La Syrie au cœur de la stratégie d’Israël pour empêcher la reconstitution de l’arsenal du Hezbollah

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La Syrie au cœur de la stratégie d’Israël pour empêcher la reconstitution de l’arsenal du Hezbollah
الأحد 1 ديسمبر, 2024

L’Etat hébreu ne cesse, depuis deux mois, de bombarder le pays voisin, afin d’empêcher le parti chiite d’acheminer armes et renforts vers ses bastions libanais.

Jean-Philippe Rémy, Jérusalem, correspondant Hélène Sallon, Beyrouth, correspondante. Le Monde


La Syrie a été, durant les deux mois qu’a duré la guerre au Liban, une extension du front ouvert par Israël contre le Hezbollah. L’armée israélienne y a intensifié ses frappes contre les cadres du Parti de Dieu, ses entrepôts de munitions et les routes de contrebande, afin de l’empêcher d’envoyer armes et renforts au Liban. Dans l’accord de cessez-le-feu, décrété le 27 novembre entre Israël et le Liban, la Syrie conserve un rôle pivot.

Alors que l’armée israélienne estime avoir détruit environ les trois quarts du stock de roquettes de moyenne et courte portée du Hezbollah, ainsi qu’une partie importante de ses missiles, l’enjeu est désormais d’empêcher la formation chiite de reconstituer son arsenal, avec l’aide de l’Iran. Selon les termes de l’accord, le Liban s’est engagé à renforcer le contrôle aux frontières pour empêcher l’entrée d’armes illégales. Dans le cas où l’armée libanaise échouerait à remplir ses obligations, Israël a obtenu des Américains le droit d’agir, dans une lettre de garanties signée en marge de l’accord.

L’enracinement du Hezbollah en Syrie est une source de préoccupation pour les Israéliens depuis l’éclatement, en mars 2011, d’un mouvement de contestation qui s’est transformé en insurrection armée. Le pouvoir du président Bachar Al-Assad n’a tenu bon – au prix de la destruction d’une grande partie de son propre pays – qu’en raison de l’aide de ses trois alliés : l’Iran, le Hezbollah et la Russie.

« Frappes chirurgicales offensives »
Israël, inquiet de voir le mouvement armé libanais développer avec l’appui logistique de l’Iran une plate-forme pour faire passer du matériel militaire et des hommes vers ses bastions libanais, frappe, depuis, librement ses ennemis en Syrie. De frappes occasionnelles, les raids israéliens contre le Hezbollah en Syrie sont passés à un niveau supérieur après que le parti chiite a ouvert un « front de soutien » au Hamas palestinien, le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque meurtrière du 7-Octobre.

L’Observatoire syrien des droits humains (OSDH) a répertorié 150 frappes israéliennes en Syrie depuis janvier 2024. Depuis un an, de nombreux hauts responsables du Hezbollah et des gardiens de la révolution iraniens ont été tués par Israël en territoire syrien. Fin septembre, lors du passage à la guerre ouverte au Liban, les frappes en Syrie se sont encore multipliées. « Il y a eu beaucoup plus de convois qui se sont mis à circuler en Syrie pour acheminer des armes vers le Liban. Cela constituait autant de cibles, pour couper le ravitaillement. Cela ne va pas prendre fin avec le cessez-le-feu, même s’il y aura sans doute une baisse d’intensité », précise une source diplomatique.

« Israël est passé d’une stratégie de frappes chirurgicales défensives à des frappes chirurgicales offensives. Elles sont désormais menées avant même que les armes et les munitions soient acheminées vers le Liban et ne deviennent un danger pour Israël », souligne Navvar Saban, spécialiste de la Syrie au Centre Harmoon, à Istanbul. L’action israélienne se double parfois d’opérations au sol. En septembre, une opération héliportée a détruit le site de Hair Abbas, dans le nord de la Syrie, une usine de production de missiles de précision contrôlée par les gardiens de la révolution iraniens, après avoir bombardé le Centre de recherche scientifique de Masyaf, également consacré au développement d’armes, où sont impliqués des experts iraniens, selon l’OSDH.

