Les pétrodollars ne suffisent plus pour maintenir le rythme des investissements nécessaires à « Vision 2030 », l’immense plan de diversification économique du royaume.
Par Hélène Sallon, Le Monde
Avec cinq programmes pharaoniques en développement, dont la ville futuriste de Neom, qui devrait engloutir 500 milliards de dollars (environ 461 milliards d’euros), et une frénésie d’investissements à plusieurs dizaines de milliards de dollars dans de nouveaux secteurs comme le tourisme, les loisirs, les jeux vidéo ou encore les énergies renouvelables, l’Arabie saoudite a besoin de liquidités. Le royaume doit recourir à l’emprunt pour mener à bien le plan de diversification économique promu par le prince héritier Mohamed Ben Salman, la « Vision 2030 ».
Riyad désignée pour accueillir l’Exposition universelle en 2030
A mesure que cet horizon approche, Riyad accroît sa prise de risque financière pour tenir le calendrier. Les pétrodollars ne suffisent plus, avec un baril de brut autour de 80 dollars. Et les investissements directs étrangers restent loin des objectifs, à 33 milliards de dollars par an contre 100 milliards escomptés. Les risques restent néanmoins calculés pour le royaume, dont la dette publique est faible à 26,5 % du PIB en 2023 (contre 65 % en Allemagne, 112 % en France) et la marge de manœuvre budgétaire importante.
Courroie de cette diversification économique, le Fonds souverain saoudien (Public Investment Fund – PIF) a été en 2023 le plus actifs des fonds au monde. Avec 31,5 milliards de dollars investis dans 49 acquisitions, il a réalisé à lui seul un quart des 124 milliards de dollars d’investissements des fonds souverains, selon le cabinet d’expertise Global SWF. Le PIF gère aujourd’hui plus de 700 milliards de dollars d’actifs, dont près du quart à l’étranger. Selon le Wall Street Journal, ces investissements ont fait chuter sa trésorerie à 15 milliards de dollars en septembre 2023.
Optimiser sa structure de capital
Le royaume a l’ambition d’en faire le plus grand fonds souverain au monde, avec 2 000 milliards de dollars d’actifs d’ici 2030. Pour cela, il devra injecter encore 270 milliards dans le PIF, estime Tim Callen, un ancien économiste du FMI rattaché au Arab Gulf States Institute à Washington. « Une grande partie des fonds du PIF vient désormais de l’emprunt car il y a moins d’actifs publics à transférer. Le risque est plus grand pour l’économie saoudienne. Le gouvernement va devoir réfléchir avec prudence pour garantir un retour sur investissement », souligne l’expert. Le PIF a déjà vendu pour 7 milliards de dollars d’obligations depuis le début de l’année 2024.
Le fonds souverain, qui détient 8 % du capital d’Aramco, pourrait aussi être parmi les bénéficiaires d’une vente de parts de la compagnie pétrolière nationale à la Bourse saoudienne. Le géant pétrolier prévoit lui aussi d’émettre cette année des obligations à long terme pour optimiser sa structure de capital. Les performances d’Aramco continuent de porter l’économie saoudienne. En 2024, la compagnie publique a prévu de maintenir le dividende spécial basé sur la performance introduit en 2023, malgré la baisse de la production à 9 millions de barils par jour, soit un million de moins en moyenne qu’au cours de la dernière décennie. Les revenus pétroliers devraient encore composer 60 % des revenus budgétaires de l’Etat et 30 % du PIB en 2024-2025, selon l’agence de notation Fitch.
L’intervention de l’Arabie saoudite au sein de l’OPEP +, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et la Russie, depuis 2023, pour réduire la production pétrolière a permis de stabiliser les cours. Leur niveau est toutefois loin du record enregistré en 2022, sur fond de guerre en Ukraine. Grâce à des revenus pétroliers d’environ 325 milliards de dollars, l’Arabie saoudite avait alors dégagé son premier excédent budgétaire. En 2023, le PIB saoudien, qui représente 1 100 milliards de dollars, a connu sa plus grande contraction depuis 2020 à 0,9 %.
Les performances d’Aramco devraient permettre au PIB d’enregistrer une croissance de 2,7 % en 2024, selon le Fonds monétaire international. Mais malgré l’introduction d’impôts qui ont porté les recettes budgétaires non pétrolières à 32 % du total en 2022, la stabilisation du prix du baril ne permet pas au royaume de boucler son budget, creusé par l’augmentation des dépenses sociales et de santé, d’éducation et de défense.
Le recours à l’emprunt est un outil que privilégie l’Etat saoudien pour augmenter ses dépenses en vue de soutenir la diversification de son économie. Riyad a démarré l’année 2024 avec une émission massive de dette. Début janvier, le gouvernement a vendu pour 12 milliards de dollars d’obligations, sa plus grosse opération depuis 2017. Cela représente plus de la moitié du déficit budgétaire de 23 milliards de dollars que prévoient les autorités en 2024. Il devrait ainsi s’établir à 2,3 % du PIB en 2024, selon l’agence Fitch. Et Riyad prévoit d’enregistrer de légers déficits annuels jusqu’en 2026, alors qu’il s’attendait encore il y a quelques mois à afficher des excédents budgétaires au moins jusqu’en 2025.
Les risques financiers que prend l’Arabie saoudite pour soutenir sa diversification économique restent maîtrisés. Le gouvernement saoudien dispose de capacités d’emprunt importantes grâce à des notations de crédit et des niveaux de réserves étrangères élevés qui maintiennent la confiance dans l’ancrage du riyal saoudien au dollar américain. Les réserves de change, hors or, ont diminué modérément en 2023 pour atteindre 437 milliards de dollars. Le 1er février, l’agence Fitch a maintenu la note du royaume à A + avec une perspective stable.
« Cela pourrait devenir risqué si les prix du pétrole chutent à 65 dollars mais, on ne voit pas cela venir dans les cinq ans », estime James Swanston, économiste chez Capital Economics, à Londres. Il prédit que Riyad devrait maintenir le rythme de ses dépenses pour mettre en œuvre sa Vision 2030. Le calendrier ne sera toutefois pas tenu pour certains projets a reconnu, fin 2023, le ministre des finances saoudien, Mohamed Al-Jaadan.