The Wall Street Journal / L'Opinion
Un second mandat de l’ancien président des Etats-Unis déboucherait sur une nouvelle guerre commerciale avec la Chine, un affaiblissement des alliances en Europe et une complaisance à l'égard des dirigeants autoritaires
Alors que Donald Trump se rapproche de l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle, son programme de politique étrangère apparaît plus clairement depuis qu’il a émis l’idée incendiaire selon laquelle il encouragerait la Russie à attaquer les pays de l’Otan qui n’atteindraient pas leurs objectifs en matière de dépenses consacrée à la défense. Les intentions de Trump s’inscrivent largement dans la continuité de son premier mandat. Mais en cas de réélection, sa volonté de désengager les Etats-Unis de pactes militaires et économiques conclus de longue date se heurtera à un monde devenu encore plus instable. Pour mettre en œuvre ses souhaits, il lui faudra en outre disposer d’une équipe de responsables de la sécurité nationale qui soient plus loyaux que précédemment.
Donald Trump se garde de donner des précisions sur la manière dont il gérerait les conflits actuels, notamment la guerre au Moyen-Orient, mais il peut affirmer de manière audacieuse qu’il pourrait régler la guerre en Ukraine en 24 heures. Il met en avant comme des atouts son style imprévisible et ses relations avec les principaux leaders autoritaires de la planète : le président russe Vladimir Poutine, le dirigeant chinois Xi Jinping et le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un.
« Je connais très bien Poutine - très intelligent, très fin, a ainsi déclaré Trump lors d’un rassemblement politique au début du mois de février. Ils détestent quand je dis ça. Ils disent : “Oh, vous avez dit que le président Xi de la Chine était un homme très intelligent ”. Ils m’ont demandé : “ Est-il intelligent ?”. J’ai répondu : “Eh bien, allons un peu plus loin. Disons que c’est un gars brillant”.
En pleine campagne électorale, l’ancien président joue déjà un rôle majeur dans le blocage d’une aide supplémentaire de plusieurs milliards de dollars à l’Ukraine en exhortant ses alliés du Parti républicain au Capitole à s’y opposer. Ses plaintes concernant l’Otan ont déclenché des alarmes en Europe et les Taïwanais se demandent si les EtatsUnis arrêteraient une invasion chinoise si elle se déroulait sous sa mandature.
Alors qu’à l’intérieur des deux partis, certains craignent que cela n’entraîne le monde dans de nouveaux abîmes d’instabilité - « C’est honteux, c’est dangereux, c’est antiaméricain », a notamment dénoncé mardi le président Biden à propos de ses remarques sur l’Otan -, Trump dépeint une nation en déclin, qui a servi l’ordre mondial à ses propres dépens.
« Qui sont ces gens qui veulent nous faire ça ? Qui sont ces imbéciles, qui sont ces gens qui veulent ruiner notre pays ? », s’est-il insurgé mercredi lors d’un rassemblement en Caroline du Sud.
La conviction de Donald Trump que le monde a proité de l’Amérique est bien antérieure à son élection en 2016. Il a contribué à intensifier une tendance isolationniste au sein du parti républicain et à réprimer l’appétit des deux partis pour les accords commerciaux multilatéraux. « La possibilité d’un véritable repli de l’engagement américain dans le monde n’a jamais été aussi grande », estime ainsi William C. Wohlforth, professeur au Dartmouth College spécialisé dans la politique étrangère.
DES BARRIÈRES COMMERCIALES PLUS ÉLEVÉES
Dans le domaine commercial, Donald Trump propose d’imposer des droits de douane de 10 % sur tous les produits importés, une mesure qui, selon les chefs d’entreprise et les responsables économiques, serait dévastatrice pour l’économie américaine. Il évoque par ailleurs des taux beaucoup plus élevés pour la Chine. Il dit avoir hâte d’engager une bataille tarifaire avec es constructeurs automobiles européens et promet de retirer une nouvelle fois les Etats-Unis des accords de Paris sur le climat. Il affirme que le pacte de coopération économique initié par Joe Biden avec 13 pays de la région indo-pacifique sera tué dans l’œuf. Et il a évoqué lundi avec plusieurs sénateurs républicains son idée de transformer les aides étrangères en prêts.
