L’Arabie saoudite, pièce maîtresse d’un Proche-Orient en recomposition

L’Arabie saoudite, pièce maîtresse d’un Proche-Orient en recomposition
الاثنين 6 يناير, 2025

Par Hélène Salon (beyrouth, correspondante), Le Monde

L’Arabie saoudite pensait avoir tourné la page des « printemps arabes », déclenchés en mars 2011, pour promouvoir une « paix des autocrates » au Moyen-Orient. Les recompositions à l’œuvre depuis le 7 octobre 2023 ont contrarié son projet de faire du développement économique le pilier d’une nouvelle stabilité dans la région. La prise du pouvoir à Damas par les rebelles syriens, le 8 décembre 2024, et, avant elle, l’attaque meurtrière menée par le Hamas palestinien contre Israël et ses répercussions régionales ont remis en cause la stratégie de normalisation poursuivie par Riyad, à la fois avec l’ancien régime syrien et avec Israël.

« Avant le 7-Octobre, l’Arabie saoudite rêvait d’un monde où le marché prenait le dessus sur le politique. Le 7-Octobre, le politique leur a éclaté au visage et a montré les limites de leur discours nationaliste », résume Stéphane Lacroix, chercheur associé au CERI-Sciences Po Paris. Après les premières années d’aventurisme, qui se sont retournées contre lui, telle la guerre qu’il a lancée au Yémen en 2015, le prince héritier et premier ministre saoudien, Mohammed Ben Salman, surnommé « MBS », a adopté, depuis 2020, une posture prudente et tactique, mais affirmée, sur les questions régionales, qui guide aujourd’hui sa position sur le dossier palestinien, comme envers les nouvelles autorités de Damas.

Incarnant une nouvelle génération néolibérale au pouvoir, abreuvée par un discours nationaliste et une vision pragmatique, « MBS » a imprimé sa marque sur la politique étrangère saoudienne, de façon différente de son père, le roi Salman. « En tant que chef de l’Etat, le roi Salman détient le pouvoir de décision ultime sur les orientations les plus importantes de la politique nationale et, en coulisses, il l’exerce probablement encore sur certaines questions absolument centrales, y compris la question palestinienne. Il a délégué presque toutes les prises de décision, et certainement la mise en œuvre des politiques, à son fils “MBS” », souligne Hussein Ibish, spécialiste du Golfe à l’Arab Gulf States Institute, à Washington.

« La diplomatie saoudienne est très adaptative et pragmatique, tournée vers le développement économique du pays », souligne Salman Shaikh, à la tête du forum de médiation et de résolution de conflits The Shaikh Group. La priorité reste, pour Riyad, de rétablir une stabilité régionale qui serve ses intérêts nationaux, tournés vers la mise en œuvre de son plan de modernisation et de diversification économique, Vision 2030. A cette fin, le régime a tourné la page des confrontations, pour favoriser la diplomatie, que ce soit avec l’axe islamiste incarné par la Turquie et le Qatar ou avec son rival chiite, l’Iran.

Il n’est toutefois pas question pour Riyad, qui revendique le leadership sur le monde arabo-musulman, de laisser ses rivaux régionaux imposer leur hégémonie au Moyen-Orient. Avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, « MBS » espère disposer de plus de leviers encore pour façonner les équilibres au Moyen-Orient. Il estime pouvoir tirer parti des relations étroites qu’il a tissées avec lui au cours de son premier mandat, non sans se préparer aussi à quelques bras de fer.

Exigence de contreparties
L’Arabie saoudite, d’abord prudente face au nouveau dirigeant syrien, Ahmed Al-Charaa, soutenu par la Turquie et le Qatar, lui a offert son parrainage. Après une interview sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya, destinée à convaincre Riyad de ses bonnes intentions, l’ancien djihadiste reconverti en chef d’Etat nationaliste a obtenu le geste qu’il espérait pour consolider sa légitimité et son pouvoir. A l’invitation de la couronne saoudienne, son nouveau chef de la diplomatie, Assaad Al-Chibani, s’est envolé, le 1er janvier, à Riyad pour sa première visite officielle à l’étranger.

Le succès de la transition politique en Syrie serait, aux yeux de Riyad, un gage de stabilité régionale. « Il y a trois dangers pour l’Arabie saoudite : l’ascension de djihadistes plus nationalistes qui rentrent au pays ; une hégémonie turque qui produirait une version sunnite de l’Iran, qui menacerait leurs intérêts dans le monde arabe, et la fragmentation de la Syrie », estime Hussein Ibish. Riyad peut peser diplomatiquement, notamment auprès de Washington, pour une levée des sanctions internationales sur la Syrie, ainsi qu’économiquement, en investissant dans le pays. Elle ne pourra cependant pas rivaliser avec la Turquie en matière d’influence militaire, politique et économique.

Sur le dossier palestinien, « il y a eu un durcissement de la position saoudienne, du fait de la politisation de la jeunesse saoudienne sur la question palestinienne, mais aussi motivé par le désir d’empêcher l’Iran et les islamistes de monopoliser cette question, et par la crainte d’une guerre entre l’Iran et Israël qui puisse se traduire par des attaques contre l’Arabie saoudite », explique Bernard Haykel, historien du Golfe à l’université américaine de Princeton. Pour neutraliser la menace iranienne, Riyad a joué à plein la détente avec l’Iran, scellée en mars 2023.

Riyad n’a, cependant, pas renoncé à la perspective d’une normalisation avec Israël. En contrepartie, il exige des Etats-Unis la signature d’un pacte de défense, ainsi qu’un soutien sur le nucléaire civil et l’obtention d’armements sophistiqués. Il a augmenté ses exigences envers Israël au nom des Palestiniens, pour s’indemniser quelque peu des risques associés à la normalisation avec Israël. « L’Arabie saoudite n’a probablement pas besoin de la création d’un Etat palestinien, conclut M. Ibish. Mais elle a besoin qu’Israël mette fin à la guerre de Gaza et qu’il reconnaisse le droit des Palestiniens à un Etat entre le fleuve et la mer, et qu’il s’engage à entrer dans un processus pour créer finalement cet Etat. »