Un haut commandant de cette unité, déployée à la frontière sud du Liban, a été tué, lundi 8 janvier, dans une frappe de l’armée israélienne, qui poursuit sa campagne d’assassinats ciblés contre les cadres du Hamas et leurs alliés. Décapiter cette force est une priorité ancienne des milieux militaires israéliens.
Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante) - Le Monde
Israël poursuit sa campagne d’assassinats ciblés contre les cadres du Hamas et leurs alliés au sein de « l’axe de la résistance » emmené par l’Iran. Après l’élimination du général iranien Reza Mousavi, à Damas, le 25 décembre, et du numéro deux du Hamas, Saleh Al-Arouri, à Beyrouth, le 2 janvier, un haut commandant du Hezbollah a été, à son tour, la cible d’une frappe israélienne, lundi 8 janvier, à Khirbet Selm, une localité du Liban sud à 15 kilomètres de la frontière avec Israël. Inconnu du public, Wissam Tawil était l’un des chefs les plus expérimentés de la très secrète force d’élite Radwan.
Sur des photos que le Hezbollah a fait circuler après sa mort, le Libanais de 48 ans affiche un sourire discret aux côtés du chef du mouvement chiite, Hassan Nasrallah. D’autres le montrent sur le terrain avec Imad Moughnieh, le chef militaire du Hezbollah éliminé par Israël en 2008 à Damas, et Moustapha Badreddine, qu’il a assisté sur le théâtre syrien jusqu’à son assassinat à Damas en 2016. Il y a aussi côtoyé Ghassem Soleimani, le général iranien responsable des opérations extérieures des gardiens de la révolution, tué à Bagdad en 2020 dans une frappe américaine. Wissam Tawil figurait dans le commando qui a infiltré Israël, le 12 juillet 2006, et capturé deux soldats, déclenchant une guerre de trente-quatre jours contre Israël. Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, le 7 octobre 2023, il a commandé des « opérations spéciales » contre des postes israéliens le long de la frontière, selon le Hezbollah.
L’arme fétiche de Nasrallah
Décapiter la force Radwan est une priorité des milieux militaires israéliens. Cette obsession remonte bien avant l’attaque du 7 octobre. Ce jour-là, la force d’élite du Hamas, Al-Nukhba, a appliqué à la lettre le « manuel » de la force Radwan, la stratégie qu’elle a élaborée pour s’infiltrer en Israël et frapper l’Etat hébreu en plein cœur. Depuis deux ans, le Hezbollah menace l’Etat hébreu d’une invasion, dans ses clips de propagande et même dans un exercice grandeur nature, mis en scène devant un parterre de journalistes au Liban sud, en mai 2023. Fin 2018, Israël avait découvert des tunnels creusés à la frontière.
« La conquête de la Galilée » est la raison d’être de cette unité depuis sa création par Imad Moughnieh, après la guerre de 2006. L’unité a pris le surnom du stratège militaire, « Hajj Radwan », après son assassinat dans la capitale syrienne, en février 2008, dans un attentat attribué au Mossad. La force Radwan est devenue l’arme fétiche de Hassan Nasrallah et la clé de voûte de la capacité de dissuasion du Hezbollah face à Israël, avec son arsenal très sophistiqué. Le secret entourant son existence a été levé en 2014, mais ses combattants continuent d’opérer dans la clandestinité, dissimulés sous une cagoule noire. Ils seraient entre 2 500, selon des sources israéliennes, et 10 000, selon les médias du Hezbollah.
Cette unité hybride, alliant tactiques de guérilla et maîtrise des technologies de pointe, est le fer de lance d’une organisation qui regroupe aujourd’hui 100 000 combattants, professionnels et réservistes. Ce chiffre, avancé par Hassan Nasrallah, est jugé exagéré par les experts, bien que le mouvement ait une large assise au sein de la communauté chiite. Les recrues de la force Radwan suivent un entraînement exigeant avec l’unité de commando Saberin des gardiens de la révolution iraniens. Ils se sont aguerris sur le terrain syrien, où le Hezbollah combat, depuis 2013, aux côtés des forces loyales au président Bachar Al-Assad. Certains y sont encore déployés, notamment dans le Sud, un front actif contre Israël au pied du Golan occupé.