« Son état d’esprit est que si vous voulez que nous vous défendions, vous devez dépenser de l’argent. Vous voulez un meilleur environnement commercial ? Eh bien, donnez-nous un meilleur environnement commercial », explique Nadia Schadlow, chercheuse principale à l’Institut Hudson et ancienne conseillère adjointe à la sécurité nationale pour la stratégie au sein de l’administration Trump.
Le favori républicain à l’investiture a déclaré qu’il pousserait une augmentation des dépenses militaires afin de dissuader les adversaires de défier les Etats-Unis ou de déclencher des guerres. Une fois élu, il propose de retirer les troupes américaines de Corée du Sud, d’Allemagne et d’autres pays. Il affirme qu’il développera la production nationale d’énergie pour éliminer toute dépendance à l’égard de l’étranger et promet d’imposer des contrôles stricts en matière d’immigration, le tout dans le cadre de son programme « L’Amérique d’abord ».
« Il s’agit là d’une réaction consécutive aux erreurs commises par les mondialistes et les néoconservateurs depuis plus d’un quart de siècle, observe Fred Fleitz, ancien chef de cabinet de John Bolton lorsque celuici était le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Elle touche une corde sensible chez les Américains ». De fait, les sondages montrent que les républicains, en particulier, sont devenus moins désireux, sous l’ère Trump, de voir les Etats-Unis jouer un rôle de leader dans les affaires mondiales. »
Bolton, que Trump a renvoyé en 2019 en partie parce qu’il le trouvait trop « faucon », s’est depuis retourné contre son ancien patron. Il prévient que celui-ci pourrait isoler les Etats-Unis de leurs alliés et potentiellement opérer un retrait complet de l’OTAN. Il affirme d’ailleurs que Trump, quand il était président, a envisagé de se retirer de l’alliance en 2018. L’équipe de campagne de Joe Biden a annoncé vendredi qu’elle lançait une publicité dans les Etats clés du Michigan, du Wisconsin et de la Pennsylvanie pour dénoncer la position de Trump sur l’Otan et souligner que la seule fois où l’alliance a dû agir pour défendre un de ses membres, c’était après les attentats terroristes du 11 septembre 2001.
L’année dernière, le Congrès a discrètement ajouté un amendement bipartisan dans le projet de loi annuel sur la politique de défense, que Biden a promulgué. Cet amendement exige un vote préalable du Sénat à la majorité des deux tiers ou une loi du Congrès avant qu’un président ne puisse « suspendre, résilier, dénoncer ou se retirer » de l’Otan. L’amendement interdit l’utilisation de tout financement pour un retrait.
Selon le représentant républicain du Kentucky Andy Barr, les réactions aux commentaires de Trump ont été exagérées. Ses déclarations ne feraient qu’alimenter le débat en Europe pour encourager les alliés de l’Otan à en faire plus par eux-mêmes. « Cela renforce en soi l’OTAN », affirme-t-il.
Il précise ne pas être d’accord avec les propos de Trump suggérant que la Russie devrait attaquer les alliés de l’Otan qui ne paient pas suffisamment. « Il est important pour tout président de comprendre à quel point les commentaires peuvent être mal perçus, si je peux m’exprimer ainsi, insiste Andy Barr. Ce dont nous avons besoin, c’est de dissuasion. Or tout ce qui pourrait être interprété par erreur comme un manque d’engagement envers l’Otan saperait la dissuasion à la base. »
PLUS DE FIDÈLES À LA MAISON BLANCHE
Quelle serait l’équipe chargée d’élaborer la politique étrangère de Donald Trump en cas de second mandat ? C’est là un facteur clé. Le Parti républicain est en effet divisé sur le degré d’agressivité que doivent avoir Etats-Unis sur la scène internationale. Alors que certains développent une approche plus belliqueuse, d’autres défendent l’idée que l’Amérique devrait se retirer et se recentrer sur les affaires intérieures. Trump semble plutôt disposé à s’entourer de ces derniers.
