La fin du statu quo nucléaire iranien dessine une nouvelle ère au Moyen-Orient

La fin du statu quo nucléaire iranien dessine une nouvelle ère au Moyen-Orient
الاثنين 23 يونيو, 2025

Par Isabelle Lasserre. Le Figaro

ANALYSE - Les bombardements américains, après les frappes israéliennes, redéfinissent les équilibres de la région. Pour le pire ou pour le meilleur.

Après l’intervention israélienne contre le programme nucléaire iranien, le coup de main militaire donné par les États-Unis à Tel-Aviv fait basculer le Moyen-Orient dans l’inconnu en annonçant une redéfinition des équilibres dans la région. Pour le pire selon les uns. Pour le meilleur selon les autres.

Le pire, d’abord. Ceux qui l’annoncent ne manquent pas de scénarios catastrophes. Ils rappellent qu’on impose rarement la démocratie par la force des armes. Ils préviennent qu’une réplique violente de l’Iran contre des cibles américaines dans la région, au Qatar, à Bahreïn, en Irak ou en Arabie saoudite, par exemple, entraînerait la Maison-Blanche, qui a limité son intervention dans le temps et dans les objectifs, dans un engrenage militaire. Donald Trump a prévenu les dirigeants iraniens qu’en cas de refus de revenir aux négociations pour signer la paix il lancerait de nouvelles frappes. «S’ils ne le font pas, les prochaines attaques seront bien plus importantes, et bien plus faciles», a-t-il dit. Le choix est selon lui entre «la paix ou la tragédie». La fermeture du détroit d’Ormuz, par où transitent environ 30% du pétrole mondial, aurait aussi d’importantes conséquences économiques.

S’il réussit à survivre, le régime pourrait encore durcir sa répression à l’intérieur du pays. Et se lancer dans la reconstruction de son programme nucléaire, surtout s’il a réussi à dissimuler ses stocks d'uranium enrichi, en Iran ou ailleurs, ou si d’autres installations clandestines ont échappé aux frappes israélo-américaines. De Bagdad à Kiev en passant par Tripoli, l’histoire récente rappelle en effet que les pays ayant accepté, de gré ou de force, de renoncer à leur arsenal nucléaire pouvaient être attaqués par les puissances dotées. En cas de chute du régime, le chaos pourrait s’installer dans la région, avec des soubresauts en Iran et des interventions des pays voisins. Dans tous les cas, cette nouvelle phase de la guerre confirme la mort, en tout cas provisoire, du droit international. Partout, depuis l'invasion russe de l’Ukraine, c’est la force qui prime sur les négociations - inefficaces - et sur les règles internationales, écrasées par le retour des réflexes d’empires. Il n’y a plus guère aujourd’hui que l’Europe qui croie encore au pouvoir et aux vertus du droit et de la diplomatie.

Le meilleur, ensuite. Si les frappes américaines ont effectivement détruit les installations souterraines de Fordo, Donald Trump et Benyamin Netanyahou auront réussi, après vingt ans de chantage nucléaire et de vaines négociations hormis la courte vie de l’accord de Vienne en 2015-, à neutraliser une menace jugée existentielle pour Israël et majeure pour la sécurité globale par de nombreux autres pays. La plupart des Occidentaux, mais aussi des pays arabes, s’en féliciteront, publiquement ou en privé. En Europe, le premier grand pays à l’avoir fait est le Royaume-Uni, dont le premier ministre, Keir Starmer, qui a rappelé que «l’Iran ne peut pas être autorisé à développer une bombe nucléaire» et que les États-Unis avaient «agi pour empêcher cette menace». Les autres attendent de voir comment les choses vont tourner dans les heures qui viennent. Y a-t-il de quoi mettre fin aux rêves atomiques de l’Iran? Il est trop tôt pour le savoir, même si, a minima, les frappes combinées de Tsahal et des bombardiers américains ont sans doute imposé suffisamment de destructions aux infrastructures pour faire repartir en arrière de plusieurs années le programme nucléaire iranien.

Le président américain et le premier ministre israélien aimeraient croire qu’en remettant en cause le statu quo nucléaire iranien leur action décisive ouvrira dans la région une nouvelle ère, dans laquelle les règles ne seront plus dictées par les menaces de Téhéran. La réponse militaire israélienne aux massacres du 7 Octobre avait déjà en grande partie réduit le pouvoir de nuisance du Hamas et du Hezbollah. Comme elle a réduit celui de Bachar el-Assad, dont le régime s’est effondré. En s'attaquant à la «tête de la pieuvre», Américains et Israéliens espèrent pouvoir imposer «la paix par la force». Et ils espèrent l’imposer d’autant plus facilement quel’axe anti-occidental formé par l’Iran, la Chineet la Russie s’est révélé paralysé et politiquement inefficace depuis le début des frappes.

Le moment constitue selon eux une opportunité historique pour trouver une solution permanente à la menace iranienne. Dans un monde idéal, leur action commune permettra de libérer le monde de la menace nucléaire iranienne, de libérer la région de la menace terroriste iranienne et de libérer les Iraniens du régime des mollahs…

C’est l’une des inconnues : après l’attaque américaine sur Fordo, Israël poursuivra-t-il ou non son opération militaire? «Si c’est le cas, cela voudra dire que le but est le changement de régime, pas seulement la destruction des installations militaires», commente Burcu Ozcelik, du Royal United Services Institute (Rusi). Reste à savoir, aussi, si le peuple iranien voudra ou pourra, une fois terminée l’intervention militaire israélienne, se soulever pour en finir avec la théocratie qui l’opprime. Et redessiner, comme ce fut le cas après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme, mais également après le 7 Octobre, tous les rapports de force dans la région… Pour le pire, donc, ou pourlemeilleur.