L’Etat hébreu a lancé, mercredi et jeudi, une nouvelle série de frappes contre des bases militaires, près de Damas et dans le plateau du Golan.
Par Hélène Sallon (Damas, envoyée spéciale) et Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant). Le Monde.
Par une nouvelle série de frappes contre des bases militaires en Syrie, mercredi 2 et jeudi 3 avril, Israël a adressé « un avertissement » au président de transition syrien, Ahmed Al-Charaa, et à son alliée, la Turquie. « Si vous permettez aux forces hostiles à Israël d’entrer en Syrie et de mettre en danger les intérêts sécuritaires d’Israël, vous en paierez le prix fort », a menacé, jeudi, le ministre de la défense de l’Etat hébreu, Israel Katz.
Les velléités turques d’installer des bases aériennes et navales en Syrie, dans le cadre d’un accord de défense stratégique avec Damas, sont une ligne rouge pour l’Etat hébreu, qui entend conserver sa liberté opérationnelle dans le ciel syrien et son couloir aérien pour aller frapper l’Iran. « Nous ne pensons pas que la Syrie doive être un protectorat turc », a fustigé le ministre des affaires étrangères israélien, Gideon Saar, lors d’une conférence de presse, à Paris, jeudi, imputant à la Turquie « un rôle négatif en Syrie » et « au Liban ».
« Politiques expansionnistes » Le nouveau pouvoir syrien a dénoncé une « agression [faisant] partie d’une campagne israélienne contre le peuple syrien et la stabilité du pays ». Il ne dispose pas des capacités militaires pour empêcher ces attaques et ne veut pas risquer de saper sa légitimité sur la scène internationale, alors qu’il cherche à obtenir la levée des sanctions, étape indispensable pour redresser le pays en ruine après quatorze années de guerre et pour consolider son pouvoir encore faible.
La Turquie, qui dispose déjà de troupes dans le nord de la Syrie, déployées aux côtés des factions rebelles syriennes depuis la guerre civile, a accusé Israël de « saper les efforts visant à établir la stabilité en Syrie ». « Israël est devenu la plus grande menace pour la sécurité de notre région avec ses attaques visant l’intégrité territoriale et l’unité nationale des pays de la région », a déclaré le ministère des affaires étrangères turc, enjoignant à l’Etat hébreu d’« abandonner ses politiques expansionnistes ».
L’envoyé spécial des Nations unies, Geir Pedersen, a, lui aussi, appelé Israël, jeudi, « à cesser ces attaques ( ) qui sapent les efforts visant à construire une nouvelle Syrie en paix avec elle-même et avec la région, et déstabilisent la Syrie à un moment sensible ». « Nous pensons que ces actions ne sont pas nécessaires, car la Syrie n’attaque pas Israël en ce moment, et cela nourrit la radicalisation qui est aussi dirigée contre Israël », avait, pour sa part, souligné la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, en visite à Jérusalem, lundi.
Accord entre Syrie et Turquie
L’armée israélienne s’est, en outre, déployée dans le Sud syrien, dans la zone démilitarisée du plateau du Golan qu’elle occupe depuis 1967 et annexé en 1981, au motif de sécuriser sa frontière septentrionale. Alors que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a exigé, le 23 février, la « démilitarisation totale du Sud syrien », son armée a mené plus de 130 incursions en territoire syrien, transformant une bande frontalière d’une dizaine de kilomètres de profondeur en zone tampon.
La dernière incursion, la plus profonde menée en territoire syrien par les troupes israéliennes, jeudi, a conduit à des affrontements violents avec la population. Les autorités provinciales de Deraa ont annoncé la mort de neuf personnes près de la ville de Nawa, après un bombardement ayant suivi une « incursion israélienne ». L’armée de l’Etat hébreu a déclaré que ses forces opéraient dans la région de Tasil, « confisquant des armes et détruisant des infrastructures terroristes », lorsque plusieurs combattants ont tiré sur eux.
