Présent à Bruxelles lundi, le ministre des affaires étrangères syrien, Assad Hassan Al-Chibani, a réclamé la levée de l’ensemble des sanctions contre son pays pour permettre sa reconstruction.
Par Philippe Jacqué (Bruxelles, bureau européen). Le Monde.
Quatorze ans après le début de la guerre civile en Syrie, la présence du nouveau ministre des affaires étrangères syrien, Assad Hassan Al-Chibani, à la neuvième conférence consacrée à ce pays à Bruxelles, lundi 17 mars, était un événement en soi. « Le peuple syrien a su se libérer du régime Al-Assad, mais il doit encore faire face aux vestiges de ce régime, a déclaré le chef de la diplomatie du pays. C’est aujourd’hui l’occasion de relever ces défis dans un esprit de solidarité et de collaboration. »
« Par le passé, nous avons travaillé pour la Syrie et pour les Syriens. Aujourd’hui, nous pouvons enfin travailler avec la Syrie, s’est pour sa part réjouie Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui ouvrait la conférence. Aujourd’hui, les rêves et les aspirations du peuple syrien ne sont plus en suspens. Pour la première fois depuis des décennies, l’espoir de la Syrie peut devenir réalité. »
Chacun a conscience que la situation est particulièrement instable et fragile, comme l’ont montré les violences intercommunautaires qui ont secoué la région côtière du nord du pays début mars, faisant plusieurs centaines de morts. « La flambée de violence est très inquiétante et montre que l’espoir en Syrie ne tient qu’à un fil. Nous devons faire plus afin que la Syrie aille dans la bonne direction », a souligné Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne.
Le problème dépasse de loin la question sécuritaire. « La situation sur place est extrêmement préoccupante : 90 % des Syriens vivent aujourd’hui sous le niveau de pauvreté, affirme Achim Steiner, chef du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Pendant ce conflit, la Syrie a perdu quarante ans de développement. Toutes les infrastructures essentielles sont détruites. »
Assurer les services de base
Les services de base en matière d’électricité, d’accès à l’eau potable, aux transports manquent aujourd’hui, le système éducatif est à l’arrêt, tandis que les ministères et les collectivités locales manquent de bras ou de compétences. « Il faudra au minimum dix ans pour retrouver les infrastructures civiles que le pays connaissait avant 2011 », évalue M. Steiner. Dans le même temps, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 1,5 million de Syriens pourraient rentrer dans leur pays dès 2025. Et 2 millions de personnes supplémentaires, déplacées à l’intérieur du pays, pourraient regagner leurs foyers.
Pour faire face, la priorité était donc lundi de réunir assez de fonds pour assurer des services de base aux Syriens, tant dans le pays qu’en Jordanie, au Liban, en Irak et en Turquie, les pays voisins qui accueillent des millions de Syriens. Alors que les Européens ont déjà versé depuis 2011 37 milliards d’euros, « les Syriens ont besoin d’un soutien accru, assure Ursula von der Leyen. C’est pourquoi l’Union européenne porte son engagement en faveur des Syriens, à l’intérieur du pays et dans la région, à près de 2,5 milliards d’euros pour 2025 et 2026 ».
Les Etats européens et d’autres bailleurs internationaux ont apporté leur écot, pour une somme globale proche de 6 milliards d’euros, un niveau inférieur aux 7,5 milliards d’euros d’aides annoncées en 2024. L’Allemagne apportait traditionnellement davantage que les 300 millions d’euros promis en 2025, mais le changement de gouvernement ne permettait pas de viser plus.
Au-delà de l’aide financière immédiate, M. Assad Hassan Al-Chibani s’est rendu à Bruxelles avec un message clair : obtenir le retrait des sanctions imposées à la Syrie pendant le règne de Bachar Al-Assad. « Vous devez lever l’ensemble des sanctions pour permettre la reconstruction et la relance économique du pays, a-t-il réclamé. Nous sommes punis pour quelque chose que nous n’avons pas commis. »
Alors que les Etats-Unis maintiennent leur régime de sanctions draconiennes contre le pays, et n’ont pas donné d’indications sur leurs intentions, les Européens se disent plus ouverts. Après avoir suspendu les restrictions contre les secteurs de l’énergie, des transports et les opérations financières qui y sont liées, Kaja Kallas appelle à aller plus loin, mais le consensus n’est pas encore là. Cela se fera « à mesure que la transition politique progresse vers la mise en place d’un gouvernement crédible, inclusif et non confessionnel », prévient Mme von der Leyen. Le sujet sera abordé le 14 avril lors du prochain conseil des affaires étrangères.