CHRONIQUE - Plutôt critiques à l’égard de Netanyahou, l’écrasante majorité des Israéliens font désormais bloc autour de leur premier ministre depuis que le procureur de la CPI a réclamé son arrestation.
Par Renaud Girard, Le Figaro
Tombée le 20 mai 2024, la nouvelle avait stupéfié les Israéliens : le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) réclamait l’émission d’un mandat d’arrêt international contre leur premier ministre et leur ministre de la Défense, accusés de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité », dans le cadre de la campagne militaire israélienne contre le Hamas à Gaza depuis le 8 octobre 2024. Par la même requête, le procureur, le juriste britannique Karim Khan, réclamait l’arrestation des chefs militaires du Hamas Yahya Sinwar et Mohammed Deïf, ainsi que de son chef politique Ismaël Haniyeh. Si la Cour décide dans les prochains jours d’agréer la requête de son procureur, Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant ne pourront plus se déplacer dans les 124 pays qui sont États parties au statut de Rome de la CPI - dont la totalité des États européens. En revanche, ils pourront toujours voyager aux États-Unis et en Russie, pays qui ont refusé d’être parties à ce traité, à l’instar d’Israël.
« Quel renversement saugrenu de situation ! », se sont dit maints Israéliens en voyant la CPI, petite-fille du Tribunal de Nuremberg sur les crimes du nazisme, s’en prendre désormais aux deux principales têtes du gouvernement démocratiquement élu des Israéliens, qui sont pour beaucoup les petits-enfants des survivants de la Shoah.
Jusqu’ici, de très nombreux citoyens israéliens se montraient extrêmement critiques vis-à-vis du premier ministre Netanyahou. Ils lui reprochaient son aveuglement devant le danger du Hamas, dont il avait autorisé le financement par le Qatar, à hauteur de 50 millions de dollars par mois, en cash, transitant par le territoire israélien. Ils lui en voulaient également pour sa faillite sécuritaire, ayant conduit au pogrom du 7 octobre 2023, après que la frontière sud du territoire internationalement reconnu d’Israël eut été dégarnie de ses soldats, envoyés protéger les colonies illégales de Cisjordanie.
Jusqu’à maintenant, les Israéliens attendaient la création d’une commission nationale d’enquête, du type de celle qui avait travaillé sur la guerre du Kippour (1973) ou la guerre contre le Hezbollah (2006), laquelle commission aurait certainement forcé Netanyahou à la démission. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des Israéliens font bloc autour de leurs dirigeants. Ils ne sont plus prêts à les limoger. Ils sont scandalisés par une requête qui met sur le même plan les agresseurs et les agressés. Pour eux, c’est comme si on avait prétendu, à Nuremberg en 1946, juger, outre les nazis, les chefs britanniques et américains, responsables des bombardements des villes allemandes et japonaises, qui firent des centaines de milliers de victimes innocentes.
Sans le vouloir, le procureur de la CPI a offert une bouée de sauvetage politique à Benyamin Netanyahou. Avec un peuple faisant bloc autour de lui, le premier ministre israélien ne sera pas démis de sitôt. Et il ne sera évidemment jamais livré à la CPI par Israël.
Karim Khan ne manque pas de bons arguments à l’appui de sa requête. « Notre travail ne consiste pas à nous faire des amis », a expliqué le procureur, dans une interview au Sunday Times, parue le 26 mai 2024. Pour lui, Netanyahou et Gallant ont provoqué « la famine de civils », ont « causé intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique » des civils ; ils sont responsables d’« extermination » et de « persécution » à l’endroit des Palestiniens de Gaza.
Il n’est pas anodin que la requête contre le chef du gouvernement israélien intervienne quatorze mois après que la CPI a délivré un mandat d’arrêt visant Vladimir Poutine, suspect de déportation illégale d’enfants ukrainiens vers le territoire de la Russie. « Nous devons démontrer collectivement que le droit international humanitaire, qui dicte les normes à respecter en temps de guerre, s’applique de façon impartiale à toutes les parties », a déclaré le procureur Khan le jour où il a émis sa requête. Il ne veut pas que la Cour puisse être accusée de deux poids, deux mesures, et qu’on dise, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, qu’être un ami des États-Unis vaut immunité.
Pourquoi, malgré toutes ces réalités indéniables, la requête du procureur de la CPI suscite-t-elle mon scepticisme ? D’abord, je trouve très dérangeante l’équivalence faite entre le Hamas et Israël. Ce ne sont pas les mêmes faits, ce n’est pas la même histoire du rapport à l’autre.
Dans le pogrom antijuif du 7 octobre, les assaillants ont commis quantité de viols et de crimes sadiques sur une population non seulement pacifique mais aussi favorable à donner davantage de droits aux Palestiniens. Tsahal combat à l’américaine, avec beaucoup de bombardements aériens, à l’image des Américains à Faloudja (2004) ou à Mossoul (2017). Comme les Israéliens veulent aussi perdre le moins de soldats possible, dès qu’un immeuble leur semble suspect, ils le détruisent préventivement. Une telle méthode de combat ne peut que multiplier les « dégâts collatéraux ». Je la réprouve. Mais il est faux de dire que Tsahal tue des civils pour le plaisir d’en tuer, comme l’a fait - ou l’a laissé faire - le Hamas.
L’histoire israélienne du rapport à l’autre en Palestine est très différente de celle du Hamas. Les sionistes n’ont jamais prétendu empêcher les Arabes de vivre en Palestine. À Hébron, en 1929, ce sont les nationalistes arabes qui vont massacrer les Juifs, et pas l’inverse. Le Hamas ne reconnaît pas le droit à l’existence d’Israël. En novembre 1947, Ben Gourion a bel et bien accepté le plan de partage de l’ONU qui créait un État juif et un État arabe sur le territoire de la Palestine mandataire. Les Arabes l’ont toujours refusé. Il semble bien que, dans le monde arabo-musulman, le Juif ne soit accepté que comme un « dhimmi », jamais comme un être se gouvernant lui-même.
Deuxième cause de malaise, en quoi l’éventuel mandat d’arrêt de la CPI nous rapprocherait-il d’une solution politique en Palestine ? L’extrémisme du Hamas ou du gouvernement d’extrême droite israélien n’a rien pour nous plaire. Mais qu’on le veuille ou non, ce sont eux qui sont aux affaires et peuvent donc négocier un cessez-le-feu et une libération des otages. Que gagne-t-on en les forçant aujourd’hui dans un coin ? N’est-ce pas les enfermer dans leur posture de guerre ? Le timing du procureur de la CPI n’est-il pas contre-productif ? Dans les relations internationales, la justice est belle, mais elle ne doit jamais passer avant la valeur suprême, qui est la paix.