La proposition préparée par les entreprises d’ingénierie Artelia et Egis, et EDF pour le volet photovoltaïque, prévoit des investissements de l’ordre de 46 à 73 millions d’euros.
Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante), Le Monde
Depuis l’explosion survenue le 4 août 2020, le chantier de la reconstruction du port de Beyrouth attise les convoitises. La France a poussé son avantage en dévoilant, mercredi 13 mars, une proposition préparée par les entreprises d’ingénierie Artelia et Egis, et EDF pour le volet photovoltaïque, en coordination avec le ministère des transports libanais et les autorités du port de Beyrouth. Ce plan prévoit des investissements de l’ordre de 50 millions à 80 millions de dollars (entre 46 millions et 73 millions d’euros) pour réhabiliter et réaménager la zone portuaire située entre le terminal à conteneurs et le port militaire.
« Le plan est accepté, et les recettes du port serviront à financer les investissements requis », comme le suggère la proposition française, a confirmé au Monde le ministre des travaux publics et des transports, Ali Hamie, lors de la présentation à laquelle il a assisté aux côtés du premier ministre, Najib Mikati. Principale source de revenus de l’Etat, le port de Beyrouth enregistre des recettes en hausse après avoir subi les effets de la crise économique et financière de 2019, la pandémie de Covid-19 et l’explosion. En 2023, ses revenus ont atteint 150 millions de dollars, a précisé le directeur général du port, Omar Itani.
« L’économie libanaise a besoin d’un port reconstruit, modernisé et sécurisé », a plaidé l’ambassadeur de France au Liban, Hervé Magro. Paris, qui a fait du dossier du port de Beyrouth une priorité et l’un des piliers de la coopération française au pays du Cèdre, a réussi à s’imposer sur le dossier. Des étapes cruciales restent néanmoins à finaliser, côté libanais, pour mettre ce plan en œuvre, comme le déblaiement des déchets dans la zone portuaire, le plan de financement et la réforme de la gouvernance portuaire.
Echanges d’expertise
Le président Emmanuel Macron avait très tôt manifesté l’intérêt de la France pour ce chantier. Premier chef d’Etat étranger à s’être rendu au Liban après la catastrophe, le 6 août 2020, il y était revenu un mois plus tard avec le PDG franco-libanais du groupe CMA CGM, Rodolphe Saadé. Le plan que ce dernier a présenté pour construire un smart port (« port intelligent ») est resté sans suite. Le géant du transport maritime a néanmoins remporté, début 2022, avec le soutien appuyé de Paris, la concession du terminal à conteneurs du port de Beyrouth pour dix ans. Il prévoit d’investir 33 millions de dollars pour moderniser le terminal, qui assure au port la majeure partie de ses rendements.
D’autres propositions ont été écartées, comme l’ambitieux projet de 30 milliards de dollars, présenté en avril 2021 par un consortium de compagnies maritimes allemandes, dont le Hamburg Port Consulting, pour reconstruire le site et réaménager les quartiers adjacents. Les autorités libanaises ont opté pour l’élaboration d’un plan présenté comme plus « pragmatique » par la partie française. L’ambition est que Beyrouth redevienne un port international, tourné vers l’import et l’export, mais à la mesure des moyens du pays. Les investisseurs et bailleurs internationaux refusent toujours de financer la reconstruction en l’absence de réformes structurelles.
Paris a financé l’élaboration de ce projet confié, début 2023, à Artelia et Egis. Des échanges d’expertise ont également été menés par les autorités du port de Beyrouth avec ceux de Marseille-Fos et du Havre. La proposition se concentre sur la reconstruction des quais endommagés par l’explosion et sur le dragage de plusieurs bassins, afin de les mettre aux normes internationales, ainsi que sur le réaménagement du port pour augmenter les activités de cargo et rationaliser le trafic.
Le plus gros chantier est la réparation du quai numéro 9, où se trouvent les silos à grains, en partie détruits. Il est proposé de construire un nouveau quai le long de celui qui a été endommagé – le coût est évalué à près de 40 millions de dollars – pour ne pas toucher à la zone touchée, où les familles des 220 victimes tuées par l’explosion réclament que soit érigé un mémorial.
EDF suggère l’installation de près de 74 000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques sur le brise-lames et les ombrières de la zone cargo pour produire 15 mégawatts. L’installation, estimée à 12,7 millions de dollars, doit permettre au port de couvrir la quasitotalité de ses besoins en énergie. La proposition française a été remise aux autorités libanaises, avec les documents techniques pour lancer les appels d’offres. La mise en œuvre du plan requiert, au préalable, l’évacuation des déchets laissés par l’explosion. Début mars, un premier appel d’offres a été publié pour le déblaiement des déchets métalliques.
Mise en conformité
L’accord de l’Etat, principal actionnaire du port, est requis pour autoriser les autorités portuaires à consacrer une partie de leurs recettes aux investissements prévus. Paris préconise également une réforme de la gouvernance portuaire – le port est géré par un comité « provisoire » depuis 1990 – et la mise en conformité de la sécurité aux normes internationales, selon les recommandations émises par Expertise France.
« L’objectif est le redéploiement du port à court terme, sans entraver des visions sur le long terme », a insisté, mercredi, Osanne Paireau, directrice de projet chez Artelia. Ce raisonnement n’est pas partagé au sein de la société civile libanaise, laquelle réclame que soit repensée l’intégration du port dans la ville. Une étude a été lancée en ce sens, il y a deux ans, par la Banque mondiale.
« [Celle-ci] a estimé que le port ne nécessitait que 50 % de sa surface actuelle, que le reste pouvait être ouvert sur la ville et créer des débouchés économiques, note Mona Fawaz, professeure d’urbanisme à l’université américaine de Beyrouth. Mais il y a beaucoup de réticences des responsables politiques et des autorités portuaires, qui veulent un port fermé et dont la transparence n’est pas le point fort. »