L’arsenal militaire syrien anéanti par la campagne de bombardements israéliens

L’arsenal militaire syrien anéanti par la campagne de bombardements israéliens
الاثنين 16 ديسمبر, 2024

Profitant du chaos suscité par l’effondrement du régime Al-Assad, l’Etat hébreu a conduit des centaines de frappes, qui ont détruit, selon son état-major, 80 % des capacités de l’armée syrienne.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance) et Hélène Sallon (Damas, envoyée spéciale), LE MONDE

Samedi 7 décembre, alors que les rebelles rentraient dans Damas et que la chute du régime Assad n’était plus qu’une question d’heures, Israël a déclenché une guerre non déclarée contre la Syrie. L’opération dite « Bashan Arrow » (flèche du Basan) a commencé par l’une des plus importantes attaques de l’histoire des forces aériennes de l’Etat hébreu, qui ont lancé pas moins de 350 aéronefs – soit l’équivalent de la flotte de l’armée de l’air française – à l’assaut du territoire syrien. En quarante-huit heures, ces appareils ont touché quelque 320 cibles.

Selon l’état-major israélien, cette première vague de bombardements a permis la destruction d’environ 80 % des capacités de l’armée syrienne : des batteries antiaériennes, des aérodromes, des sites de production d’armes à Damas, Homs, Tartous, Lattaquié, Palmyre. La défense antiaérienne syrienne, considérée comme l’une des plus puissantes du Moyen-Orient, a été oblitérée : 90 % des batteries de missiles sol-air identifiés ont été détruites. « La plupart de ces systèmes étaient datés, mais Israël passe d’une suprématie aérienne contestée à une suprématie complète, ce qui pourrait faciliter des frappes sur l’Iran », explique Michael Horowitz, analyste travaillant pour Le Beck, cercle de réflexion sur le Moyen-Orient.

Deux bases de l’armée de l’air syrienne ont été frappées. La base T4, au nord de Damas, où deux escadrons d’avions de chasse Su-22 et Su-24 ont été détruits. Et la base dite « Ble », dans le sud-ouest de la Syrie, près du plateau du Golan, a elle aussi été visée. Elle abritait trois escadrons d’avions de chasse, ainsi qu’un site de stockage de missiles sol-sol et de roquettes, également frappé.

« Asseoir une suprématie »
Nombre d’armes et de sites stratégiques ont été détruits dans l’opération. L’armée israélienne cite pêle-mêle des missiles Scud, missiles de croisière, sol-mer, sol-air et sol-sol ; des drones, hélicoptères d’attaque en plus d’avions ; des radars, des tanks et des hangars. Le siège à Barzeh, dans la banlieue de Damas, du Centre d’études et de recherches scientifiques, a aussi été visé. Accusé par les EtatsUnis d’être lié au programme d’armement chimique syrien, il avait déjà été ciblé en avril 2018 lors de frappes concertées américaines, françaises et britanniques.

L’opération aérienne s’est doublée d’une attaque maritime : deux bases navales syriennes, celles de Lattaquié et Bayda, abritant 15 navires, dont des patrouilleurs lance-missiles, ont été frappées par des missiles de la marine israélienne. « Il y a clairement une volonté d’asseoir une suprématie militaire complète sur la Syrie, dans le ciel en particulier. Il faut se rappeler qu’avant 2011, l’armée syrienne était vue comme l’une des principales menaces conventionnelles pour Israël. Même après la guerre civile, les stocks d’armements lourds restaient significatifs. Israël avait peur du scénario libyen et que le contrôle de ces stocks soit perdu à cause de pillages successifs par différents groupes armés », reprend Michael Horowitz.

L’opération « Bashan Arrow » était prête depuis une dizaine d’années, selon la presse israélienne. Dès le début de la révolution syrienne en 2011, l’armée israélienne s’était préparée à la chute de Bachar Al-Assad. Mais l’Etat hébreu ne s’est pas limité à ces opérations. Plus d’une semaine après le début de la campagne, les frappes aériennes continuent. Le 13 décembre, sur le tarmac de l’aéroport militaire de Mazzeh, à l’entrée sud-ouest de Damas, de jeunes combattants en treillis de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, Organisation de libération du Levant, ex- branche d’Al-Qaida en Syrie) recommandaient de ne pas s’éterniser sur les lieux. Avant l’aube, ils avaient été tirés de leur sommeil par des frappes israéliennes, pour la troisième nuit consécutive.

