Gilles Paris – Le Monde
Si Paris, Londres, Washington, Berlin et Rome, ainsi qu’une partie des BRICS, ont condamné sans réserve l’assaut sanglant du Hamas contre Israël, d’autres, comme le Soudan, la Chine ou l’Egypte, se montrent plus mitigés, au risque de souligner les limites du groupe des pays émergents.
La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine a été l’occasion, en 2022, de voir émerger de nouvelles fractures internationales. Ces dernières sont de nouveau testées par la déflagration régionale qu’a constituée l’offensive meurtrière du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre. Les réactions à l’agression russe ont fait apparaître un ensemble géopolitique souvent désigné comme le « Sud global », un terme générique dont la pertinence a pu être contestée. Cet ensemble géopolitique s’est exprimé par une prise de distance vis-à-vis des positions pro-ukrainiennes du camp occidental, justifiées par des principes du droit international aussi fondamentaux que le respect des frontières ou de la souveraineté territoriale.
Appels à la désescalade De nombreux pays de ce Sud global ont alors décrié un positionnement à géométrie variable. L’argument du « deux poids, deux mesures » a souvent été avancé pour critiquer une indignation jugée sélective à propos de territoires conquis par la force. Après le coup sanglant du Hamas, la question palestinienne, bien qu’en perte de vitesse par rapport à sa centralité passée au sein du mouvement tombé en désuétude des non-alignés, distingue une nouvelle fois le bloc occidental d’une masse critique du Sud global.
Le premier s’est retrouvé sur une condamnation sans réserve des bains de sang comme des enlèvements de soldats et de civils israéliens perpétrés par les miliciens du Hamas, une organisation placée de longue date sur les listes noires américaine et européenne des organisations terroristes. Ces condamnations ont été complétées par l’expression d’un soutien total et sans aucune réserve aux autorités israéliennes dans leur riposte. Cette position a été illustrée par un communiqué commun de cinq pays, les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, mentionnant succinctement les « aspirations légitimes du peuple palestinien » sans dire comment elles pourraient se traduire.
Le positionnement occidental est partagé par trois membres du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), un rassemblement, élargi en août, de pays émergents représentant 40 % de la population mondiale et ambitionnant de représenter le Sud global. Il s’agit en premier lieu de l’Inde, pays fondateur des BRICS, dont le premier ministre, Narendra Modi, a immédiatement exprimé sa « solidarité » avec Israël sans mentionner le sort des Palestiniens, et de l’Argentine, admise lors du dernier sommet. Les principaux candidats à la présidentielle argentine, prévue le 22 octobre, ont ainsi apporté un soutien sans nuances à l’Etat hébreu.
Signataires des accords d’Abraham, qui ont ouvert en 2020 une nouvelle phase de normalisation de pays arabes avec Israël, les Emirats arabes unis, également admis au sein des BRICS en août, ont tout d’abord dénoncé l’escalade de la violence sans nommer de responsables. Mais ils ont été ensuite le premier pays arabe à mettre en cause les « attaques du Hamas contre les villes et villages israéliens proches de la bande de Gaza, y compris les tirs de milliers de roquettes sur des centres de population ». Le Soudan, autre signataire de ces accords, a choisi le camp opposé.
Au risque de souligner les limites des BRICS élargis comme la cohérence du concept géopolitique de Sud global, les autres pays fondateurs ont adopté une position mêlant rejet de la violence, appel à la désescalade et rappel plus affirmé du sort des Palestiniens. La Chine a ainsi réagi en s’inscrivant dans ce qui est présenté comme une position d’équilibre. Pékin s’est dit « profondément préoccupé par l’escalade actuelle de la tension et de la violence entre la Palestine et Israël », sans désigner de responsable, tout en appelant « toutes les parties concernées à rester calmes et à faire preuve de retenue, à cesser immédiatement le feu, à protéger les civils et à empêcher une nouvelle détérioration de la situation ».
Le cavalier seul de la Turquie
Confirmant sa position de cavalier seul au sein de l’OTAN, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a invité lui aussi Israéliens et Palestiniens à « agir de manière raisonnable » et à « s’abstenir d’agir impulsivement, ce qui augmenterait les tensions ». Médiatrice traditionnelle des crises à Gaza, l’Egypte a fait de même.
Soutien historique de la cause palestinienne (le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait étudié à l’université Patrice-Lumumba, à Moscou) tout en étant aujourd’hui en excellents termes avec Israël, la Russie a fait de même, le ministre des affaires étrangères, Sergeï Lavrov, ajoutant, le 9 octobre, que la création d’un Etat palestinien est la solution « la plus crédible » au conflit.
Autre compagnon de route, l’Afrique du Sud a campé sur position pro-palestinienne en estimant, selon le parti au pouvoir, l’ANC, que « cette nouvelle conflagration est la conséquence d’une occupation et d’une colonisation illégale continue de la Palestine », sans mettre en cause le Hamas et en appelant à un « cessez-le-feu immédiat ». Un positionnement également adopté par l’Union africaine, même si une bonne partie des pays africains, au sein desquels la cause palestinienne a reflué au fil des années, ne s’est pas exprimée.
Une minorité de pays du Sud global, sur un axe allant du Liban à l’Afghanistan, avec l’Algérie et la Tunisie, s’est enfin prononcée sans aucune réserve en faveur des Palestiniens, voire du Hamas. Elle compte un des derniers nouveaux venus au sein des BRICS, l’Iran.