Par Georges Malbrunot, Le Fiaro
ANALYSE - Encouragé par le Hezbollah et Téhéran, le Hamas pourrait s’en prendre à des intérêts israéliens hors de l’État hébreu.
En l’espace de moins de douze heures, le bras armé d’Israël a éliminé hors de ses frontières deux très hauts cadres de ses groupes ennemis, faisant planer le risque d’un embrasement du conflit au Moyen-Orient, voire d’un débordement loin de son épicentre. Mardi en fin de journée, Fouad Chokr, une vieille figure combattante du Hezbollah, conseiller militaire de son chef, Hassan Nasrallah, a été visé par une frappe aérienne dans un immeuble de la banlieue sud de Beyrouth, fief de la puissante milice chiite pro-iranienne.
Un homme que l’État hébreu accuse d’être responsable de l’attaque qui a coûté la vie samedi à 12 enfants druzes du plateau du Golan syrien, occupé par Israël. Ce gros poisson, qui figurait parmi la demi-douzaine des plus hauts responsables militaires du Hezbollah, était également recherché par le FBI pour avoir participé à l’attentat contre des Marines américain en 1983 à Beyrouth qui avaient fait 241 morts. Ironie de l’histoire : Washington, en quête d'apaisement des tensions qui avait demandé à Israël d’épargner la capitale libanaise densément peuplée, peut difficilement regretter – publiquement en tout cas la disparition d’un de ses ennemis jurés.
Mais le véritable coup de tonnerre est survenu quelques heures plus tard, sur les coups de 2 heures du matin à Téhéran, lorsque la vitrine politique du Hamas, son principal négociateur dans les discussions sur un cessez-le-feu à Gaza, a été éliminée dans une résidence d'hôtes des quartiers huppés de Téhéran où Ismaïl Haniyeh était venu participer – avec de nombreux dirigeants arabes, non islamistes souvent – à la cérémonie d’investiture du nouveau président Massoud Pezechkian.
La décapitation politique du Hamas a aussitôt résonné comme une déflagration au Moyen-Orient dans la mesure où le calendrier et le lieu sont hautement sensibles.
«J’ai été surpris, confié au téléphone un Palestinien non-membre du Hamas, qui connaissait bien Haniyeh. C’est un politique qui était à la recherche de solutions, ce n’est pas un militaire et il a peu de relations avec la branche armée. » «Je ne sais pas s’il était modéré, explique un proche du Hamas à Amman en Jordanie qui lui avait présenté ses condoléances à Istanbul après la mort de trois de ses fils, il y a trois mois. Mais pour régler le conflit avec Israël, il était ouvert à une trêve longue, il croyait en sa cause, il m'avait dit qu’il était confiant, en raison des nombreux recrutements que la branche armée du Hamas enregistre, dans la foulée des massacres israéliens à Gaza. »
En tuant le négociateur d’un cessez-le-feu avec Israël, l’État hébreu a-t-il aussi «tué» les chances d’un arrêt des combats et d’une libération prochaine de ses otages détenus à Gaza? Le Qatar, qui accueille la branche politique du Hamas, s’interroge désormais sur sa médiation. «Comment une médiation peut-elle réussir lorsqu'une partie assassine le négociateur de l’autre partie ?», s’est demandé sur son compte X le premier ministre de l’émirat où vivait Haniyeh, Mohammed Ben Abdelrahman al-Thani, condamnation un «crime odieux» et «une dangereuse escalade».
D’autres sources, en revanche, estiment qu'après une rupture de ces négociations – activement encouragées en coulisses par les États-Unis et l’Égypte – celles-ci devraient reprendre dans quelques semaines. «Rien n’a changé en fait », confie ce proche du Hamas dans la capitale jordanienne, la formation intégriste restant attachée à une trêve des combats à Gaza et à un retrait de l’armée israélienne de l’enclave palestinienne, bombardée depuis neuf mois, et en grande partie détruite.
Ismaïl Haniyeh n’étant pas aux prises avec les aspects opérationnels de la guerre entre son mouvement et Tsahal, sa disparition ne devrait pas non-plus changer radicalement le cours des affrontements dans la bande de Gaza. Selon nos informations, Haniyeh avait validé quelques mois auparavant le principe d’une invasion terrestre d’Israël par le Hamas, mais il n’en connaissait ni la date ni les détails logistiques.
