Au taekwondo, une Iranienne représentant le régime a affronté une ex-compatriote devenue bulgare et critique de Téhéran. Un casse-tête pour les médias officiels.
Par Ghazal Golshiri, Le Monde
Jusqu’en 2020, Kimia Alizadeh et Nahid Kiyani étaient des amies proches qui se motivaient mutuellement au sein de l’équipe iranienne de taekwondo. Jeudi 8 août, aux Jeux olympiques (JO) de Paris, les deux athlètes, âgées de 26 ans, se sont pourtant affrontées lors d’un combat en huitièmes de finale dans la catégorie des moins de 57 kg. Kimia Alizadeh, la tête nue, jouait pour son pays d’adoption, la Bulgarie. Les cheveux couverts par un foulard, Nahid Kiyani, elle, arborait les couleurs de la République islamique d’Iran, pays dans lequel le voile est obligatoire pour les femmes.
A la télévision iranienne qui diffusait en direct la compétition, le mal-être a été total. Comment parler de Kimia Alizadeh, jadis très aimée en Iran, notamment pour avoir été en 2016 la première femme médaillée olympique de l’histoire de son pays de naissance alors qu’elle a osé quitter son pays quatre ans plus tard en critiquant le pouvoir politique en place ?
Pour les journalistes de la télévision iranienne, la solution a été de ne jamais prononcer le nom de Kimia tout au long de l’épreuve. Les soutiens du régime s’en sont pris avec violence à cette « traîtresse » qui, d’après eux, a profité de l’argent iranien pour grandir comme athlète, avant de tourner le dos à sa patrie.
Voilà pourquoi lorsque Kimia Alizadeh a été battue par son ancienne coéquipière, les partisans du régime iranien ont laissé libre cours à leur joie. Leur euphorie n’a pourtant pas duré car, quelques heures plus tard, les deux femmes se sont retrouvées sur le podium, l’une dans les bras de l’autre. Nahid Kiyani a été médaillée d’argent pour l’Iran et Kimia Alizadeh a fini en troisième position. Leur accolade a duré une dizaine de secondes, témoignant d’une amitié qui ne se brise pas, malgré la distance et les risques courus par celle qui va retourner en Iran. La scène n’a pas été montrée par la télévision iranienne, le régime essayant toujours d’ériger un mur de haine et de peur entre ceux qui restent dans le pays et ceux qui partent.
« Toutes les deux les grandes fiertés de l’Iran »
Lorsqu’elle a quitté l’Iran en 2020, Kimia Alizadeh a ainsi expliqué sa décision : « Je suis une parmi des millions de femmes opprimées en Iran avec qui [les dirigeants] jouaient comme ils voulaient depuis des années. Je portais ce qu’ils disaient. Je répétais chaque phrase qu’ils me demandaient. Ils ont attribué mes médailles au [bienfait du] hijab obligatoire et à leur propre gestion. Dans vos esprits patriarcaux et misogynes, vous avez toujours pensé que Kimia était une femme sans voix. Je n’ai aucune autre revendication dans le monde que le taekwondo, la sécurité et une vie heureuse et saine. » Dans ce texte, l’athlète iranienne faisait allusion au message que le Guide suprême, Ali Khamenei, lui avait adressé après sa victoire aux Jeux olympiques de Rio, en 2016, la félicitant d’avoir « brillé tout en respectant le hijab ».
Après son départ d’Iran, Kimia Alizadeh s’est d’abord installée en Allemagne, où elle a rejoint l’équipe olympique des réfugiés. En avril, elle a reçu la nationalité bulgare et intégré l’équipe de son nouveau pays d’accueil.
Depuis jeudi soir, les réseaux sociaux sont inondés de messages des Iraniens qui, malgré la colère du régime et ses soutiens, se réjouissent de la victoire de Kimia Alizadeh et Nahid Kiyani et de la manifestation de leurs liens amicaux. « Leur amitié est la plus violente gifle pour les détracteurs. Vous êtes toutes les deux les grandes fiertés de l’Iran », a écrit sur X une utilisatrice iranienne. En guise de réponse aux détracteurs de Kimia Alizadeh qui la qualifient de « déracinée » et d’« apatride », une autre utilisatrice sur X a dit : « C’est vous les sans-patrie. Kimia ne serait jamais partie si vous ne l’aviez pas obligée à quitter sa patrie. »