peu apprécié des électeurs. Vendredi, son équipe de campagne a diffusé une vidéo de Mme Harris vantant les « Bidenomics », assortie d'un extrait du débat pendant lequel M. Trump déclare: elle n'a pas de plan, elle a juste copié celui de Biden ».
Micah Roberts, sondeur républicain qui a interrogé des électeurs sur leur vision de l'économie pour CNBC, se dit sceptique quant à la capacité de Mme Harris à dépasser ce sentiment qu'ont les Américains que l'économie allait mieux sous la présidence Trump que depuis que les démocrates sont à la Maison-Blanche. Il souligne que, dans le sondage CNBC, les Américains se montrent pessimistes vis-à-vis de l'économie depuis 2008, eхсерtion faite de 2018 et 2019, deux années de présidence Trump. « Et la mauvaise nouvelle pour Harris, c'est que le pessimisme n'a pas faibli entre 2021 et 2024 », ajoute-t-il. Pour lui, Mme Harris aura du mal à faire changer les électeurs d'avis.
Comme son concurrent, elle a fait des propositions séduisantes, du moins dans les sondages, notamment un plafonnement du prix de l'insuline et d'autres médicaments, des allègements fiscaux à la naissance des enfants et des mesures pour empêcher les groupes agroalimentaires de mentir sur les prix. Elles se sont en revanche attiré les foudres de nombreux économistes, qui les accusent de manquer de pertinence voire d'être contre-productives, mais aussi de ceux qui affirment qu'elles vont coûter des milliers de milliards de dollars et grever le budget.
Lors d'entretiens réalisés après le débat, plusieurs électeurs indécis ont confié au WSJ qu'ils n'avaient pas bien compris en quoi le plan de Mme Harris allait les aider. Pour les démocrates et les stratèges qui veulent qu'elle remporte la présidentielle, Mme Harris a beaucoup d'idées intéressantes, mais a du mal à les présenter de façon concrète et crédible aux électeurs. « Certaines idées sont trop théoriques, elles sonnent trop comme des mesures que le Congrès va édulcorer ou comme des choses que les politiques ont l'habitude de promettre, comme des crédits d'impôt pour telle ou telle catégorie de gens », résume M. Smith. D'après les conclusions de Blueprint, une idée générale, par exemple baisser les impôts de la classe moyenne, a plus d'impact sur les électeurs que des propositions plus ciblées.
Ruy Teixeira, analyste politique qui a beaucoup écrit sur la façon dont les Américains perçoivent la politique démocrate, qualifie les propositions de Mme Harris de « mesurettes » et estime que le volet économique de son programme est « souvent tellement vague qu'il a l'air inutile ». Pour lui, elles ont peu de chances de parler au groupe dont Mme Harris a le plus besoin, c'est-à-dire la classe ouvrière des Etats décisifs. « Je ne sais pas si dire qu'on va donner de l'argent aux primo-accédants et faire des promesses vagues de baisse des prix, ce sera suffisant», soupire-t-il. Pour lui, il faudrait peut-être que Mme Harris fasse un geste plus fort pour montrer aux électeurs qu'elle veut sortir de la trajectoire de son prédécesseur, peut-être « en se désolidarisant plus nettement de l'administration Biden».
Pour Harrison Hickman, sondeur démocrate, Mme Harris doit expliquer ses projets de façon plus concrète. «Sur la question des créations d'entreprise, par exemple, montrer ce qui va changer par rapport à ce qui se fait en ce moment, explique-t-il, évoquant les crédits d'impôt élargis. Montrer comment les choses fonctionnent en ce moment, comment les améliorer et comment cela se fera dans les faits, ce sera plus utile que de grands discours. »
L'équipe de Mme Harris a dévoilé des spots télévisés qui pour- raient porter leurs fruits. « Kamala Harris pense à vous », clame celui qui est sorti début septembre et affirme que la démocrate aidera les familles de la classe moyenne alors que son concurrent veut aider les riches. M. Trump, lui, martèle qu'en plus de trois ans comme vice-présidente, Mme Harris aurait pu défendre ses idées. Quoi qu'il en soit, les deux candidats ne pourront probablement pas recroiser le fer puisque M. Trump a déclaré qu'il refusait de participer à un deuxième débat télévisé. Pour M. Murphy, la capacité de Mme Harris à convaincre les électeurs qu'elle les aidera à vivre mieux sur le plan économique sera décisive: « Si elle s'en sort bien et qu'elle crée du lien, elle sera dans une position extrêmement confortable. Mais si les gens ont l'impression qu'elle n'apporte rien de nouveau pour l'économie, je pense que Trump peut l'emporter ».