Renaud Girard - Le Figaro
La prolongation de la guerre a toutes les chances d’accroître la popularité du Hamas au sein de la population palestinienne et de toutes les nations musulmanes, analyse notre chroniqueur.
Le gouvernement israélien répète souvent que les 2 millions de Palestiniens de la bande de Gaza sont les otages du Hamas. Ce n’est pas faux, dans la mesure où ce mouvement islamiste, affilié aux Frères musulmans, n’a jamais pris la peine de consulter démocratiquement les habitants de Gaza depuis qu’il a pris le contrôle de ce territoire par la force en 2007.
Mais est-ce une raison pour détruire systématiquement les infrastructures et les immeubles d’habitation de cette terre de 365 km2, peuplée de 2 millions de Palestiniens, et sous occupation par Israël depuis 1967 ? L’armée israélienne ne pousse-t-elle pas trop loin sa tactique du transfert de risques (un minimum de risques pour ses soldats, un maximum de risques pour les civils palestiniens, même si elle ne les prend jamais pour cible intentionnellement) ? N’est-elle pas gênée par l’ampleur des dégâts collatéraux qu’elle commet dans sa traque des terroristes du Hamas ? Est-il légitime de détruire cent maisons simplement parce qu’on court après un combattant du Hamas, qu’on a, au demeurant, peu de chances d’attraper ?
Les dégâts humains (22 000 morts) et matériels sont si considérables à Gaza, si précaire y est devenue la vie de la population palestinienne - qui n’a nulle part où aller - qu’on est en droit de se demander si le gouvernement Netanyahou n’a pas, consciemment ou inconsciemment, donné libre cours à son désir de vengeance. Contre qui ? Contre une population, enfermée à l’intérieur d’une clôture automatisée, dont le gouvernement du Likoud ne voulait plus entendre parler depuis qu’il avait autorisé à ce qu’elle soit financée par le Qatar. Mais, comme toute cette stratégie a fini sur le gigantesque échec sécuritaire du 7 octobre 2023, le gouvernement israélien, politiquement frustré, se sentant proche de la porte de sortie, se laisse aller à infliger une punition collective aux Palestiniens.
Quand est-ce que, dans le monde de l’après Seconde Guerre mondiale, une punition collective a jamais fonctionné ? Quand a-t-elle réussi à améliorer pour de bon la situation des populations concernées, celle qui l’inflige comme celle qui la subit ?
Dans une tribune publiée le 25 décembre 2023 dans le Wall Street Journal, Benyamin Netanyahou a exposé ses trois buts de guerre : 1) la destruction du Hamas ; 2) la démilitarisation de la bande de Gaza ; 3) la déradicalisation de la population gazaouie. À première vue, ces trois objectifs sont légitimes, surtout après les atrocités commises le 7 octobre contre les kibboutz du sud d’Israël, situés à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’État hébreu.
Mais, après un plus long examen, l’on s’aperçoit que, de manière réaliste, seul le deuxième objectif est réalisable. Oui, Tsahal est bel et bien militairement capable de transformer la bande de Gaza en un champ de ruines, qui sera effectivement démilitarisé. Pour un certain temps du moins. En revanche, la prolongation de cette guerre - sans pourparlers ni réflexions politiques sur l’avenir de la question palestinienne - a toutes les chances d’accroître la popularité du Hamas, au sein de la population palestinienne, comme au sein de toutes les nations musulmanes. Le Hamas incarne une idéologie, contre laquelle les bombes sont impuissantes.
Elle a aussi toutes les chances de ne pas « déradicaliser » la population gazaouie. Qui pourra croire que les milliers d’orphelins créés par les bombardements de Tsahal renonceront à venger leurs parents morts sous les décombres ?
Le ministre israélien des Finances est allé encore plus loin que le chef de son gouvernement. Bezalel Smotrich, dans une interview à la radio militaire israélienne le 31 décembre 2023, a appelé les Gazaouis à émigrer à l’étranger et s’est prononcé pour une bande de Gaza où reviendraient les colons israéliens et où il n’y aurait plus que « cent mille ou deux cent mille Arabes ».
Osons le dire : ce sionisme de conquête est suicidaire pour Israël et pour l’Occident qui le soutient. La véritable sécurité d’un État est quand il s’entend bien avec tous ses voisins. Or une telle stratégie d’expulsion forcée des descendants des habitants qui vivaient depuis des siècles dans la Palestine ottomane a très peu de chances d’être un jour acceptée par les voisins, proches ou lointains, d’Israël. C’est la recette parfaite pour une guerre éternelle. Même les États-Unis risquent un jour d’être lassés par l’arrogance d’une droite israélienne qui dénie aux Palestiniens le fait même de constituer une nation.
La prolongation de cette guerre est aussi suicidaire pour l’Occident. Car il offre sur un plateau d’argent à Vladimir Poutine un double cadeau dont il n’osait pas rêver : la preuve quotidienne du deux poids, deux mesures, dans les leçons de morale occidentales ; et conséquence de ce cadeau, le ralliement de facto du « Sud global » à l’axe autoritaire Russie-Iran-Chine.