Le conflit larvé entre les deux organisations est un nouveau signe des profondes divisions sur la question de la gouvernance du territoire
Omar Abdel-Baqui et Benoit Faucon, L'Opinion/The Wall Street Journal
RAMALLAH, Cisjordanie — Plusieurs signes annonciateurs d’un conflit intra-palestinien entre le Hamas et ses rivaux commencent à apparaître. De quoi susciter de profondes interrogations sur ce à quoi pourrait ressembler un gouvernement d’après-guerre à Gaza et la pérennité de celui-ci.
Fin mars, le Hamas a placé en détention plusieurs hauts membres de l’Autorité palestinienne (AP) à Gaza et a tenté d’empêcher un convoi d’aide supervisé par le personnel de celle-ci de circuler dans le territoire, au motif, selon lui, qu’elle collabore avec Israël. Il s’agit de la première confrontation entre les deux organisations depuis les attaques du 7 octobre qui ont déclenché la guerre. Le Hamas a également annoncé qu’il allait procéder à l’arrestation d’autres personnes ailiées à l’AP à Gaza.
De son côté, le Fatah, le parti qui contrôle l’Autorité palestinienne basée en Cisjordanie, a publiquement critiqué l’Iran, l’un des principaux bailleurs de fonds et soutiens du Hamas, la semaine dernière. Il a indiqué qu’il rejetait les tentatives de Téhéran de dicter sa loi dans la région, tout en réprouvant l’influence croissante d’autres puissances étrangères dans les afaires palestiniennes.
Cette querelle illustre l’animosité profonde entre le Hamas et le Fatah. Celle-ci pourrait compliquer toute tentative de mise en place d’une nouvelle administration à Gaza une fois qu’Israël aura mis fin à sa campagne militaire, qui est entrée dans son septième mois.
Les dissensions entre les deux parties remontent en grande partie à 2007, date à laquelle le Hamas a évincé par la force le Fatah de Gaza après avoir remporté les élections législatives dans les territoires palestiniens l’année précédente. Depuis, le fossé s’est creusé, les islamistes purs et durs du Hamas accusant régulièrement l’AP, majoritairement laïque et dirigée par le Fatah, de collaborer avec Israël et l’Occident.
La tension semble aujourd’hui être montée d’un cran. Les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales attendent de l’AP, favorable à la création d’un Etat palestinien par la voie diplomatique, qu’elle joue, une fois réformée, un rôle de premier plan à Gaza et empêche toute vacance du pouvoir susceptible de permettre au Hamas de se maintenir sous une forme ou sous une autre.
De son côté, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, fermement opposé à la création d’un Etat palestinien, redoute que l’AP gouverne à la fois la Cisjordanie et la bande de Gaza, même si certains hauts fonctionnaires israéliens n’ont pas exclu l’idée de coopérer avec l’institution basée à Ramallah ou avec des membres du Fatah.
« Le consensus général est que, d’une manière ou d’une autre, nous devrons travailler avec des personnes qui sont plus ou moins liées à l’Autorité palestinienne, résume un haut fonctionnaire israélien. Cela ne signiie pas, pour autant, qu’elle sera, sous sa forme actuelle, l’autorité qui dirigera Gaza. »
Le Hamas, pour sa part, redouble d'efforts pour s’assurer qu’il continuera à jouer un rôle politique dans le futur en limitant l’accès de l’Autorité palestinienne à l’étroit territoire.
Le ministère de l’Intérieur du Hamas a déclaré à Al-Aqsa TV — une chaîne de télévision ailiée au mouvement — que sa police avait arrêté, le 30 mars, six personnes appartenant à une « force suspecte » dirigée par des agents des services de renseignement de l’Autorité palestinienne, qui étaient entrés à Gaza avec le Croissant-Rouge égyptien. Il a affirmé que cette force travaillait en coordination avec Israël et que le Hamas allait chercher à appréhender d’autres personnes impliquées dans ce groupe.
Jetant un peu plus d’huile sur le feu, le Hamas a accusé les agents des services de renseignement de l’AP de comploter pour semer le chaos et la division dans la bande de Gaza, renouant ainsi avec sa vieille habitude de qualifier de traître quiconque travaillant avec Israël. « Nous appelons les dirigeants du Fatah et de l’AP à Ramallah à revenir dans le camp national, a déclaré le Hamas dans un communiqué. L’ennemi sioniste est face à vous. Combattez-le au lieu de mener votre guerre destructrice contre Gaza et son peuple. »
Cinq des membres de l’AP arrêtés par le Hamas dans la ville de Gaza sont toujours en captivité, a indiqué un haut fonctionnaire de l’Autorité palestinienne. Deux représentants de l’Autorité en poste à Gaza ont été tués au cours des deux dernières semaines, mais rien ne permet pour l’heure de savoir si c’est Israël ou le Hamas qui en est le responsable, a précisé le responsable.