Parmi ses conseillers actuels en matière de politique étrangère et de sécurité nationale figurent Keith Kellogg, ancien conseiller à la sécurité nationale de Mike Pence lorsqu’il était vice-président ; Robert Lighthizer, ancien représentant de Trump pour les questions commerciales ; Richard Grenell, ancien ambassadeur et directeur par intérim du renseignement national ; John Ratcliffe, l’ancien chef du renseignement ; et Robert O’Brien, ancien conseiller à la sécurité nationale, pour ne citer qu’eux. Tous sont considérés comme des candidats à des rôles clés dans une nouvelle administration Trump.
Certains membres de l’ancienne administration expriment en privé leur inquiétude concernant le fait qu’en cas de second mandat, le gouvernement ne compterait que peu de hauts responsables prêts à s’opposer aux idées les plus radicales de Donald Trump. Lors de ses quatre précédentes années au pouvoir, celui-ci s’est souvent plaint que son personnel ne lui était pas assez idèle. Des gens comme Bolton, qui avaient des opinions divergentes en matière de politique étrangère, alimentaient une opposition en interne, selon lui. Il envisage donc de se débarrasser de tous ceux qui ne sont pas totalement en phase avec son programme, selon des proches.
Selon le président de la commission des afaires étrangères de la Chambre des représentants, Michael McCaul, député du Texas, il serait important que la prochaine administration Trump compte des traditionalistes comme lui, car « il est important d’avoir son oreille et de s’assurer qu’il ne dépasse pas les bornes ».
Le retour potentiel de Trump dans le bureau ovale alimente les spéculations alors que les adversaires de l’Amérique se font de plus en plus redoutables.
« L’une des grandes différences par rapport au passé réside dans cet axe de pays perturbateurs : la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, observe Nadia Schadlow. Ils forment une coalition beaucoup plus cohérente qu’avant. C’est une nouvelle dynamique qu’il aurait à gérer. »
Concernant l’Iran, Trump devrait revenir à l’approche plus dure de son premier mandat, lorsqu’il a mis fin à l’accord de l’ère Obama visant à réduire son programme nucléaire en échange d’un allègement des sanctions.
Selon des partisans de l’ancien président, il est probable qu’il chercherait à obtenir de nouvelles sanctions, mais le candidat n’a donné aucune indication sur la façon dont il gérerait les hostilités actuelles. Selon des proches de Donald Trump, il pourrait essayer de développer les accords d’Abraham, l’une des réalisations marquantes de son premier mandat qui a permis de nouer des relations entre Israël et plusieurs Etats arabes. Le gendre de Trump, Jared Kushner, a joué un rôle central dans la négociation de ces accords. Fondateur d’une société de capital-investissement qui a levé des fonds auprès d’investisseurs saoudiens, émiratis et qataris, celui-ci a déclaré qu’il ne rejoindrait pas la Maison Blanche si son beau-père remportait un second mandat. Mais nul doute que dans ce cas il exercerait quand même une certaine inluence en coulisses.
Donald Trump sera également confronté à une Corée du Nord de plus en plus belliqueuse, qui, selon les autorités américaines, fournit désormais des armes à la Russie. S’il s’est d’abord montré hostile à Kim Jong-un, promettant en 2017 que ses menaces seraient « accueillies par un feu et une fureur comme le monde ne l’a jamais vu », il a ensuite cherché un rapprochement risqué qui n’a débouché sur aucun accord. Trump appréciait les « lettres d’amour », comme il les appelait, que lui envoyait le dictateur nord-coréen.
L’ancien président a peu évoqué la manière dont il aborderait le pays lors d’un second mandat. Il a seulement démenti, en décembre, un article de Politico selon lequel il envisageait un changement de la politique américaine qui permettrait à Pyongyang de conserver ses armes nucléaires mais qui lui interdirait d’en fabriquer de nouvelles. Le tout en échange d’une pause dans les sanctions économiques.
