La France au miroir des élections en Grande-Bretagne

La France au miroir des élections en Grande-Bretagne
الاثنين 8 يوليو, 2024

Stabilité et espoir du côté britannique, désordre et inquiétude du côté français, souligne Dominique Moïsi. La Grande-Bretagne s'apprêterait- elle, au moins symboliquement, à remplir le vide politique laissé par la France de Macron ?

Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) - Les Echos

1979, 1997, 2024. Pour la troisième fois dans son histoire récente, la Grande-Bretagne vient de connaître un raz de marée politique spectaculaire . En 1979, la révolution conservatrice de Margaret Thatcher précédait de peu celle de Ronald Reagan aux Etats-Unis. En 1997, la nouvelle gauche de Tony Blair voyait le triomphe d'une troisième voie à l'anglaise. En 2024 - après quatorze années d'un pouvoir conservateur qui a multiplié les Premiers ministres (cinq), accumulé les scandales et fait perdre avec le Brexit huit années à la Grande-Bretagne - la rationalité revient au 10 Downing Street.

La victoire attendue de « l’extrême centre » de Sir Keir Starmer s’est faite avec la bénédiction du très libéral « Financial Times », qui invitait ses lecteurs à voter Labour. 1880 (Disraeli), 1945 (Churchill), 1997 (Major) et désormais 2024 (Sunak), la défaite des conservateurs est une des plus spectaculaires de l’histoire politique britannique. Elle contraste avec le triomphe de Boris Johnson en 2019 et illustre la volatilité de l’électorat. Mais après les années Boris Johnson (et Liz Truss), la Grande-Bretagne avait besoin d’un nouveau départ. Pour restaurer la confiance des Britanniques dans les services publics, de l’école à la santé en passant par les transports. Pour rapprocher aussi, par étapes, le Royaume-Uni de l’Union européenne.

Le refuge de la raison
La Grande-Bretagne s’apprêterait-elle, au moins symboliquement, à remplir le vide politique laissé par la France de Macron ? Et à retrouver ainsi le rôle qui était le sien à la fin du XVIIIe siècle : le refuge de la raison face aux débordements de la passion. Si l’on considère que l’Histoire obéit à des cycles, ceux de la Grande-Bretagne et de la France ne sauraient être plus opposés. Le vote des Britanniques n’affectera pas celui des Français, pas plus que le référendum sur le Brexit n’avait encouragé les Américains à voter Trump. Mais il coïncide peut-être avec une forme de sursaut de dernière minute en France. Un pays qui veut « punir » son président, mais n’est pas prêt pour autant à confier son avenir à des amateurs impréparés et dangereux. Le vote britannique est plein d’enseignements pour les Français. Comment peuvent-ils flirter avec un parti qui ne rêve que de détricoter l’Europe ? Alors que les Britanniques – après une traversée du désert de huit ans – souhaitent s’engager dans une direction opposée.

Certes, le mot qui fâche (celui de Brexit) n’a jamais été utilisé dans la campagne des législatives en Grande-Bretagne. Un Frexit sans le dire du côté du RN et de ses alliés, un rapprochement avec l’Union, sur la pointe des pieds, du côté britannique. On en rirait presque, si la situation n’était à ce point dramatique. Car sortir de l’Union – ce que fit Londres il y a huit ans – était beaucoup moins grave pour la Grande-Bretagne, l’Europe et le monde, que la perspective de faire entrer le populisme au cœur du pouvoir en France. Le Royaume-Uni avait, disait-on – comme pour dédramatiser le vote des Britanniques – toujours eu un pied dans l’Union et un autre en dehors. En France, l’électorat du RN a certes changé. Il s’est diversifié et démultiplié. Mais son essence, son ADN, est restée la même. Il s’agit toujours d’une force politique qui cache mal « sa main de fer, dans un gant de velours ». Le ralliement à sa cause d’une petite partie de la droite « classique » se réclamant de l’héritage du gaullisme, est tout simplement d’une infinie tristesse. Voit-on les héritiers lointains de Pétain être un jour chargés de rallumer la flamme de la résistance au Mont Valérien ? « Veni, Vedi, Vichy. » Le journal italien « Il Manifesto » résumait, d’une formule provocatrice, le pari de Jules César/Macron.

Stabilité et espoir du côté britannique, désordre et inquiétude du côté français. Même si le pire va sans doute être évité. En 2016, au moment du référendum sur le Brexit en Grande-Bretagne, la guerre n’était pas encore de retour en Europe. Même si Moscou s’était emparé sans coup férir de la Crimée en 2014. Donald Trump n’était pas encore président des Etats-Unis, et rien ne laissait clairement prévoir qu’il le deviendrait un jour. En 2024, par contre, le contexte international est infiniment plus dramatique. Et tout ce qui peut affaiblir le camp de la démocratie, comme l’instabilité politique et sociale en France, est un cadeau fait à Poutine.

Casquette d’officier nazi
« Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable », écrivait Raymond Aron. Sauf que le détestable est souvent l’incarnation du mal, même si le préférable n’est pas toujours synonyme de bien. En 2016, l’opposition entre partisans et opposants du Brexit en GrandeBretagne, était de nature plus politique qu’éthique. Tel n’est pas le cas en France, aujourd’hui. Entre des candidats à la députation qui ont trouvé comique de se faire photographier avec une casquette d’officier nazi sur la tête, et la volonté délibérée de confondre le rôle du président sous la Ve République en France et celui du monarque en Grande-Bretagne, il y a des raisons sérieuses de douter de la conversion du RN à la démocratie libérale classique.

On peut regretter qu’en France le pouvoir symbolique et le pouvoir réel soient incarnés par une seule et non par deux personnes (le Monarque et le Premier ministre) comme en Grande-Bretagne. N’est-ce pas tout simplement trop pour une seule personne ? Mais il s’agit là de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la Cinquième République. Et la France ne va pas se transformer en monarchie constitutionnelle. L’armée française ne peut avoir de doutes sur l’identité de son chef suprême : le président de la République. Il est ironique de voir qu’au moment où Marine Le Pen cherche à interpréter de manière réductrice les pouvoirs du président de la République, Giorgia Meloni fait tout à l’inverse pour renforcer les pouvoirs de la présidence italienne, se rêvant sans doute un jour au palais du Quirinal.

Alors que les Etats-Unis et la France semblent engagés dans un exercice de décadence compétitive vers le populisme, le Royaume-Uni donne à la France des leçons de prudence, de résilience et d’espoir. Mais le meilleur remède contre l’irrationalité, n’est-il pas d’éviter d’y succomber ?