La diplomatie chinoise envers la nouvelle Syrie entravée par la présence de combattants ouïgours

La diplomatie chinoise envers la nouvelle Syrie entravée par la présence de combattants ouïgours
الأربعاء 15 يناير, 2025

Des combattants ouïgours du Parti islamique du Turkestan ont aidé Hayat Tahrir Al-Cham à renverser le régime de ­Bachar Al-Assad. Un obstacle qui entrave l’appui diplomatique et l’aide économique de Pékin.

Par Harold Thibault (Pékin, correspondant). LE MONDE.

Quand il s’agit de reconstruire, la Chine répond d’habitude présent. Elle a fait montre de bonnes intentions, malgré la chute, le 8 décembre 2024, de Bachar Al-Assad, qu’elle avait reçu en septembre 2023, contribuant alors à l’effort du président pour s’extirper de l’isolement, même si Pékin s’était gardé d’investissements significatifs dans la Syrie en guerre. La Chine ne s’est pas impliquée dans le conflit, à la différence de deux de ses principaux partenaires diplomatiques, la Russie et l’Iran. Elle dispose donc d’une latitude, d’autant que le nouveau dirigeant, Ahmed Al-Charaa, se montre lui-même pragmatique envers Moscou et Téhéran. «

La Chine mène de longue date une politique d’amitié et de coopération avec la Syrie. Nous sommes prêts à continuer à travailler avec la communauté internationale pour que la Syrie connaisse une transition apaisée et se place progressivement sur le chemin d’un développement pacifié », a déclaré le représentant de la Chine à l’ONU, Fu Cong, lors d’une réunion du Conseil de sécurité, le 8 janvier.

Certes, la Chine, qui n’a cessé de dénoncer les révolutions de couleur, les « printemps arabes » et tout soulèvement contre les régimes en place, a utilisé son droit de veto onusien à huit reprises au cours de la guerre civile syrienne pour protéger Bachar Al-Assad de l’adoption de sanctions, soit la moitié de ses blocages depuis la création de l’ONU. Mais elle peut aujourd’hui souligner qu’elle a toujours bataillé contre les sanctions, à l’heure où M. Al-Charaa demande la levée de celles adoptées par les Etats-Unis et l’UE pour commencer à redresser le pays.

Un obstacle entrave toutefois un engagement chinois plus déterminé, et il relève, aux yeux de Pékin, de sa sécurité nationale. Le réduit d’Idlib dont sont sortis les combattants d’Hayat Tahrir Al Cham (HTC) pour mener l’offensive éclair qui leur a permis de prendre Damas moins de deux semaines plus tard accueillait un certain nombre de combattants ouïgours. Leur groupe, le Parti islamique du Turkestan (PIT), s’était rangé en Syrie sous l’ancien Front Al-Nosra, issu de la nébuleuse AlQaida et dont était issu le HTC. Formé dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan proches de l’Afghanistan par des membres de l’ethnie ouïgoure en 1997, le PIT avait développé des liens avec les talibans et Al-Qaida et a été classé comme mouvement terroriste. Certains de ses hommes s’étaient déplacés vers le front syrien, notamment après que le Pakistan a opéré, de 2014 à 2016, une campagne militaire contre les groupes combattants dans ses zones tribales. Le PIT a revendiqué des attentats, notamment dans des bus à Kunming puis à Shanghaï, dans les semaines qui précédant les JO de Pékin, en 2008, et une attaque à la gare d’Urumqi, en 2014, alors que le président Xi Jinping venait d’achever une visite dans la capitale de la région du Xinjiang.

Compagnons de lutte
La multiplication des attentats avait justifié aux yeux de Pékin la mise en place d’une politique de rééducation systématique de la population ouïgoure. Selon l’ONU, probablement un million de Ouïgours sur les 11 millions de membres de cette minorité sunnite et turcophone du Xinjiang ont été enfermés dans des camps d’endoctrinement dès 2016, avec des récits de torture et de stérilisation forcée. Le gouvernement souligne que le pays s’est débarrassé ainsi du terrorisme ouïgour. Or, le 8 décembre, le PIT publiait une vidéo de ses combattants à Damas promettant de continuer le combat « à Urumqi, à Aksu, à Kachgar dans le futur », sur fond d’images de la répression au Xinjiang : « Nous chasserons les infidèles chinois de notre terre ! » Al-Charaa, a déjà dit concernant les Ouïgours : « J’ai de la sympathie pour eux, mais leur combat avec la Chine n’est pas le nôtre. »

Le 29 décembre 2024, alors que le nouveau pouvoir syrien procédait à une cinquantaine de promotions dans les rangs militaires, trois Ouïgours étaient inclus, dont Abdoulaziz Dawoud Khoudaberdi, le commandant du PIT en Syrie, fait brigadier général. Une forme de gratification pour ces hommes qui ont accompagné le combat de HTC – les Ouïgours auraient notamment été engagés dans la bataille d’Alep en 2016. Mais peutêtre aussi une manière de les conserver sous sa main. A l’ONU, l’ambassadeur Fu Cong a appelé les nouvelles autorités à « empêcher toutes forces terroristes d’utiliser le territoire syrien pour menacer la sécurité d’autres pays ».

La question des relations avec la Chine était loin d’être une priorité pour le nouveau pouvoir syrien, affairé à la prise d’un pays. Mais HTC pourrait être amené à comprendre qu’il doit composer avec elle. « La Chine va poser le sujet des Ouïgours comme précondition à quoi que ce soit, de l’appui diplomatique à l’aide économique. Ce sera non négociable », affirme Yun Sun, directrice du programme Chine du Centre Stimson, à Washington. Ahmed Al-Charaa devra alors décider de ce qu’il fera de ses ex-compagnons de lutte.