La Chine fournit des produits chimiques à l’Iran pour son programme de missiles balistiques

La Chine fournit des produits chimiques à l’Iran pour son programme de missiles balistiques
الاثنين 27 يناير, 2025

Les projets d’armement de Téhéran ont été durement éprouvés l’année dernière. Le pays compte sur Pékin pour reconstituer ses capacités

Laurence Norman et Benoit Faucon / The Wall Street Journal / L'OPINION

Ces derniers mois, deux navires iraniens sont arrivés en Chine afin de charger des cargaisons d'une substance essentielle à la production de propergol pour les missiles balistiques, selon des personnes bien informées. Cet épisode illustre les défis qui attendent l'administration Trump pour que la Chine réduise sa coopération avec l'Iran.

Les soutes des deux cargos contiennent environ 1000 tonnes de perchlorate de sodium, qui pourraient permettre à l'Iran de produire 960 tonnes de perchlorate d'ammonium. Cet élément chimique est l'un des principaux composants du propergol solide utilisé pour les missiles balistiques, précisent les mêmes sources. Selon l'une d'elles, un haut fonctionnaire occidental, ce volume pourrait suffire à assurer la propulsion de 260 missiles iraniens de moyenne portée.

L'accroissement de la dépendance de Téhéran à l'égard de Pékin résulte en partie des coups portés par Israël à son programme balistique et à son réseau de proxies ces derniers mois, mais elle met également en évidence un problème plus important pour Washington: l'Iran et la Chine s'alignent de plus en plus sur la Russie et la Corée du Nord. Ce bloc d'Etats autoritaires est uni par un intérêt commun, celui de saper l'ordre mondial régi par les Etats-Unis.

Rien ne prouve que les autorités chinoises étaient informées des deux cargaisons. Un porte-parole de l'ambassade de Chine à Washington a même assuré qu'il n'était pas au courant. Pékin, a-t- il ajouté, surveille étroitement les biens à double usage, conformé ment à ses lois sur le contrôle des exportations et à ses obligations internationales.

Le projet de livraison de propergol pour missiles avait été révélé par le Financial Times.

L'Iran possède l'un des stocks de missiles balistiques les plus importants du Proche-Orient: il en comptait plus de 3000 en 2023, selon les estimations américaines. Mais ce chiffre s'est amenuisé, le pays ayant puisé dans ses réserves pour lancer deux attaques contre Israël l'année dernière et en ayant vendu d'autres à la Russie.

Les représailles aériennes menées par Tel-Aviv en octobre ont, par ailleurs, endommagé des sites de production de missiles iraniens. Ces raids ont détruit la plupart des mélangeurs planétaires de l'Iran - des machines, utilisées pour amalgamer les composants du propergol solide, qui sont difficiles à remplacer. Le propergol solide est un assemblage de combustible et d'oxydant qui s'enflamment simultanément pour déclencher la poussée des missiles et des fusées.

Après ces frappes, des responsables américains et israéliens ont déclaré au Wall Street Journal que la production de missiles à combustible solide par l'Iran pourrait être interrompue pendant au moins un an. Les autorités américaines ont récemment confirmé ces affirmations. Téhéran pourra donc difficilement utiliser les cargaisons à court terme, si elles lui sont livrées.

Selon Fabian Hinz, spécialiste des questions de défense et d'analyse militaire à l'Institut international d'études stratégiques, la Chine participe à la fourniture de propergol solide pour les fusées et les missiles iraniens depuis les années 1990. Ces dernières années, des responsables et des entreprises iraniens ont été sanctionnés par le Trésor américain pour avoir acheté à Pékin d'autres produits entrant dans la fabrication du propergol solide, comme le caoutchouc nitrile-butadiène.

"La Chine était et reste la principale filière d'approvisionnement de l'Iran pour tout ce qui a trait à la fabrication d'armes", résume Ronen Solomon, un analyste israé lien spécialisé dans les questions sécuritaires qui étudie l'Iran.

