Par Georges Malbrunot – Le Figaro
Dénonçant la détérioration de leurs conditions de vie, des manifestants appellent à la chute du régime.
«Du pain et le départ d’Assad». Dans le sud du pays, des manifestations ont réuni vendredi plusieurs milliers de Syriens qui protestaient contre la détérioration de leurs conditions de vie, tout en réclamant le renversement du président Bachar el-Assad. «Il y a eu environ 4 000 druzes dans la province de Suayda», confie Rami Abdelrahman, à la tête de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. «Ces manifestants n’ont pas de liens avec l’opposition syrienne à l’étranger. La contestation est essentiellement druze, mais elle a tendance à s’amplifier localement. Ils n’étaient que 200 il y a quinze jours», constate celui qui depuis Londres scrute la scène syrienne.
La fronde a commencé mi-août lorsque le gouvernement a levé les subventions sur les carburants. La décision a encore aggravé la misère d’une population durement éprouvée par douze années de guerre, dont 90 % vit désormais sous le seuil de pauvreté. Le doublement des salaires et des retraites des fonctionnaires n’a pas suffi pour calmer la colère. Un agent de l’État gagne en moyenne 12 euros chaque mois, dans un pays où la monnaie a perdu 99 % de sa valeur alors que le taux annuel d’inflation atteint 238 %, troisième plus haut derrière le Venezuela et le Zimbabwe.
Même si, vendredi, plusieurs rassemblements en signe de solidarité avec le Sud ont eu lieu plus au nord près de Deir Ez-Zor et Raqqa, la grogne reste concentrée dans les provinces méridionales de Suayda et de Deraa, où une cinquantaine de protestations ont été recensées depuis une semaine, avec deux journées de grève générale chez les druzes au cours desquelles les établissements publics ont dû être fermés. Des protestations de plus en plus ponctuées de slogans politiques antirégime.
Refus de la violence
« Nous manifestons pacifiquement pour nos droits et revendications : le renversement du régime Assad, l’expulsion de la Russie, de l’Iran et de ses milices, ainsi que la libération de tous les détenus. Notre révolution est pacifique, mais si le régime et la Russie recourent à la violence, nous sommes prêts à nous défendre. Longue vie à la Syrie libre », pouvait-on lire sur une banderole déployée vendredi devant la statue du héros druze de Suayda, Sultan Pasha al-Atrash.
Face à cette reprise de la contestation, « le pouvoir a pour l’instant peu réprimé, note un diplomate, qui suit au jour le jour la crise syrienne. Ces deux gouvernorats ont un statut un peu spécial ». Bastion de la minorité druze, « la province de Suayda a été globalement épargnée depuis 2011 par la révolution, et dans celle de Deraa, il y a eu en 2018 un accord de réconciliation entre Assad et ses opposants, qui n’a certes pas très bien marché, mais comme les Russes sont derrière cet arrangement, le régime prend soin de ne pas taper fort », décrypte ce diplomate, qui ne croit pas à une relance de la révolution. Selon lui, « les druzes ont encore plus peur des islamistes que d’Assad, et il a immédiatement remplacé le gouverneur de Suayda, pas comme au début de la révolution en 2011, où il avait gardé celui de Deraa ».
« Les mouvements spontanés ne sont pas sous un contrôle à distance », avertit, de son côté, l’opposant Haytham Manna, originaire de la région de Deraa. Selon lui, « on assiste pour l’instant à de petites manifestations, mais elles ont le soutien de la société civile à travers le pays. Tout le monde refuse la violence et les interventions étrangères, mais si jamais le régime réprime, la violence inéluctablement s’étendra », prévient-il.
Signe que le feu couve toujours sous la cendre : trois membres des services de renseignements militaires ont été assassinés le mois dernier dans la province de Deraa, le berceau d’une révolution, qui s’est transformée en guerre civile, mais n’a pas permis aux anti-Assad de renverser un leader qui n’a cessé de les réprimer de manière sanglante. « Depuis que la majorité des combats ont cessé en 2019, la vie des gens est devenue encore plus difficile, ils sont désespérés, ils pensaient que leur situation s’améliorerait », analyse Joshua Landis, expert américain de la Syrie. « Le pouvoir n’a aucune clé pour répondre à ce défi et il est englué dans la corruption », ajoute-t-il.
La réintégration de la Syrie dans le concert des nations arabes n’a attiré aucun investissement étranger, que les sanctions américaines rendent impossible en dehors du volet humanitaire. En outre, certains pays ayant renoué avec Damas, comme l’Arabie saoudite, sont mécontents de constater qu’en retour Assad n’a pas ralenti le flux de stupéfiants qui continue d’inonder le marché saoudien. Une drogue - le captagon - souvent produite dans le sud de la Syrie au profit de seigneurs de la guerre, proches du pouvoir. De quoi nourrir un mécontentement qui a même gagné la minorité alaouite, à laquelle appartient Bachar el-Assad et qui a donné des milliers de « martyrs » pour sauver un régime protecteur de ses ennemis historiques, les radicaux sunnites. Des alaouites, qui avaient osé critiquer publiquement le « raïs » ont été arrêtés. Signe que le régime, loin d’être menacé faute d’une structuration du mouvement, reste bel et bien sur ses gardes.