Riyad souhaite rester en dehors du conflit, redoutant de mettre à mal le processus de paix entamé avec les rebelles yéménites après neuf ans de guerre. Les Etats-Unis ont mené de nouvelles frappes dans la nuit de vendredi à samedi.
Par Hélène Sallon - Le Monde
L’ appel de Riyad à la retenue, vendredi 12 janvier, après de premières frappes américano-britanniques contre des cibles houthistes au Yémen, ne manque pas d’ironie. Il est un pied de nez à Washington, qui, en 2016, sommait l’Arabie saoudite de mettre fin à la guerre meurtrière qu’elle avait lancée un an plus tôt contre les rebelles yéménites, solidement implantés dans une large partie du pays. Cette inversion des rôles a été soulignée par Mohammed Ben Salman, dit « MBS », au secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, lors de leur rencontre à Al-Ula, le 8 janvier.
Selon des sources au fait des discussions, le prince héritier saoudien ne s’est pas privé de rappeler que Riyad n’avait cessé d’alerter Washington dès 2015, du danger posé par les houthistes, et de réclamer, en vain, un engagement plus fort des Américains à ses côtés. Près de dix ans plus tard, « MBS » ne s’est donc pas opposé à des frappes américaines contre les houthistes, mais il a mis en garde contre une escalade qui mettrait en danger la sécurité du royaume et le processus de paix qu’il a engagé avec les rebelles. Malgré cela, les Etats-Unis ont mené de nouvelles frappes dans la nuit de vendredi à samedi au Yémen, après que les houthistes ont tiré un missile en mer Rouge, sans faire de dégâts, selon Washington.
S’afficher en modérateur « peut payer de différentes façons pour les Saoudiens », estime Farea Al-Muslimi, expert du Yémen au sein du cercle de réflexion Chatham House (Londres). Le royaume saoudien veille à rester en dehors du conflit qui oppose les houthistes à Israël et à son allié américain depuis le début de la guerre avec le Hamas dans la bande de Gaza, le 8 octobre 2023. Si elle a parfois « joué la première ligne de défense d’Israël contre les attaques houthistes en abattant certaines de leurs roquettes », ajoute l’expert, l’Arabie saoudite a ignoré les appels pressants de Washington à prendre part à une force de protection navale multinationale en mer Rouge.
« Position très inconfortable »
Cette alliance a été mise sur pied le 18 décembre 2023 avec une vingtaine de pays (dont seul le Bahreïn pour la région) en réponse aux attaques des houthistes contre des navires marchands en mer Rouge. Riyad préfère donner des gages à l’administration Biden sur le dossier de la normalisation avec Israël, répétant y être toujours attachée. « L’Arabie saoudite est dans une position très inconfortable : elle s’oppose aux houthistes et à leurs efforts pour perturber le trafic maritime en mer Rouge, mais elle a peur de subir leurs représailles et de voir dérailler les efforts qu’elle mène depuis des mois pour négocier son retrait du Yémen », analyse le chercheur canadien Thomas Juneau, spécialiste du Yémen.
Alors que les rumeurs de frappes américano-britanniques se précisaient jeudi soir, le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Fayçal Ben Farhan, a parlé au téléphone avec son homologue iranien, Amir Abdollahian, dont le pays est allié aux houthistes. Depuis qu’elle a
scellé un accord de détente avec l’Iran sous l’égide de la Chine, en mars 2023, l’Arabie saoudite s’est engagée dans une politique d’apaisement régional. Clore la guerre au Yémen est une priorité.
Ce conflit a non seulement tourné en faveur des houthistes, mais il a aussi valu à Riyad des attaques sur son territoire, particulièrement malvenues alors que « MBS » veut attirer touristes et investisseurs étrangers dans le cadre de son plan de modernisation du royaume, « Vision 2030 ». Pour sceller la paix, Riyad est prêt à consentir à d’importants efforts. « Les houthistes veulent voir les négociations avec l’Arabie saoudite réussir car l’accord qui se dessine va consolider leur pouvoir au Yémen. Mais ils vont continuer à essayer d’extraire plus de concessions, en profitant de ce que Riyad veut à tout prix finir cette guerre », poursuit M. Juneau.
Bahreïn inquiété
Jeudi, le négociateur en chef des houthistes, Mohammed Abdulsalam, a confirmé à l’agence britannique Reuters que les pourparlers de paix n’étaient pas menacés par les attaques menées par les siens en mer Rouge. Les rebelles yéménites respectent, jusqu’à présent, la trêve négociée avril 2022 sous l’égide des Nations unies. Et rien n’indique, à ce stade, qu’ils aient l’intention de la rompre. Il n’est pas dans leur intérêt de voir les avions saoudiens revenir dans le ciel yéménite. En neuf ans de guerre, la coalition menée par les Saoudiens a infligé aux zones sous leur contrôle d’importantes pertes humaines et matérielles.
Les houthistes ont circonscrit leurs menaces de riposte aux « intérêts américano-britanniques ». Bahreïn, petit pays du Golfe vassal de l’Arabie saoudite, est inquiété du fait de sa participation à l’alliance navale avec les Etats-Unis. Restés en retrait, les autres pays de la région ne sont pas rassurés pour autant, certains abritant des bases américaines et britanniques.
Abou Dhabi a appelé à « préserver la sécurité de la région, les intérêts de ses pays et de ses peuples conformément à la loi internationale ». Parrains des séparatistes du Yémen sud, et cible par le passé d’attaques houthistes, les Emirats arabes unis sont dans une posture incommode. S’ils souhaiteraient voir rétablie la sécurité du trafic maritime, essentielle à leur économie, ils veillent toutefois à ne pas s’exposer à des représailles houthistes. Elles pourraient écorner l’image sur laquelle Dubaï s’est bâtie, celle d’un îlot de stabilité au cœur d’une région instable.