Nétanyahou veut profiter du cessez-le-feu au Liban pour se concentrer sur d'autres fronts
Par JEAN-PHILIPPE RÉMY , Le Monde
Bien que le cessez-le-feu entré en vigueur mercredi 27 novembre entre son pays et le Hezbollah soit respecté, laissant entrevoir la possibilité que les armes se taisent durablement au Liban, Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, ne promet pas la paix, mais une poursuite, voire une intensification de la guerre à l'échelle régionale. Il a coutume de qualifier le conflit dans lequel Israël est engagé de puis le 7-Octobre de «guerre de rédemption», qu'il décrit comme étant menée sur «sept fronts».
Lors de son discours d'annonce du cessez-le-feu, mardi soir, il les a de nouveau passés en revue, promettant de s'y engager avec force. Ces «fronts» vont du Yémen à la Syrie et de Gaza à l'Iran, en passant par la Cisjordanie, le Liban et l'Irak. Et, selon Benyamin Nétanyahou, le plus important d'entre eux est celui qui oppose l'Etat hébreu à la République islamique, la «pieuvre», comme il l'appelle.
Mairav Zonszein, spécialiste d'Israël au sein du groupe de réflexion International Crisis Group, note que l'évocation d'une confrontation avec Téhéran était «au cœur de l'annonce du cessez-le-feu au Liban. «Cette menace a toujours été ma priorité absolue, a déclaré le premier ministre, et cela est encore plus le cas aujourd'hui, quand vous entendez les leaders iraniens faire état de façon répétée de leur intention de finir de mettre au point des armes nucléaires. Eliminer cette menace constitue la mission la plus importante pour préserver l'existence et le futur de l'Etat d'Israël. »
Cela constitue tout à la fois un programme et une forme d'obsession, mais aussi une forme de rhétorique. «Il en vient toujours à parler de l'Iran, l'Iran est son grand sujet. Le contexte est désormais celui de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump [le président élu sera investi le 20 janvier à Washington]. Il y a là un signal adressé à Trump, signifiant qu'il est prêt à mettre la pression maximale sur Téhéran, afin de voir ensuite jusqu'où il veut aller sur ce terrain. » Finalement, il s'agit donc, pour partie, de se prépositionner pour être prêt à obtenir les faveurs de la nouvelle administration américaine, pour être prêt à un conflit régional long, tout en évitant d'apparaître comme un simple va-t-en-guerre.
Le double message, flirtant avec la contradiction, semble avoir été reçu par l'équipe Trump en formation. Mike Waltz, choisi pour le poste de conseiller à la sécurité nationale, l'a déclaré sur X: «Je suis heureux de voir des mesures concrètes prises en faveur de la désescalade au Moyen-Orient. Mais soyons clairs: le régime iranien est à la racine du chaos et de la terreur semés dans toute la région. Nous ne tolérerons pas de statu quo face à son action en faveur du terrorisme. »
Reconstruire des colonies
Des fronts de la guerre de « rédemption», il en restera désormais six, si le conflit au Liban demeure sous contrôle. Voilà qui est dans l'intérêt d'Israël. Le désengagement militaire, la fin des frappes aériennes permettent d'économiser des armes et des troupes, dans l'objectif de mieux se focaliser sur les autres. « fronts», à commencer par Gaza. Le cessez-le-feu au Liban aurait pu y augurer un règlement sur des bases similaires.
Dans la mesure où le sort des populations (au total, près de 45000 morts à Gaza, et 4000 au Liban, avec une majorité de civils) et l'ampleur des destructions n'ont pas fait dévier la conduite de la guerre, le calcul des généraux repose sur l'évaluation de leurs propres pertes en cas de poursuite du conflit, rapportées à des gains tactiques de plus en plus réduits, voire insignifiants. Une source militaire le résume: « On pourrait avoir un cessez-le-feu avec le Hamas dans les deux prochains mois, et espérer ainsi sauver nos otages. Mais il faudrait pour cela une décision politique. »
A Gaza, le premier ministre continue d'invoquer, avant toute forme de cessation des hostilités, une «victoire totale», qui est aussi une perche tendue à l'extrême droite au sein du gouvernement, dont les ministres menacent de faire éclater la coalition au pouvoir si la guerre devait prendre fin dans l'enclave sur des bases négociées.
Cela revient à condamner toute perspective de paix à Gaza. «Je le dis depuis le début: cette guerre est par essence impossible à gagner, au sens où il est impossible d'obtenir une victoire classique contre un ennemi admettant sa défaite », rappelle Yagil Levy, spécialiste des relations entre l'armée et la société israélienne à l'Open University de Tel-Aviv. Pourquoi, alors, poursuivre le conflit? «Une partie des dirigeants ne font pas de mystère à ce sujet, affirmant qu'ils veulent reconstruire des colonies, et ils font tout ce qui est possible pour couper Gaza en plusieurs morceaux en allant jusqu'au dépeuplement [de l'enclave]», analyse Mairav Zonszein.
Lorsque le cabinet de sécurité israélien a voté sur le cessez-le-feu au Liban, un seul ministre s'est prononcé contre la fin des combats: Itamar Ben Gvir, le chef d'Otzma Yehudit («puissance juive»), formation d'extrême droite suprémaciste qui exerce une influence importante au sein de la coalition gouvernementale, aux côtés du ministre des finances, Bezalel Smotrich, et de sa formation (Parti sioniste religieux). Depuis que la coalition a été créée, après les élections de fin 2022, ces deux hommes poussent en faveur de l'extension de la colonisation et de l'annexion, à terme, de la Cisjordanie. Autour de ce duo politique, le milieu des colons gagne en visibilité et en confiance.
Au ban, sujet du cessez-le-feu au Li-Itamar Ben Gvir a parlé d'«erreur», Israël se privant selon lui d'une «chance historique de défaire le Hezbollah ». Mais ces arguments n'avaient pas la force de ceux qu'il emploie lorsqu'il s'agit de condamner tout « deal» à Gaza. Les milieux d'extrême droite attendent, eux aussi, beaucoup de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a déjà annoncé son projet de nommer, comme ambassadeur en Israël, Mike Huckabee, chrétien évangélique et fervent partisan de la colonisation.