Le Liban sud reste leur principale zone de déploiement, avec pour mission de défendre leur territoire en cas d’offensive israélienne. La présence de ces combattants d’élite dans la zone frontalière, dont beaucoup sont originaires, alarme les dirigeants israéliens, qui exigent leur retrait, au-delà du fleuve Litani, à 25 kilomètres de la frontière, et menacent le Liban d’une guerre en l’absence de solution négociée. Près de 80 000 Israéliens, habitant dans le nord de la Galilée, ont été déplacés par les combats frontaliers depuis le 7 octobre.
Cible légitime aux yeux d’Israël
Une médiation a été lancée par l’envoyé spécial américain Amos Hochstein sur la délimitation de la frontière terrestre entre le Liban et Israël, et l’application de la résolution 1701, votée par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2006, qui prévoit le désarmement du Hezbollah. L’espoir d’un accord est ténu, malgré les déclarations de bonne volonté de part et d’autre. « Cibler les cadres du Hezbollah permet à Israël d’acheter du temps, sans avoir à envoyer des dizaines de milliers de troupes au sol », estime Nicholas Blanford, un spécialiste du Hezbollah au sein du cercle de réflexion américain Atlantic Council.
Ces cadres militaires sont une cible légitime aux yeux d’Israël. Le Hezbollah y voit, lui, une violation des règles d’engagement tacite qui prévalent entre les deux adversaires. « Les Israéliens testent la patience et la détermination du Hezbollah. Bien qu’il ne veuille pas d’une guerre totale, il pourrait considérer à un moment que sa survie est en jeu », avertit Bilal Saab, expert du mouvement au sein du cercle de réflexion britannique Chatham House. Le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a affirmé, dimanche, que les frappes israéliennes avaient permis d’éloigner l’unité d’élite de la frontière. Ses combattants s’y font en réalité discrets depuis le 7 octobre. « La force Radwan est gardée en arrière. Ses combattants ont une trop grande valeur pour que leur vie soit mise en danger », estime Nicholas Blanford.
Israël viole en continu l’espace aérien libanais. Dès que le Hezbollah tire une roquette, son aviation frappe quasi instantanément le site de lancement, avant même que les artilleurs du mouvement chiite aient eu le temps d’évacuer la zone. Ces bombardements ont coûté la vie à 135 combattants du Hezbollah, pour la plupart jeunes et inexpérimentés. Des membres de la force Radwan ont aussi été ciblés, comme Abbas Raad, le fils du chef du bloc parlementaire du Hezbollah, et cinq de ses compagnons d’armes, le 23 novembre.
« Israël cherche à remporter des victoires symboliques, mais s’attaquer au Hezbollah n’est pas un pari stratégique gagnant. Cette stratégie d’assassinats ciblés ne va pas détruire l’organisation », souligne Bilal Saab. Elle jette néanmoins le trouble au sein du parti de Dieu, dont le service de contre-espionnage cherche à identifier les failles dont a pu profiter le renseignement israélien.
La croissance de l’organisation l’a rendue plus perméable aux informateurs. Le quadrillage du ciel libanais par les drones israéliens, le traçage des communications téléphoniques, et même le piratage de caméras de surveillance, sont aussi évoqués. « Depuis l’échec du 7 octobre, les Israéliens ont augmenté leurs capacités de renseignement, humain et électronique », note Bilal Saab.
« Cela coïncide aussi avec la phase 3 de leur opération, qui combine une campagne militaire de plus faible intensité à Gaza et des opérations ciblées pour éliminer les chefs et les cadres opérationnels de l’axe de la résistance », poursuit l’expert. Lundi soir, Israël a revendiqué l’élimination en Syrie de Hassan Akasha, un commandant militaire du Hamas, impliqué dans des tirs de roquettes depuis le sud de la Syrie en direction du Golan occupé. Mardi matin, trois autres membres du Hezbollah ont été tués dans une frappe contre leur véhicule, dans le sud du Liban.