« On a peur, reconnaît Abou Mohammed, combattant de 25 ans, originaire de Tall Rifaat. Cette nuit, ils ont tapé deux fois, à 4 heures du matin. Ils ont visé un blindé qui était déjà cassé près de l’entrée de la base. C’était totalement inutile. Ils ont aussi ciblé la route devant la base. Il reste une dizaine de tanks et cinq avions. » Devant la base, un blindé de l’armée syrienne gît en effet éventré, le flanc transpercé par un missile qui n’a pas explosé.

Le 9 décembre, l’ambassadeur syrien auprès des Nations unies, Koussay Aldahhak, a adressé sa première missive au Conseil de sécurité au nom des nouvelles autorités syriennes pour demander la fin des attaques israéliennes sur le sol syrien. Nommé sous le régime de Bachar Al-Assad, et maintenu à son poste par le gouvernement de transition formé par HTC, le diplomate a dénoncé l’exploitation par Israël de la transition en cours en Syrie pour mener son « agenda d’occupation ».

Samedi 14 décembre, le chef de HTC, Ahmed Al-Charaa, plus connu sous son nom de guerre, Abou Mohammed Al-Joulani, a dénoncé l’incursion des troupes israéliennes dans le sud du pays. « Les Israéliens ont clairement franchi les lignes d’engagement en Syrie, ce qui fait planer sur la région la menace d’une escalade injustifiée », a déclaré le chef des HTC, dans des propos rapportés par la chaîne Telegram de l’organisation. Dans la nuit de dimanche à lundi, d’intenses frappes israéliennes ont ciblé des sites militaires dans la région côtière de Tartous en Syrie, selon l’Observatoire syrien des droits humains.

« Ces frappes aériennes israéliennes avaient pour but initial de réduire les stocks d’armes lourdes présents en Syrie, mais en continuant maintenant plus d’une semaine après la chute du régime Assad, ces bombardements installent un état de guerre permanent qui déstabilise le pouvoir naissant en Syrie. Ils provoquent de nouveaux déplacements de population, alors que la situation devrait au contraire permettre un retour massif des Syriens qui ont fui la dictature d’Al-Assad », explique sur son blog l’analyste militaire et ancien officier français Guillaume Ancel.

Au sol, lors de l’effondrement du régime, l’armée israélienne, s’est emparée, en toute illégalité, de la zone démilitarisée, sous contrôle de l’ONU, qui sépare, depuis 1974, la partie du plateau du Golan occupé par l’Etat hébreu depuis 1967, du reste de cette région, maintenu sous contrôle syrien. Mais l’armée israélienne semble vouloir encore pousser son avantage. Un responsable de l’ONU à New York a confirmé à l’Agence France-Presse que les casques bleus stationnés sur le Golan avaient « noté un certain nombre d’incidents quotidiens où l’armée israélienne opère à l’est de la zone tampon ».

« Le beau rôle »
La chaîne qatarie Al-Araby a diffusé vendredi un reportage dans lequel des habitants des villages arabes de Hamidiyé – dans la zone de séparation – et de Hourriyé affirment avoir été chassés par les troupes israéliennes. L’Observatoire syrien des droits humains évoque l’évacuation de Hamidiyé.

L’activisme de l’armée israélienne a éveillé l’intérêt des colons. Le gouvernement a approuvé dimanche un projet visant à doubler la population dans la partie du Golan syrien annexée par Israël. Dans le même temps, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a déclaré dimanche ne pas chercher la confrontation avec le nouveau régime syrien : « Nous définirons la politique d’Israël envers la Syrie en fonction de la réalité sur le terrain. »

Joseph Bahout, spécialiste de relations internationales à l’Université américaine de Beyrouth, s’inquiète des conséquences à long terme de ces opérations : « Benyamin Nétanyahou s’attribue le beau rôle dans la chute de Bachar Al-Assad. Mais les frappes israéliennes nuisent à la légitimité du nouveau régime. Et ça augure ce que sera le comportement d’Israël dans le nouveau Moyen-Orient : un maître des lieux affirmant qu’il peut occuper des territoires souverains au nom de sa sécurité. C’est dangereux pour l’équilibre de la région. »