L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. S’il était créé aujourd’hui, un tel État aurait de grandes chances de devenir un foyer de terrorisme et de déstabilisation.
Par Luc de Barochez, Le Point
En pleine guerre à Gaza, la reconnaissance unilatérale et prématurée d'un État de Palestine par certains pays européens a fait reculer d'un cran la cause de la paix au Proche-Orient. L'Espagne, la Norvège et l'Irlande, et ceux qui pourraient les rejoindre – la Slovénie l'a déjà annoncé, la France et le Royaume-Uni y réfléchissent – se donnent bonne conscience à peu de frais et, surtout, au détriment des deux peuples concernés. L'Europe étale ses divisions ; sa voix dans la région, déjà peu écoutée, est désormais inaudible.
Ainsi le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, qui combat l'indépendantisme catalan, entend imposer à Israël la solution à deux États, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité qu'il refuse pour l'Espagne. Quelle contradiction! Ainsi la France macronienne, qui dit que le moment n'est pas opportun pour une reconnaissance mais qui a voté, à l'ONU le 18 avril, en faveur de l'admission de la Palestine en tant qu'État membre de plein droit. Quelle confusion!
Sur le fond, Américains et Européens s'entendent pour estimer que seule une séparation étatique peut permettre la coexistence pacifique des deux peuples. C'est aussi la position officielle de la Ligue arabe (depuis le sommet de Riyad en 2007) et d'une majorité d'États membres de l'ONU. Tous ces pays ont raison tant les alternatives perpétuation du statu quo, expulsion des Palestiniens, élimination d'Israël, création d'une confédération israélo-palestinienne sont soit inacceptables, soit irréalistes. Jusqu'à présent, cependant, ils ont échoué à convaincre les deux populations du bien-fondé de la solution qu'ils préconisent et de sa viabilité.
Ce préalable est pourtant indispensable. Près des deux tiers des Israéliens juifs rejettent l'idée d'un État palestinien, ce qui ne surprend guère après le pogrom du 7 octobre 2023. Côté palestinien, le scepticisme domine aussi: 72% jugent mince ou nulle la probabilité qu'un tel État soit créé dans les cinq ans. On cherche en vain un dirigeant occidental qui aurait le courage de s'adresser aux Israéliens et aux Palestiniens pour les gagner à l'idée d'un avenir à deux Etats, comme François Mitterrand l'avait osé devant la Knesset en 1982. Seule l'Arabie saoudite suit une stratégie cohérente en promettant à Israël de nouer des relations avec lui en échange d'un engagement "crédible et irréversible" de Jérusalem en faveur d'un Etat palestinien.
Aux yeux du gouvernement Netanyahou, qui refuse à ce jour de dévoiler son plan pour l'après guerre, une telle reconnaissance équivaudrait à récompenser le Hamas pour ses atrocités. L'argument ne doit pas être pris au pied de la lettre, car torpiller le projet d'accord avec Riyad serait aussi un cadeau offert au terrorisme. Là où Israël a raison cependant, c'est qu'en l'état actuel des choses un Etat palestinien aurait toutes les chances d'etre un foyer de terreur et de déstabilisation. Le dernier sondage de l'institut palestinien d'étude de l'opinion publique PSR de Ramallah, publié en mars, indique que le Hamas arriverait en tête si des élections étaient organisées dans les territoires de Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza.
L'urgence pour les Européens ne consiste donc pas à se livrer à une compétition diplomatique autour de la reconnaissance d'un embryon d'Etat, qui ne contrôle pas le territoire qu'il revendique et qui n'a pas de véritable gouvernement. Elle doit plutôt être de s'assurer qu'il ne puisse en aucun cas tomber aux mains des terroristes, comme cela est arrivé dans la bande de Gaza lorsque Tsahal l'a évacuée en 2005. - Pour cela, il faudra doter la nouvelle entité d'institutions robustes pour éviter qu'elle ne se transforme en territoire hors-la-loi; la contraindre à lutter efficacement contre le terrorisme; garantir sa démilitarisation effective; exiger de ses dirigeants qu'ils reconnaissent non seulement les frontières mais aussi la légitimité de l'État juif. Il faudra aussi vérifier la mise en place de programmes effectifs de lutte contre l'antisémitisme, alors que l'Autorité palestinienne continue à promouvoir les stéréotypes haineux dans les écoles et à inciter à la violence en subventionnant les familles de "martyrs". Un tel programme serait une tâche de Sisyphe. Mais, au moins, la France et les autres pays européens œuvreraient utilement à la paix