L’armée israélienne s’est refusée à tout commentaire. Les dirigeants du Hamas n’ont pas voulu s’exprimer sur les arrestations et les incidents survenus avec les convois d’aide.
Le porte-parole du Fatah à Gaza, Munzer Al-Hayek, affirme que le Hamas tente d’éliminer toute présence sur le terrain en dehors de la sienne. « Il cible tout particulièrement l’Autorité palestinienne en l’accusant d’être une puissance étrangère », a-t-il déclaré lors d’une interview.
Selon un responsable américain, Washington est parfaitement informé des afrontements entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. « Une AP réformée est essentielle pour obtenir des résultats pour le peuple palestinien et établir les conditions de la stabilité en Cisjordanie et à Gaza, dit-il. Il reste beaucoup de travail pour concrétiser cette vision, mais nous sommes déterminés à appuyer les mesures qui permettront d’y parvenir. »
L’Autorité palestinienne assure que ses initiatives humanitaires sont menées en collaboration avec le Croissant-Rouge égyptien et qu’elles ont pour seul but d’accroître l’afflux d’aide humanitaire à Gaza. Le Croissant Rouge égyptien a déclaré qu’il ne se consacrait qu’aux questions logistiques et ne s’immisçait pas dans les affaires politiques.
Un haut fonctionnaire de l’Autorité palestinienne a reconnu la présence d’agents des services de renseignement à Gaza, tout en précisant que certains d’entre eux aidaient à coordonner la distribution de l’aide et qu’ils ne sont pas armés. Il a démenti les dires du Hamas affirmant que les membres de l’AP étaient venus de l’extérieur de la bande de Gaza.
« Le convoi d’aide égyptien a fait l’objet de la même coordination que tous les autres. Il est vrai que les Egyptiens ont des contacts directs avec les Israéliens. Mais notre mission consiste à essayer de coordonner et d’acheminer une partie de l’aide de l’Autorité palestinienne, aux côtés des Egyptiens, à notre peuple, a ajouté le haut fonctionnaire de l’AP. C’est censé être quelque chose dont tout le monde doit se réjouir, et non devenir la cible d’attaques. »
Le Hamas et l’AP ont parfois sévi contre les membres de l’autre organisation sur leurs territoires respectifs. Selon des sources bien informées, les deux factions n’ont actuellement que peu ou pas de contacts oiciels à haut niveau.
Bien que les Nations unies veillent à ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures, la vacance du pouvoir doit être évitée dans la bande de Gaza après la guerre, estime un haut fonctionnaire de l’ONU. « Si un tel scénario se produit, nous risquons de perdre le contrôle de la situation dans son ensemble », ajoute-t-il.
Avant la guerre, l’Autorité palestinienne finançait encore quelques programmes dans la bande de Gaza et se coordonnait avec certains ministères du gouvernement mis en place par le Hamas. Des milliers de personnes y étaient salariées de l’AP, même si tous ces employés n’étaient pas en activité, expliquent les analystes. Le Hamas a moins de poids en Cisjordanie occupée par Israël, en raison des mesures de répression prises au il des ans par l’AP et l’Etat hébreu.
Comme l’a écrit The Wall Street Journal, les responsables sécuritaires israéliens ont élaboré en secret un projet de distribution de l’aide dans la bande de Gaza qui pourrait aboutir à la création d’une autorité gouvernementale dirigée par les Palestiniens. Ce plan ferait appel à des dirigeants et à des hommes d’affaires palestiniens sans lien avec le Hamas, classé dans la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis. Israël a sollicité la participation de plusieurs personnalités palestiniennes, dont le plus haut responsable des services de renseignement de l’AP, Majed Faraj. Un responsable du Hamas a déclaré que les initiatives prises pour acheminer l’aide humanitaire à Gaza par voie maritime, sans consultation du mouvement au préalable, ont rendu celui-ci nerveux au sujet de sa mainmise sur le territoire.
Nasser Alkidwa, un ancien haut fonctionnaire de l’Autorité palestinienne qui s’est efforcé de réconcilier le Fatah et le Hamas, est du même avis. Selon lui, le Hamas craint que l’AP ne cherche à s'infiltrer dans la bande de Gaza afin d’en prendre le contrôle. Les dernières arrestations et les incidents liés aux convois, ainsi que la récente campagne de dénigrement de l’Autorité palestinienne dans les médias arabes, tendent à prouver que le fossé qui les sépare n’est pas près de se combler, estime-t-il.
« Le Hamas poursuit un objectif simple. Il veut montrer qu’il est bien présent, qu’il contrôle la situation et qu’on ne peut pas le court-circuiter pour mener ses affaires à Gaza, précise M. Alkidwa. La crainte d’un conflit civil est justifiée et sert les intérêts israéliens. »