Silence de Bachar Al-Assad
Pour y parvenir, Israël bénéficie d’une « fuite massive de renseignement » liée au contexte syrien, une « jungle » dans laquelle le groupe libanais doit composer avec des partenaires qui monnayent leur aide. « Le Hezbollah opère aux côtés d’une armée divisée dans son allégeance entre la Russie et l’Iran. Il n’a pas d’affidés, mais des sous-traitants recrutés dans des villages et des communautés. Ils n’ont pas d’idéologie et peuvent changer de bord pour des questions d’argent et de survie, explique M. Saban. J’ai recensé au moins une dizaine de ces groupes. A chaque fois, ils apportent du renseignement. »

Tandis qu’Israël opère à sa guise en Syrie, son dirigeant, Bachar Al-Assad, s’enferme dans le silence. Depuis le début de la guerre à Gaza, le dictateur s’est gardé de rejoindre l’« unité des fronts » prônée par l’« axe de la résistance » sous l’égide de l’Iran, son parrain contre Israël. Son armée ne fait pas le poids face à Israël, qui a mis en garde Al-Assad contre tout soutien massif aux alliés de l’Iran, formulant des « menaces » allant jusqu’au danger qu’il courrait personnellement s’il franchissait certaines lignes, selon une source israélienne ayant elle-même « porté le message » à Damas. Les frappes menées au cœur des zones contrôlées par le gouvernement, à Damas, à Lattaquié, ou celle qui a ciblé la villa de son frère Maher AlAssad, en septembre, sont autant d’avertissements.

Le président syrien s’est donc installé dans une forme d’entre deux. Il s’est opposé à ce que les gardiens de la révolution iraniens et leurs alliés fassent de la Syrie une base pour attaquer Israël, mais a fermé les yeux sur leur présence et les transferts d’armes vers le Liban. « La Syrie est au cœur de la stratégie de l’Iran contre Israël. Cela ne va pas changer de sitôt », précise Jérôme Cohen, spécialiste de la région à l’Institut d’études de sécurité nationale, près de Tel-Aviv. « Al-Assad est prudent. Il ne veut pas s’impliquer dans la bataille. Il sait que son régime est vulnérable et que la meilleure option est d’absorber les coups », analyse Aron Lund, expert de la Syrie au cercle de réflexion Century International. Inversement, Israël ne cherche pas à faire tomber le régime, ayant acquis la possibilité de frapper à sa guise les installationsdu Hezbollah et de ses alliés.

La Russie en retrait
L’Etat hébreu ne se fait pas d’illusion sur une coopération du dictateur syrien pour couper les routes d’approvisionnement du Hezbollah. Il s’est tourné vers le parrain russe, seul à pouvoir contrebalancer, dans certaines limites, la présence de l’Iran et du Hezbollah en Syrie. Davantage en retrait sur le théâtre syrien depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022, et attentiste dans la guerre à Gaza, Moscou s’inquiète du risque d’escalade régionale découlant de la guerre au Liban. Il a renforcé sa présence dans le Sud syrien à l’automne, se plaçant en force d’interposition entre les milices pro-Iran et Israël.

En octobre, le ministre des affaires stratégiques, Ron Dermer, proche conseiller du premier ministre israélien, est allé à Moscou pour solliciter le soutien du Kremlin dans le contrôle des transferts d’armes vers le Liban. En réponse, Alexandre Lavrentiev, l’envoyé présidentiel russe en Syrie, a déclaré que cette demande impliquerait la mise en place de points de contrôle le long de la frontière avec le Liban, une opération « extrêmement difficile ». Un tel rôle risquerait de placer Moscou en délicatesse avec le Hezbollah et l’Iran, avec qui il maintient une alliance. « La frontière fait plus de 500 km, personne ne peut la contrôler facilement, ce qui veut dire que la contrebande d’armes va continuer », souligne Navvar Saban.