Après le psychodrame des droits de douane au Mexique et au Canada, après les annonces du rachat forcé du Groenland et de l’assaut envisagé sur le canal de Panama, ce qui est en jeu avec la méthode Trump, c’est la parole des Etats-Unis, explique, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».
Ce qu’il y a de touchant chez Donald Trump, c’est la fidélité à son métier d’origine. La promotion immobilière, il est vrai, règle bien des problèmes. Après tout, le conflit israélo-palestinien est une affaire de répartition foncière, une question notariale : deux peuples pour une même terre, comment faire ?
Depuis la fin des années 1970, ses prédécesseurs à la Maison Blanche ont planché sur le sujet. Un président égyptien, Anouar El-Sadate (1918-1981), et un premier ministre israélien, Yitzhak Rabin (1922-1995), y ont laissé leur vie. Rien n’a jamais abouti, a observé Donald Trump dans son étonnante conférence de presse du mardi 4 février. Les uns et les autres – Américains, Israéliens et Palestiniens – ont esquissé l’idée d’en revenir à l’idée du partage de la Palestine mandataire voté par l’ONU en novembre 1947 : un Etat pour les Juifs, un autre pour les Arabes. Cela n’a pas marché.
Sans doute ceux qui se sont attaqués à ce dossier manquaient-ils, tous, d’imagination. Ou se laissaient-ils intimider par la petitesse d’esprit des juristes internationaux, par les contraintes mesquines des résolutions de l’ONU ou encore par la difficulté des peuples à oublier l’histoire qui les hante ? A moins que les prédécesseurs de Trump n’aient pas su, pas pu ou pas voulu tordre le bras aux parties concernées pour leur imposer la paix ? Ou alors le moment n’était pas venu, l’environnement arabe pas prêt, les opinions publiques hostiles. Dresser la liste des causes qui sont à l’origine de l’échec d’un demi-siècle de processus de paix serait long et fastidieux – et tout le monde en prendrait pour son grade.
Arrive Donald Trump. Il a l’avantage de ne pas avoir l’esprit embarrassé par toutes ces considérations. Ses années de promotion immobilière lui ont donné le sens du terrain : c’est quand un bâtiment est en ruine qu’il faut acheter. Ses années de télé-réalité lui ont aussi appris que la vraie réalité est d’abord cathodique.
Golfer sous les palmiers
Alors, riche de cette expérience, il casse les codes et il imagine : 40 kilomètres de côtes au bord de la Méditerranée orientale, quel promoteur y résisterait ? Il gamberge. Un grand Mar-a-Lago, sa résidence en Floride, bon sang mais c’est bien sûr, voilà l’idée ! Des villas de luxe dans les champs d’oliviers, des immeubles dans le style local sur le front de mer. Avec un golf peut-être, dans les dunes, il y a déjà les trous pour les bunkers. Les acquéreurs vont se précipiter « du monde entier », a dit Trump.
C’est assez simple à réaliser. Les Etats-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza (avec la VIe flotte qui opère en Méditerranée ?), il vont en acquérir la « propriété » (auprès de qui ? Les Gazaouis, l’Egypte, Israël, l’Autorité palestinienne, le Hamas, la Ligue arabe ?), et les amis du métier (des promoteurs américains, sans doute) vont, en quelques années, transformer l’ensemble en « riviera ».
En attendant, les 2 millions de Palestiniens sur place seront relogés, « dans des belles maisons », en Egypte et en Jordanie – qu’il faudra construire, bien sûr : toujours cet attachement de Donald Trump au BTP. Tout sera payé par les pays du Golfe. Naturellement, certains Palestiniens pourront revenir dans la « riviera », où les Israéliens aussi seront les bienvenus. Et tout le monde ira golfer sous les palmiers.
On pourrait sourire si le sujet s’y prêtait, si la situation des otages israéliens et des centaines de milliers de Palestiniens sans abri, sans hôpitaux, sans écoles, n’était si grave. Les optimistes et les trumpistes défendront la créativité du président : hors toute idée nouvelle, même farfelue, sans coup de pied dans les certitudes du moment, on risque l’enlisement. Charitablement, ils évoqueront la manière Trump : lâcher une bombe pour toujours occuper l’espace médiatique, puis regarder ce qui retombe en espérant quelque effet positif.
Pour l’heure, le programme Gaza-villas et déplacement de population est unanimement condamné dans le monde arabe, tout particulièrement au Caire et à Amman. Il résonne comme une menace pour le deuxième volet du cessez-le-feu conclu en janvier entre Israël et le Hamas : pourquoi l’appliquer si les Palestiniens doivent être chassés du territoire ?
Dans la mémoire collective palestinienne, la seule évocation d’un transfert de population sonne douloureusement comme la possibilité d’un nouvel exil après celui de 1948. Le plan de Donald Trump banalise le programme de l’ultradroite israélienne qui entend rouvrir des colonies dans la bande de Gaza et prône l’installation des Gazaouis en Egypte. Enfin, le président n’a pas d’emblée exclu de donner son imprimatur à l’annexion pure et simple, par Israël, du deuxième territoire palestinien, la Cisjordanie.
Au passage, le président a fâché son allié saoudien. Pour établir des relations diplomatiques avec Israël, assure Donald Trump, Riyad n’exigerait plus la reprise d’une négociation sur la création d’un Etat palestinien. A peine le président américain avait-il émis ce propos que la maison des Saoud publiait un long et catégorique communiqué jurant du contraire. Le projet « riviera » a peut-être tué les accords d’Abraham, ce processus en cours de normalisation d’Israël dans son environnement arabe.
Plus grave, venant après le psychodrame des droits de douane imposés, puis aussitôt levés, au Mexique et au Canada, après les annonces du rachat forcé du Groenland et de l’assaut envisagé sur le canal de Panama, ce qui est en jeu avec la méthode Trump, c’est la parole des États-Unis. Alors que doit s’amorcer une négociation lourde et difficile sur la guerre en Ukraine, faudra-t-il à chaque propos du président du plus puissant pays du monde se poser la question : sérieux, pas sérieux ? On a suspecté Joe Biden de gâtisme pour moins que cela.