La banlieue sud de Beyrouth, au Liban, ciblée par des frappes israéliennes, le 7 octobre. © Marwan Naamani/AP/SIPA / SIPA / Marwan Naamani/AP/SIPA
L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. La polarisation politique qui mine les États-Unis devient un boulet pour la politique étrangère de Washington, au Proche-Orient comme ailleurs.
Le Point
Le crépuscule de son mandat est un calvaire pour Joe Biden. Le président américain est non seulement cacochyme mais aussi politiquement impuissant. À ne jamais obtenir les cessez-le-feu qu’il réclame à Gaza ou au Liban, sa crédibilité est écornée. Le monde entier a l’impression que Benyamin Netanyahou le promène par le bout du nez. Comment expliquer que le dirigeant le plus puissant de la planète ne parvienne pas à imposer sa volonté à Israël, pays dont la sécurité dépend tellement de son allié américain ?
Le Premier ministre israélien fait le gros dos dans l’espoir d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. S’il peut jouer la montre, c’est parce que le consensus américain a volé en éclats. Pendant des années, les présidents, qu’ils soient démocrates ou républicains, étaient tous guidés par l’idée de « la terre contre la paix » : un retrait d’Israël des territoires occupés en échange de son insertion pacifique dans son environnement régional.
Là comme ailleurs, Donald Trump a renversé la table à son arrivée au pouvoir en 2017. Emboîtant le pas à Netanyahou, il a écarté le projet « terre contre paix », déménagé l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et nommé à la tête de celle-ci un partisan résolu de la colonisation de la Cisjordanie. Netanyahou compte sur un second mandat de Trump dans la même veine. Son intérêt est donc de camper sur ses positions en attendant le 5 novembre. Voilà pourquoi Biden est incapable de lui imposer quoi que ce soit.
Le Proche-Orient n’est pas une exception. La polarisation qui mine les États-Unis est devenue un boulet pour toute la politique étrangère de Washington. Que ce soit sur les relations transatlantiques et l’avenir de l’Otan, la guerre en Ukraine, le conflit autour de Taïwan, la relation avec la Corée du Nord, les démocrates et les républicains sont aux antipodes, ou presque. Selon que Donald Trump ou Kamala Harris l’emportera, la diplomatie américaine adoptera des positions opposées.
Un exemple éloquent est fourni par la lutte contre le changement climatique. Obama a signé l’accord de Paris en 2015 ; Trump en a fait sortir les États-Unis en 2017 ; Biden les y a fait rentrer en 2021 ; on peut parier sans risque que Trump, s’il est élu, les en fera sortir de nouveau en 2025, ce qui ne sera pas le cas avec Harris.
La polarisation extrême qui déchire la politique intérieure américaine a pour conséquence de transformer la moindre question diplomatique en terrain d’affrontement entre les deux camps. Chaque élection devient un enjeu existentiel, car elle met aux prises deux Amériques qui ne se comprennent plus – et qui ne veulent plus se comprendre. Résultat, les États-Unis deviennent imprévisibles. Le scrutin du 5 novembre sera très serré, selon les sondages. Les chances que le vainqueur soit Trump ou Harris sont à peu près de 50-50. Soit la même probabilité que si le sort du monde était joué à pile ou face.
Dans ces conditions, des dirigeants sont tentés de tout miser sur l’un des deux candidats. C’est le cas non seulement de Netanyahou, mais aussi de Poutine. Quoi qu’il en dise, le président russe espère qu’une élection de Trump conduira à un effondrement du soutien occidental à l’Ukraine. Il exclut par conséquent toute négociation sérieuse avec Kiev en attendant le résultat des urnes. À l’inverse, l’Iran se satisferait de Harris, car Khamenei n’a pas oublié que Trump avait dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien et mis en place une politique de « pression maximale » sur Téhéran.
Les dirigeants chinois, eux, sont circonspects. Une victoire du candidat républicain troublerait la relation entre Washington et ses alliés asiatiques. De leur point de vue, ce serait bon à prendre. Mais ils ont aussi entendu Trump menacer d’imposer un droit de douane de 60 % sur les produits chinois, ce qui serait désastreux pour l’économie de la République populaire.
L’incertitude électorale est aggravée par deux facteurs : l’imprévisibilité de Trump, qui a radicalisé ses positions par rapport à son premier mandat ; l’inconsistance de Harris, qui a évité au maximum, pendant sa courte campagne, de se prononcer sur les sujets controversés. Dans un monde bouleversé par l’extension des conflits, la voix de l’Amérique ne porte plus. Pour l’Europe, qui continue malgré les avertissements à compter d’abord sur Washington pour sa sécurité, le jeu devient de plus en plus périlleux.