Le haut fonctionnaire occidental précité ne précise pas quand les cargaisons en provenance de Chine ont été commandées, mais il estime que cela a pu se produire avant qu'Israël ne frappe l'Iran au mois d'octobre. Pékin et Téhéran pourraient reconsidérer la livraison après les fuites sur la présence des deux navires dans des ports chinois.

Selon le site web de suivi des navires Marine Traffic, un porte-conteneurs, le Golbon, a chargé une cargaison mardi en fin de journée sur l'île de Xiushan, près de la ville de Ningbo, située sur le littoral central de la Chine. Il est parti tôt mercredi, en donnant comme destination le port de Tai-cang, dans le nord du pays, mais a interrompu son parcours mercredi après-midi.

Le second navire, le Jairan, partiellement chargé, est arrivé à Liuheng, un autre port proche de Ningbo, le 19 décembre et est pratiquement toujours resté au mouillage depuis.

Les deux bâtiments sont exploités par la société Rahbaran Omid Darya Ship Management Co, une filiale sanctionnée par les Etats-Unis de l'Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL), la plus grande compagnie maritime de transport de marchandises non pétrolières d'Iran, selon la base de données Equasis de l'Union européenne. Cet armateur est également sous le coup de sanctions de Bruxelles.

IRISL et Rahbaran Omid Darya n'ont pas répondu aux de mandes de commentaires. La mission iranienne des Nations unies à New York n'a pas réagi dans les délais de parution de cet article.

Selon M. Hinz, le Corps des gardiens de la révolution dirige un programme visant à fabriquer uniquement des missiles à combustible solide et a agrandi les sites de production dédiés. L'Iran possède sur son sol au moins une installation de transformation du perchlorate de sodium - la matière chargée sur les deux navires en perchlorate d'ammonium, mais la quantité précise de perchlorate de sodium qui y est stockée reste difficile à déterminer. Téhéran se procure également auprès de fournisseurs étrangers d'autres composants nécessaires au propergol solide destiné aux mis- siles, notamment de la poudre d'aluminium.

Téhéran est soupçonné d'avoir fourni du perchlorate d'ammonium à des proxies dans le passé pour les aider à développer leurs programmes de missiles. En novembre 2022, les Etats-Unis ont intercepté un navire de pêche iranien transportant plus de 70 tonnes de perchlorate d'ammonium dans le golfe d'Oman, comme l'avait annoncé à l'époque le commandement des forces navales américaines. Le navire naviguait depuis l'Iran sur un itinéraire fréquemment utilisé pour transférer des armes aux Houthis au Yémen, avait précisé la marine américaine.

Les autorités américaines accusent depuis longtemps la République islamique d'utiliser une partie de ses recettes pétrolières pour soutenir les milices régionales pro-iraniennes. La nouvelle administration Trump a indiqué vouloir accentuer la pression économique sur l'Iran pour le contraindre à revoir à la baisse ses ambitions nucléaires et régionales.

Pour le régime des mollahs, la Chine représente la principale source de revenus. Cet argent constitue une bouée de sauvetage pour une économie iranienne en crise. Ce mois-ci, le Wall Street Journal a révélé que Pékin avait donné le feu vert à Téhéran pour commencer à prélever et à vendre des millions de barils de pétrole que le pays stocke en Chine depuis des années.

Ces dernières années, le département du Trésor des États-Unis a sanctionné des fournisseurs chinois pour leur participation à l'approvisionnement en armes des Houthis. En 2023, la justice américaine a également inculpé un ressortissant chinois pour violation des sanctions en raison de son rôle présumé dans l'envoi à l'Iran de matériaux utilisés dans les nez de missiles balistiques.

Jason Brodsky, directeur des affaires publiques de United Against Nuclear Iran, une organisation qui milite pour des mesures destinées à contrer les menaces émanant de Téhéran, estime que l'administration Trump devait faire pression sur Pékin pour qu'il limite ses relations avec l'Iran. Selon lui, la Chine aurait tout à y gagner en matière d'influence dans la région.

"Pékin risque de compromettre ses propres intérêts au Proche-Orient en fournissant l'Iran et les Houthis, car il renforce leur capacité à cibler non seulement Israël, mais aussi l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis dans l'éventualité d'un futur conflit", conclut-il.