UNE APPROCHE MIXTE DE LA CHINE
Concernant la Chine, Donald Trump promet une approche encore plus agressive en matière commerciale, affirmant qu’il souhaitait révoquer l’état de relations commerciales normales, une mesure juridique qui entraînerait automatiquement une augmentation des droits de douane sur tous les produits, des jouets aux avions, en passant par les matériaux industriels. Il évoque la mise en place de droits de douane supérieurs à 60 %.
La perspective d’une nouvelle présidence Trump suscite une certaine anxiété à Pékin.
D’un côté, certains responsables chinois estiment que Donald Trump pourrait accélérer le déclin de l’Amérique s’il remportait les élections, et que sa réticence apparente à défendre Taïwan pourrait contribuer à apaiser les tensions sur le problème le plus sensible pour les dirigeants chinois. Mais d’autres craignent que sa posture très dure sur le commerce ne porte un énorme coup aux relations économiques déjà tendues entre les deux puissances mondiales. Or Pékin considère depuis longtemps ces échanges comme le fondement de leur relation bilatérale.
Cela n’empêche pas Donald Trump de continuer à s’émerveiller de la main de fer exercée par Xi Jinping sur son pays, confirmant sa tendance à faire l’éloge des dirigeants autocratiques qui font preuve de force. Il a également encensé le dirigeant hongrois, Viktor Orban, et s’est engagé à rendre visite au nouveau président argentin, Javier Milei, qui se décrit luimême comme un anarcho-capitaliste.
Xi Jinping a clairement indiqué qu’il souhaitait placer Taïwan, une île autonome, sous le contrôle de Pékin, suscitant les mises en garde de dirigeants politiques américains. Trump a récemment éludé la question tout en assurant que la Chine ne tenterait rien durant son mandat.
« Si je répondais à cette question, je me mettrais dans une très mauvaise position de négociation », a-t-il déclaré l’été dernier sur Fox News lorsqu’on lui a demandé si les Etats-Unis devaient défendre Taïwan. « Cela dit, Taïwan nous a pris toutes nos activités dans le domaine des puces électroniques », a-t-il ajouté. Taïwan est l’un des principaux producteurs de semiconducteurs.
Selon Ian Bremmer, président de la société de conseil Eurasia Group, l’imprévisibilité de Trump pourrait inciter certains dirigeants mondiaux à réléchir à deux fois avant d’entrer en conlit avec les Etats-Unis. Il rappelle notamment sa décision, en janvier 2020, de tuer Qassem Soleimani, le commandant de la force Quds du Corps des gardiens de la révolution islamique.
« Ils ont compris que Trump était un électron libre, indique Ian Bremmer à propos des Iraniens. Je pense qu’il existe des arguments pour dire que la politique beaucoup plus progressive et prudente de Biden a conduit les Iraniens à penser qu’ils avaient encore beaucoup de marge avant d’être euxmêmes confrontés à un risque sérieux. »
L’approche de l’ancien président pourrait toutefois être risquée, selon lui, même s’il souligne qu’aucune guerre majeure n’a eu lieu quand Trump était au pouvoir.
« C’est comme quand Clint Eastwood demande : “Est-ce que tu veux tenter ta chance ?” [célèbre réplique du film Dirty Harry où celui-ci défie un braqueur de s’emparer d’une arme, NdT]. Mais combien de fois voulez-vous tenter votre chance avec le nombre de conflits dont nous parlons ici ? », interroge Ian Bremmer, pour illustrer l’incertitude d’un second mandat de Donal Trump.
Le représentant républicain de Floride, Matt Gaetz, un allié de l’ancien président, n’en pense pas moins que les sombres prédictions le concernant se révéleront fausses.
« Tout le monde disait en 2015 et 2016 que Trump aurait un comportement erratique, qu’il déclencherait des guerres et que son tempérament entraînerait la perte de vies américaines, indique-t-il. C’est tout le contraire. Trump nous a donné la paix par la force. »