Les conséquences de son élimination découlent surtout du choix du lieux de sa neutralisation – l’Iran – et de la riposte à venir à cet assassinat ciblé. L’incapacité iranienne à le protéger souligne les défaillances de son système sécuritaire. D’une certaine façon, Israël a humilié la République islamique, en lui envoyant le message selon lequel tous ses alliés (Hamas, houthistes, Hezbollah) peuvent être visés où qu’ils soient, et y compris sur le solde leur parrain iranien. En avril, Téhéran avait paru établir de nouvelles règles du jeu en s’en prenant pour la première fois directement au territoire israélien, après l’attaque de son consulat à Damas en Syrie. La nouvelle équation était qu’à chaque attaque en Iran, une attaque en Israël suivrait. L’Iran s’en prendra-a-t-il une nouvelle fois à l'intégrité de l’État hébreu? Rien n’est moins sûr. Certes, le guide suprême, Ali Khamenei, a promis une «vengeance sévère», mais au-delà de la rhétorique verbale, Téhéran, qui ne souhaite pas une guerre totale face à Israël, pourrait choisir d’autres modes d'action pour riposter. Nos deux sources proches ou en contact avec le Hamas le laissent supposer.
«Je ne crois pas à une réponse qui élargirait la guerre au Moyen-Orient, fait valoir l’expert palestinien nonislamiste. En revanche, Israël ayant porté le combat hors de ses frontières et de celles de la Palestine, l’axe de la résistance iranien pourrait, à son tour, choisir de transférer le combat hors d’Israël».
«Je ne crois pas trop à une réponse à court terme pendant les Jeux olympiques par exemple, affirme de son côté la source proche du Hamas à Amman. En revanche à moyen terme, c’est-à-dire dans quelques mois, le Hamas et l’Iran pourraient coordonner une réponse hors du cadre israélo-palestinien. Le Hamas ne l’a jamais fait, il avait décidé de ne pas le faire, mais Israël le pousse à changer de stratégie en s’en prenant à des intérêts israéliens hors d’Israël, encouragé par l’Iran et en bénéficiant de l'aide logistique du Hezbollah. » À court terme, une frappe massive du Hezbollah contre une infrastructure israélienne n’est, cependant, pas à exclure pour laver l’affront de la mort de Fouad Chokr, mardi soir à Beyrouth.
Une chose paraît sûre aux yeux des experts : la mort du chef politique du Hamas ne signe pas la mort d’une organisation dont la direction collégiale permet de remplacer les «martyrs», d’autant que des élections au bureau politique étaient prévues au printemps prochain en vue de remplacer Haniyeh, inéligible après deux mandats à la tête de cette instance.
«En 2004, Israël a liquidé son chef historique Cheikh Ahmed Yassine, puis son successeur Abdelaziz al-Rantissi, Ismaël Abou Chanab et tant d’autres, mais à chaque fois, un autre leader est apparue le Hamas n’a fait que se renforcer », constate la source palestinienne précitée. «La mort de Haniyeh permet avant tout à Netanyahou d'afficher une victoire auprès du peuple israélien», ajoute-t-elle, faisant remarquer que l’État hébreu a souvent choisi, dans le passé, de liquider les moins radicaux du mouvement islamiste. Selon ce Palestinien, «Israël ne veut pas de pragmatiques parmi les responsables du Hamas ».
Est-ce à dire que la mort de Haniyeh va encore radicaliser la formation intégriste? Elle pourrait en effet accentuer les pouvoirs dans l'organigramme du Hamas de Yahiya Sinwar, l’architecte des massacres du 7 octobre, un ultra parmi les islamistes. «D’après les statuts du Hamas, précise la source jordanienne qui en est proche, ses prétendants à sa succession sont les présidents de régions encore envie, c’est-à-dire Sinwar à Gaza et Khaled Mechaal pour l’extérieur, voire Zahra Jabarin pour la Cisjordanie,et peut-être Khalilal-Hayya qui négocie aussi les otages israéliens. Mais Sinwar, qui paraît en interne plus légitime, peut-il être élu pour des questions logistiques?» Autre inconnue : l’Iran, qui n'aime pas Khaled Mechaal, aura-t-il son mot à dire, maintenant que son implication dans l’équation palestinienne a été renforcée?