DÉCRYPTAGE - Selon des informations de la police fédérale, le Hezbollah chercherait à recruter au sein du plus grand pays d’Amérique latine, des individus disposés à éliminer certaines cibles dans la région, notamment en Équateur, en Colombie et en Bolivie.
Rio de Janeiro / Par Diane Jeantet - Le Figaro
En novembre dernier, la police fédérale brésilienne a dit avoir découvert une cellule naissante du Hezbollah sur son territoire, ravivant les craintes d’une présence de la milice chiite au Brésil. Selon de premières informations de la police fédérale auxquelles Le Figaro a eu accès, le Hezbollah chercherait à recruter au Brésil, plus grand pays d’Amérique latine, des individus disposés à éliminer certaines cibles dans la région, notamment en Équateur, en Colombie et en Bolivie.
Trois hommes possédant la nationalité brésilienne ont été questionnés, en novembre, au sujet de leurs passages respectifs au Liban pour rencontrer un ou plusieurs cadres du Hezbollah. Deux furent arrêtés, le troisième relâché. Un quatrième, principale cible de l’opération, a jusqu’à présent échappé aux forces de police.
Témoignages troublants
Les procès-verbaux d’audition de deux des trois hommes questionnés, obtenus par Le Figaro, révèlent des similarités troublantes. Les deux hommes, qui ne se connaissent pas et n’ont eu aucun contact préalable, disent s’être rendus au Liban sans savoir qu’ils rencontreraient des membres du Hezbollah. Ils racontent aux policiers avoir passé la première nuit dans un hôtel minable, avant d’avoir été transférés dans un établissement luxueux près de la mer, tous frais payés. Ils ont tous deux été intimés de laisser téléphones et montres connectées dans leur chambre d’hôtel avant d’être conduits par des hommes armés pour rencontrer « le chef », qui les questionna sur leurs capacités à « tuer ». Dans les deux cas, les hommes disent avoir reçu l’aide d’un traducteur caché derrière un paravent.
Les similitudes ne s’arrêtent pas là : changements de véhicule fréquents pour brouiller les pistes, remise d’argent en liquide, passeports confisqués… « Ils décrivent un mode opératoire très similaire, à des moments différents, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une pratique avec un certain degré de régularité », explique, sous couvert d’anonymat, un membre de la police fédérale de Brasilia. « Ce sont des gens qui ont un passé de crimes violents, de trafic de drogue… Mais pas forcément de lien idéologique », ajoute-t-il.
Le recrutement de « proxys », sans affinités religieuse ou politique, plutôt motivés par l’argent, est une des stratégies connues des services de renseignements occidentaux depuis plusieurs années, et qui vise à ne pas éveiller les soupçons. Le Hezbollah tenterait ainsi d’étendre un réseau secret autour du monde, avec des cellules dormantes prêtes à agir. La « cellule 910 » de la milice, chargée de ses missions extérieures, supervise le processus.
Les services de renseignements, principalement américains et israéliens, alertent depuis les années 1990 sur les opérations supposées du Hezbollah au Brésil, et plus précisément dans la région de la « triple frontière », à cheval sur le Paraguay, le Brésil et l’Argentine. Une forte diaspora libanaise s’est installée dans la région au début du XXe siècle.
Le risque terroriste longtemps ignoré
Ces premiers signalements ont fait suite à l’attentat de Buenos Aires contre la diaspora juive en Argentine, en juillet 1994, qui fit 85 morts et 300 blessés. Après une enquête très laborieuse, les autorités argentines déclarèrent que les explosifs utilisés dans au moins un des attentats antisémites ayant frappé la ville étaient entrés clandestinement en Argentine par Foz do Iguaçu, du côté brésilien de la triple frontière.
C’est aussi à Foz do Iguaçu que la police fédérale a arrêté en 2018 Assad Ahmad Barakat, que le gouvernement américain accuse d’être l’un des principaux financiers du groupe islamique libanais.
Mais les autorités brésiliennes ont longtemps préféré ignorer la question terroriste, estimant que la menace posée à sa population était minime. Le pays ne s’est doté d’une loi antiterroriste qu’en 2016, cédant à la pression de la communauté internationale, à la veille des Jeux olympiques de Rio de Janeiro.
Plusieurs analystes attribuent cette relative passivité des gouvernements successifs au manque de preuves concrètes ou au caractère anecdotique des renseignements qui ont pu surgir ces dernières décennies. En ce qui concerne le Hezbollah, il est principalement question de financement.
« Il y a beaucoup d’immigrés ici, ils laissent leurs familles au Liban, ils envoient de l’argent au Liban, ce qui ne veut pas dire qu’ils financent le Hezbollah, ou que la région promeut les activités du Hezbollah », estime Christine Somma de Castro, professeur à l’université de São Paulo. Il est coutume pour les diasporas d’envoyer de l’argent dans leurs pays d’origine, rappelle-t-elle.
L’enseignante, comme d’autres chercheurs, attire l’attention sur le fait que vingt-cinq ans après l’attentat de Buenos Aires, aucune preuve définitive n’a, à ce jour, permis à la justice d’établir la vérité dans cette affaire. Une opinion aussi partagée par la diplomatie brésilienne, qui, en interne, a pu critiquer la tentative de son voisin d’impliquer le pays pour masquer l’absence de progrès de l’enquête.
Le Brésil entretient par ailleurs de bonnes relations avec l’Iran, parrain du Hezbollah, et n’a pas déclaré le groupe chiite comme terroriste. Ce qui rendrait tout attentat sur le sol brésilien contre-productif, estime Fernando Brancoli, professeur adjoint en sécurité internationale et géopolitique à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. À la police fédérale, l’enquête suit son cours.