L'armée est devenue plus religieuse, cela n'aide pas

L'armée est devenue plus religieuse, cela n'aide pas
السبت 10 أغسطس, 2024

Plusieurs politiques ou intellectuels ultranationalistes, très écoutés par l'exécutif israélien, empruntent des références messianiques ou bibliques pour intensifier la guerre. Décryptage de cette rhétorique religieuse par l'historien Amnon Raz-Krakotzkin. Propos recueillis par Quentin Müller

Marianne: Assistons-nous depuis le 7 octobre 2023 à un renforcement des théories extrémistes religieuses dans la société israélienne?

Amnon Raz-Krakotzkin: Israël est aujourd'hui dominé par le sionisme religieux, modéré ou extrémiste, qui constitue une part impor tante de la coalition gouvernementale. Ces groupes considèrent le projet sioniste et le projet de colonisation continue comme une partie de la rédemption. Ils voient dans le drame du 7 octobre une occasion de construire davantage de colonies, accompagnées de l'expulsion des Palestiniens de Cisjordanie de leurs propriétés. Ils perçoivent aussi la guerre à Gaza comme une occasion de transférer et de réinstaller des juifs sur des terres qu'ils pensent être les leurs. Ce qui n'aide pas, c'est que l'armée est devenue plus religieuse et que de nombreux commandants invoquent des symboles bibliques pour justifier des crimes. Par exemple, la définition biblique de l'ennemi appelé "amalek", faisant référence à ce peuple qui doit être anéanti et longtemps associée aux nazis, est désormais utilisée pour nommer les Palestiniens.

Toute la société israélienne n'use pas de ce vocabulaire...

C'est vrai, mais ce genre de discours est davantage accepté que par le passé, Heureusement, tous les sionistes religieux ne pensent pas ainsi. Le problème est qu'il n'y a pas d'alternative politique à cette vision.

Dans quel état se trouve le camp politique laïque en Israël?

La force du sionisme religieux s'explique par le déclin du camp laïque. Selon moi, 1999-2001 fut le début de la fin. Cette courte période d'un gouvernement mené par la gauche et le Premier ministre Ehoud Barak a convaincu les Israéliens qu'un accord de paix et de coexistence avec les Palestiniens était difficilement envisageable après l'échec de Camp David avec Arafat et Clinton. Ce fut une grave défaite idéologique pour la gauche. Vint après la seconde Intifada... Par ailleurs, l'alliance politique des travaillistes avec le Shas, parti ultraorthodoxe de droite, avait précipité le départ du gouvernement du Meretz. parti socialiste et laïque. Cela a grandement perturbé les lignes politiques et déplacé les curseurs. Aujourd'hui, certains électeurs qui avaient voté Ehoud Barak tiennent des discours empruntés aux sionistes extrémistes, mais ils ne sont pas fondamentalistes pour autant.

Les discours messianiques et bibliques s'entendent-ils dans tous les partis politiques?

Idéologiquement, il n'y a plus de réelle différence entre un Yair Lapid, centriste, et un Benyamin Netanyahou, allié à un gouvernement d'ultradroite. La seule question politique actuelle créant une divergence majeure demeure la stratégie à adopter pour obtenir la libération des otages. L'ultradroite refuse d'en faire la question centrale car cela vient interférer dans la guerre. Quant aux autres partis politiques, ils manquent d'une vision alternative à ce conflit incessant avec la population palestinienne.

Peut-on faire un parallèle entre les extrémistes israéliens et l'ultradroite occidentale?

Aujourd'hui, les religieux ne cessent de critiquer l'Occident, disant qu'il s'affaiblit, faillit à ses obligations morales, ou ne combat pas assez les vagues d'immigration. Nombreux croient en son effondrement. Ces discours sont dans la même veine que ce que pré- tend l'extrême droite en Europe. Il y a aussi une haine anti-Arabes qu'on peut mettre en commun. A votre avis, pourquoi beaucoup d'Israéliens, pouvant voter aux États-Unis ou en France, soutiennent Donald Trump ou Marine Le Pen?