Par Georges Malbrunot. LE FIGARO.
DÉCRYPTAGE - L’ancien djihadiste, devenu président par intérim de la Syrie, sera reçu mercredi à l’Élysée, au moment où les exactions se multiplient contre les minorités.
Le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, effectue ce mercredi à Paris, à l’invitation d’Emmanuel Macron, son premier déplacement en Europe. La visite de l’ancien djihadiste, critiquée par le Rassemblement national, intervient alors que les exactions contre les minorités se sont multipliées en Syrie, laissant planer de sérieux doutes sur sa capacité à contrôler les éléments les plus radicaux de sa coalition d’islamistes et de djihadistes, qui renversa Bachar el-Assad le 8 décembre dernier.
En annonçant mardi sa venue à Paris, l’Élysée soulignait qu’Emmanuel Macron « redirait le soutien de la France à la construction d’une nouvelle Syrie, une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société ». Le chef de l’État rappellera « ses exigences vis-à-vis du gouvernement syrien, au premier rang desquelles la stabilisation de la région et notamment du Liban, ainsi que la lutte contre le terrorisme », ajoutait l’Élysée.
Au cours des premiers mois de la nouvelle gouvernance, Emmanuel Macron répétait qu’il jugerait à«ses actes» et «sans naïveté» le nouveau dirigeant syrien. Après s’être hâtée lentement, la France semble accélérer son retour à Damas, où un chargé d’affaires, Jean-Baptiste Faivre, actuel ambassadeur au Qatar, prendra prochainement ses fonctions. «On considère la France comme la porte d’entrée de l’Europe, étant donné son rôle historique en Syrie, comme ancienne puissance mandataire»,se félicite un conseiller d’Ahmed al-Charaa, joint au téléphone à Damas.
«Ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition (…) ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapis rouge pour Daech», estimait mardi sur RTL Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères. Selon lui, «la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires et des trafics de drogue», «tout cela se joue en Syrie», où Ahmed al-Charaa est confronté à une multitude de défis sécuritaires et économiques, notamment.
Le maintien des sanctions internationales empêche les pays du Golfe de financer la reconstruction d’un pays, largement détruit par quatorze années de guerre. Menacé de sanctions par les États-Unis, le Qatar ne peut toujours pas verser les 120 millions de dollars promis chaque mois à Ahmed al-Charaa pour payer ses fonctionnaires. Dans un pays où des pans entiers de la population échappent au pouvoir, les réseaux du crime organisé alimentés par le trafic de drogue sont plus riches 7 milliards de revenus chaque année que le gouvernement, rappelle un responsable français, inquiet de possibles collaborations entre les reliquats du groupe État islamique et d'anciens partisans du dictateur déchu, désireux de déstabiliser le nouveau régime.
Tout en louant le pragmatisme et la capacité d'écoute d'Ahmed al-Charaa, la diplomatie française ne nourrit aucune illusion à son égard. «Il sera un autocrate à la sauce moyen-orientale, avec une coloration islamiste», confiait il y a quelques semaines un diplomate de haut rang. Mais Emmanuel Macron indiquait au Figaro, lors de sa visite récente en Égypte, être «pragmatique». Paris reconnaît qu'al-Charaa est l'homme le plus influent de Syrie. « Il faut lui donner une chance, son échec n'est pas une option», fait-on valoir au Quai d'Orsay.
Dans le même temps pourtant, Paris maintient sa vigilance et «jugera la commission d'enquête (sur les massacres d'alaouites commis début mars, NDLR) sur ses résultats», souhaitant que les «coupables soient jugés », insiste-t-on à l'Élysée. Or le pouvoir, quitte à nourrir les soupçons, a reporté de plusieurs mois l'annonce de ces résultats. Les dernières violences contre la minorité druze ne font qu'alimenter les doutes sur la capacité d'al-Charaa à rassembler la mosaïque syrienne.
Paris est également très attentif au sort des Kurdes, les alliés de la France dans la guerre contre Daech, engagés dans des pourparlers délicats avec Damas en vue de leur intégration dans la nouvelle gouvernance. Alors que les États-Unis ont entamé le retrait d'une partie de leurs 2000 militaires déployés dans le Nord-Est syrien auprès des Kurdes, la France pourrait combler le vide et dépêcher des militaires pour épauler les Kurdes, selon les confidences d'un diplomate européen. Interrogé par Le Figaro, l'Élysée n'a ni démenti ni confirmé cette information, soulignant toutefois: <Nous nous coordonnons avec les États-Unis. »
Le sort des djihadistes français sera également évoqué. Une centaine - 300 avec leurs familles est en liberté dans la province d'Idlib. Al-Charaa a assuré à la France qu'ils étaient sous contrôle, mais son intention de leur accorder la nationalité syrienne inquiète.
Paris compte prendre sa part à la reconstruction de la Syrie, une semaine après la signature d'un contrat de 30 ans entre Ahmed al-Charaa et le géant de la logistique CMA-CGM pour l'exploita-tion du port de Lattaquié. Mais l'Allemagne est en avance. À quatre reprises devant Ahmed al-Charaa, sa ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, prononça le mot de Siemens le 3 janvier lorsqu'elle l'a rencontré avec Jean-Noël Barrot, se souvient un témoin.
La visite d'Ahmed al-Charaa ne semble pas avoir été coordonnée avec les partenaires européens de la France. «Le sujet n'a pas été abordé par le représentant français lors de la dernière réunion à Beyrouth des chefs de mission des pays européens à Damas», regrette l'un d'eux. En le recevant, Emmanuel Macron s'inscrit finalement dans la lignée de ses prédécesseurs, empressés de découvrir leurs homologues syriens. En 1999, dans l'espoir de le chaperonner, Jacques Chirac reçut à l'Élysée le jeune Bachar el-Assad, qui n'était pas encore président. En 2008, son successeur Ni-colas Sarkozy accueillit en grande pom-pe le raïs lors du sommet de l'Union pour la Méditerranée, avant de pousser en 2012 les Européens à rompre avec le dictateur, qui réprimait dans le sang ses opposants.