Des habitants de cette région ont déclaré à l’agence Associated Press qu’un groupe d’habitants armés a été tué après avoir affronté un contingent de l’armée israélienne arrivé dans la région pour détruire un ancien camp de l’armée syrienne. « La présence d’armes dans le sud de la Syrie constitue une menace pour l’Etat d’Israël », a déclaré un porte-parole militaire israélien. Le ministre de la défense, Israel Katz, a affirmé que les forces armées israéliennes resteraient dans la zone tampon en Syrie et continueraient à agir en raison des menaces pesant sur la sécurité d’Israël.
Parmi les cibles militaires visées ces deux dernières semaines la base militaire de Kisweh et le centre de recherche militaire de Barzeh, à Damas, l’aéroport militaire de la ville de Hama, la base de Palmyre et la base aérienne militaire T4 dans la province de Homs, dans le centre du pays se trouvent des positions militaires sur lesquelles la Turquie aimerait se déployer dans le cadre d’un accord de défense stratégique avec Damas. Il s’agit notamment, selon Charles Lister, des bases aériennes de Menagh, à Alep, et T4, à Homs, où la Turquie pourrait déployer des systèmes de défense antiaériens de type Hisar et des drones. La Syrie, qui entend diversifier ses alliances régionales, n’a pas encore signé cet accord, en vertu duquel la Turquie fournira un soutien aérien et une protection militaire au nouveau gouvernement. Mais, selon Charles Lister, « le personnel turc travaille déjà depuis des semaines sur la réhabilitation et la construction de la base aérienne de Menagh, et il en est aux premiers stades de la préparation de travaux similaires sur la base aérienne T4 ».
« Coup de semonce »
« Israël ne souhaite pas que les bases qu’il a bombardées et détruites soient rétablies avec une capacité qui restreindrait la liberté de mouvement de son aviation. ( ) Il ne veut pas que la Syrie se regroupe militairement, s’arme, installe des systèmes de défense antiaérienne et perturbe ses drones et ses avions dans le ciel syrien, analyse le journaliste turc et expert du Proche-Orient, Fehim Tastekin, dans une vidéo publiée le 1er avril. La Syrie que veut Israël est une Syrie qui ne peut pas répondre [militairement]. »
L’aéroport militaire de Hama a été « presque entièrement détruit » et des « dizaines de civils et de militaires ont été blessés » dans les frappes de mercredi soir, a confirmé le ministère des affaires étrangères syrien, dénonçant « une tentative préméditée de déstabiliser la Syrie ». Un correspondant de l’Agence France-Presse a vu au moins un avion militaire calciné et des véhicules militaires, dont un transportant un système de défense antiaérienne, très endommagés.
« A ce stade, nous ne pouvons pas dire qu’Israël a frappé la Turquie, mais cela peut être considéré comme un coup de semonce », estime Fehim Tastekin. Bien que les bombardements et les incursions répétées d’Israël en territoire syrien placent l’Etat hébreu sur une trajectoire de collision avec la Turquie, le journaliste turc estime que l’affrontement entre les deux pays ne devrait pas aller au-delà de la joute verbale, au vu des intérêts, notamment économiques, qui lient les deux pays, et de leur dépendance stratégique envers Washington, qui rêve de rabibocher ses deux alliés.
« La position des Etats-Unis ici est problématique : la Maison Blanche du président Donald Trump donne de facto le feu vert aux actions militaires d’Israël en Syrie, tandis que le Pentagone et le commandement militaire américain au Moyen-Orient [Centcom] encouragent de manière proactive une alliance de sécurité régionale qui remet en question cela », analyse Charles Lister. Alors que Washington aimerait retirer ses troupes stationnées dans le nord et l’est de la Syrie dans le cadre de la lutte contre l’organisation Etat islamique, la Turquie plaide pour la formation d’une nouvelle alliance de sécurité régionale, avec la Jordanie, l’Irak et la Syrie, qui prendrait la relève du Centcom.